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Une personne avec un masque sur une civière.
Radio-Canada / Yoann Dénécé

Judith n’y croyait plus. Un an après avoir lancé un cri du cœur sur les réseaux sociaux, un pur inconnu lui offre un rein.

Texte : Julie Grenon Photographies : Yoann Dénécé

Judith est assise au bout de son lit d’hôpital. Branchée à son soluté, elle attend patiemment de voir passer dans le corridor celui qui, dans quelques heures, lui offrira le plus grand des cadeaux : un rein. Au bout d’une trentaine de minutes, elle entend le roulement d’une civière. C’est lui. Elle croise son regard, lui sourit. Il lui fait un signe de la main, celui qui signifie rock on. Parce qu’ensemble, la veille, ils se sont dit qu’ils allaient rocker. Parce qu’il y a moins d’un mois, ils ne s’étaient encore jamais rencontrés… et aujourd’hui, Frédéric va offrir à Judith l’organe qui lui permettra de reprendre sa vie là où elle l’a laissée il y a deux ans.

Une personne sourit.
Une personne sourit.
Radio-Canada / Yoann Dénécé
Photo: Judith Bélair-Kyle a lancé un cri du coeur sur les réseaux sociaux pour trouver un rein.  Crédit: Radio-Canada / Yoann Dénécé

Judith

Judith Bélair-Kyle était âgée de 15 ans lorsqu’elle a appris qu’elle souffrait de la maladie polykystique rénale. Ce sont des kystes qui s’accrochent malicieusement à ses reins. Au fil des années, graduellement, sans faire de bruit, ses reins ont cessé d’offrir un rendement adéquat.

Lorsque Judith a atteint la mi-trentaine, l’énergie a commencé à lui manquer. La fatigue est devenue de plus en plus envahissante alors qu’elle n’avait jamais été aussi heureuse.

Elle a pris rendez-vous à la clinique. Ils m’ont appelée en panique pour me dire qu’il me restait 30 % de fonction rénale et que ça baissait rapidement, se souvient-elle. Son sang n’était plus suffisamment bien filtré.

Son rêve d’avoir des enfants avec son nouveau conjoint a été mis sur pause. Je venais de finir ma maîtrise, j’avais enfin le job et le chum que je voulais. J’étais prête à fonder une famille et on m’a dit : "Non, tu ne peux pas." Ça m’a rendue déprimée solide.

25 octobre 2022

Judith est maintenant en arrêt de travail. Mon quotidien, actuellement, c’est pas grand-chose. Je me réveille le matin, je me lève pour faire mes toasts, prendre mon café… vider le lave-vaisselle. Il est rendu 10 h 30 après ça et je suis fatiguée. Il faut que je me recouche. L’été, elle jardine lentement et elle essaie surtout de respecter ses limites, sinon je paie pendant plusieurs jours, constate-t-elle. Le brouillard est constant dans sa tête. Sa mémoire fait défaut et la concentration n’y est plus.

La seule issue, c’est la greffe de rein. Pour l’obtenir, elle devra patienter un an, deux ans, possiblement trois avant de recevoir un organe, puisqu’elle n’est pas encore candidate pour la dialyse. C’est trop long, se dit-elle.

C’est en prenant en charge les démarches pour trouver son nouveau rein que Judith parviendra à retrouver plus rapidement sa vie d’avant. Il n’y avait personne autour de moi qui pouvait. La prochaine étape, c’était de trouver quelqu’un qui allait pouvoir m’en donner un. Je n’ai pas réfléchi plus que ça, honnêtement. Je me suis dit : si la famille peut, pourquoi quelqu’un d'autre ne pourrait pas?

Elle crée le blogue Un rein pour Judith. En racontant son histoire, en démystifiant la maladie et en faisant la promotion du don d’un rein vivant, elle a au moins le sentiment d’être utile et volontaire.

Le 21 octobre 2021, elle publie sur Facebook un cri du cœur qui sera lu par 13 000 personnes.

Je m'appelle Judith, j'ai 36 ans, il ne me reste que 12 % de fonction rénale et je suis à la recherche d'un rein non seulement pour vivre mais également pour pouvoir fonder une famille. Ce matin, je vous lance un autre cri du cœur et vous demande de m'aider à trouver un rein!
...
Je cherche une personne qui serait prête à me faire le don d'un de ses reins. Un don d'organe d'un donneur vivant permet une meilleure longévité à la greffe, comparativement à un organe provenant d'une personne décédée.
...
Il est possible de poser vos questions, sans aucun engagement, en appelant mon centre de greffe à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont.

La démarche peut se faire sans que je ne sois au courant jusqu'à la décision positive du donneur potentiel pour ne pas se sentir obligé de quoi que ce soit envers moi.

Au début, j’avais de l’espoir, parce que plein de gens m'écrivaient. Sauf qu’avec le temps, je n’obtenais plus de réponses. Il y a eu une personne au début qui avait commencé les démarches. Elle a finalement abandonné, et c’est tout à fait correct, mais ça m’est quand même rentré dedans, concède Judith.

Pendant qu’elle désespérait, un homme avait lu son message. En silence, il était en train de franchir, une à une, les étapes qui devaient lui permettre d’offrir son rein à Judith.

Frederic sourit.
Frederic sourit.
Radio-Canada / Yoann Dénécé
Photo: Frédéric Verville, donneur  Crédit: Radio-Canada / Yoann Dénécé

Frédéric

26 octobre 2022

À Bury, en Estrie, Frédéric Verville vient de terminer sa récolte de choux. Il est producteur maraîcher et cultive des légumes bio été comme hiver.

Un soir d’octobre, il parcourt son fil Facebook après une journée occupée à la ferme. Les messages défilent jusqu'à ce qu’il tombe sur celui qui a été relayé par une amie : une femme de Trois-Rivières est à la recherche d’un donneur vivant. J’ai été touché par son message, se souvient-il. Frédéric sent que ça peut être lui.

« J’ai toujours été quelqu’un de très privilégié dans la vie. J’ai eu tout ce dont j'avais besoin. Je me suis dit que c’était potentiellement une belle façon de redonner à quelqu’un qui avait eu moins de chance. »

— Une citation de  Frédéric

Et il y a cet enfant que Judith rêve d’avoir. On a le même âge. Moi, j’ai fait le choix de ne pas avoir d’enfant dans la vie, mais elle, elle parlait du fait qu’elle était prête à avoir une famille et qu’elle ne pourrait pas tant qu’elle ne serait pas suffisamment en santé. Je pense que c’est surtout ça qui m’a interpellé.

Cette première réflexion le pousse à décrocher le téléphone et à composer le numéro de la clinique de greffes de l’Hôpital Maisonneuve Rosemont, qui suit Judith. On lui donne un aperçu des étapes à franchir afin de se qualifier comme donneur. J’ai décidé de continuer. Je trouvais que c’était envisageable.

S’enclenche alors une série de rendez-vous. D’abord, un premier atelier obligatoire d’une demi-journée – Ils veulent s’assurer de notre sérieux –, puis plusieurs visites à l'hôpital. Un trajet aller-retour de près de cinq heures chaque fois. Impossible de le décourager. On a tous et toutes le potentiel d’aider quelqu’un à être en meilleure santé. Ça ne me semble pas être une grosse affaire de prendre quelques journées par-ci par-là pour faire des démarches si ça peut permettre à quelqu’un d’améliorer sa qualité de vie pour des années.

Frédéric Verville et Marilyn Ouellet sourient.
Frédéric Verville et sa conjointe Marilyn OuelletPhoto : Radio-Canada / Julie Grenon

La première fois que Frédéric a fait part à sa conjointe, Marilyn Ouellet, de son intention de donner un rein à une inconnue sur Facebook, franchement, elle n’a pas pensé que ça irait plus loin. L’idée de donner un organe de son vivant, de façon anonyme, c’est un geste dont elle n’avait jamais entendu parler.

Ça a toujours été une personne très généreuse. Il a toujours partagé ce qu’il a appris dans la vie gratuitement, sans retour. En fait, c’est une personne qui est humble et assez discrète aussi. Le regard qu’elle pose sur Frédéric est rempli de fierté.

Valérie sourit.
Valérie Joly, infirmière coordonnatrice du don vivant à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, a guidé Frédéric pendant toutes ses démarches. Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Une démarche délicate et discrète

La candidature de Frédéric Verville a cheminé sur près d’un an, à l’insu de Judith. Des tests ont rapidement établi leur compatibilité. Par la suite, on a passé Frédéric au peigne fin pour s’assurer qu’il était en bonne santé et que le fait d’être privé d’un rein ne le mettrait pas à risque.

L’infirmière clinicienne coordonnatrice du don rénal vivant, Valérie Joly, l’a accompagné tout au long du processus. C’est toujours marquant, des appels pour un don anonyme, fait-elle remarquer. Dans ce cas précis, les questions éthiques ont pris une place importante. Pourquoi voulez-vous donner un rein? Pourquoi ciblez-vous cette personne-là? Avez-vous des attentes? Au Québec, au Canada, c’est illégal d’avoir des rétributions financières, matérielles, ou des attentes psychologiques.

Frédéric savait exactement à quoi s’attendre : la quarantaine obligatoire deux semaines avant la chirurgie, la douleur postopératoire, les risques liés au don, sa convalescence d’un mois et, surtout, la grande liberté qu’il avait à tout moment de se retirer de cette démarche.

« Moi, comme professionnelle de la santé, ce que ça me dit, c'est que ça me réconcilie vraiment avec l’humanité, parce que des gens aussi généreux que Frédéric, on les compte sur le bout de nos doigts. »

— Une citation de  Valérie Joly, infirmière coordonnatrice du don vivant à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont

En septembre 2022, Valérie a informé Frédéric que tous les voyants étaient au vert. Il est officiellement devenu le premier donneur qualifié pour Judith.

On a attendu que tout soit plus officiel avant d’informer Mme Bélair-Kyle, sachant qu’on ne voulait pas créer de faux espoirs. On voulait aussi préserver la confidentialité. M. Verville connaissait l’identité de la receveuse, mais pas l’inverse, spécifie Valérie.

La chirurgie a été prévue pour le 1er décembre. C’est le moment idéal pour Frédéric puisque c’est une période morte à la ferme.

Près d’un an après avoir lancé un cri du cœur sur les réseaux sociaux, Judith apprend qu’un donneur compatible est prêt à lui donner un rein. Elle n’y croyait presque plus. C’est assez impressionnant de penser qu'après mon premier appel à l’aide, quelqu’un a fait : "Ben, je vais t’aider." Je ne l'avais jamais vu de ma vie et je ne savais pas qu’il existait.

Des professionnels qui discutent.
Des professionnels qui discutent.
Radio-Canada / Yoann Dénécé
Photo: L'entrée pour se rendre aux salles opératoires.  Crédit: Radio-Canada / Yoann Dénécé

Découvrir l’inconnu

3 novembre 2022

Judith n’a pas hésité. Quand ils m’ont appelée pour me dire qu’il y avait un donneur qui avait fini toutes les démarches, ils m’ont dit : "C’est toi qui décides si tu le rencontres ou pas", raconte-t-elle. Faire la connaissance de Frédéric allait de soi, ne serait-ce que pour lui exprimer toute sa reconnaissance. Elle avait tout de même des appréhensions.

Le conjoint de Judith, Thierry Adadja, en était très conscient. J’étais très content pour elle et j’essayais de tempérer un peu les attentes. Quand on reçoit cette nouvelle, n'importe quoi peut se passer. J’essaie d’éviter d’être trop heureux ou trop malheureux, explique-t-il.

Judith et Frédéric ont d'abord échangé sobrement des messages textes. Un lien s’est tissé, des affinités se sont doucement dévoilées.Il a l’air drôle, aussi. Il produit des légumes bio, alors il m’a dit que j’allais avoir un rein bio en plus. C’est fabuleux, explique Judith, amusée par cette image.

Une rencontre a ensuite été organisée dans un restaurant.

« Qu’est-ce que tu dis à quelqu’un que tu rencontres pour la première fois et qui veut te sauver la vie? Jamais quelqu’un ne va faire quelque chose d’aussi impressionnant pour moi. »

— Une citation de  Judith

Une semaine avant de rencontrer Frédéric en personne, Judith confiait qu’elle se sentait vraiment gênée. Il y a une partie de moi qui se dit qu’il ne faut pas que je rate mon introduction. Je veux qu’il ait le goût de continuer même s'il me rencontre. Je veux être à la hauteur de ce qu’il veut me donner , s’inquiète-t-elle.

Trois personnes assises à une table qui sourient.
Frédéric, Judith et son conjoint Thierry ont soupé ensemble la veille des tests préopératoires. Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Judith

C’est un homme de peu de mots , raconte Judith. On partage les mêmes valeurs sociales liées à l’entraide, à la communauté et à l’environnement. On se rejoint beaucoup là-dedans , constate-t-elle. Elle ajoute en riant : Je crois même qu’on a voté du même bord.

Elle l’a senti solide et sûr de sa décision. Physiquement, le fait que je trouve que la personne qui me donne un rein soit sympathique, ça ne fait pas de différence pour la greffe, mais mentalement, ça m’aide vraiment à accepter le don.

Judith sort de sa voiture.
Judith sort de sa voiture.
Radio-Canada
Photo: Judith arrive à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont la veille de l’opération, le 30 novembre 2022.  Crédit: Radio-Canada

La veille de l’opération

30 novembre 2022

C’est une triste journée de novembre. La pluie, le vent et le froid forcent les gens à presser le pas et à s’engouffrer rapidement dans l’Hôpital Maisonneuve Rosemont, à Montréal, pour se mettre à l’abri. Judith n’a peut-être même pas remarqué à quel point le temps est maussade. Son esprit est ailleurs. Il est presque 10 h. Elle débarque de sa voiture avec ses valises. C’est le grand jour. Je suis prête! dit-elle avant de pousser un grand soupir.

Elle va être hospitalisée pendant une à deux semaines. J’ai plein d’adrénaline. Sa valise contient des vêtements, un ordinateur, des livres et un jeu de cartes. C’est Frédéric qui m’a proposé d’apporter un jeu, précise-t-elle avec un grand sourire. Toutefois, ils ne pourront pas jouer aux cartes ensemble puisqu’une éclosion de COVID à l’étage des greffés les obligera à rester séparés, chacun dans sa chambre.

Il est 11 h et des poussières. Frédéric arrive à l’hôpital. C’est sa première sortie depuis deux  semaines de quarantaine à la maison. Je commence à avoir des papillons un peu. C’est correct. C’est dans moins de 24 heures, alors j’imagine que c’est normal. Ça devient concret. Il ajoute qu’il n’est toujours pas question de rebrousser chemin. Rendu là, ce serait bête de revirer de bord, souligne-t-il, sourire en coin. Je suis content de le faire.

Une salle d'opération.
Une salle d'opération.
Radio-Canada / Julie Grenon
Photo: Moins de trois semaines après la greffe, le rein de Judith fonctionne à plein régime.   Crédit: Radio-Canada / Julie Grenon

Le jour J

1er décembre 2022

7 h 15 - On sent l’effervescence dès qu’on pousse les portes du bloc opératoire. Aujourd’hui, le défi principal consiste à réduire au minimum le délai entre le prélèvement du rein de Frédéric – appelé greffon – et le moment où il sera implanté dans le corps de Judith.

Pour y parvenir, l’équipe dirigée par le chirurgien Gabriel Chan pourra exceptionnellement occuper deux salles d’opération en même temps. D’habitude, on fait une chirurgie une après l’autre. On a un délai de quatre à cinq heures pendant lequel le greffon est placé sur de la glace, explique-t-il.

Le chirurgien et Frédéric discutent ensemble.
Le chirurgien, le Dr Gabriel Chan, donne des explications à Frédéric avant qu’on l’emmène à la salle d’opération. Photo : Radio-Canada

Un organe, s’il n’est pas transplanté, a besoin d’oxygène, de nourriture, de sang. Le temps qu’il passe sur la glace est un moment sans nourriture, alors il y a toujours une blessure sur les organes et dans les cellules. Plus on peut minimiser le délai, mieux c’est.

Frédéric est un donneur en bonne santé. La durée de vie du greffon devrait être optimale. C’est donc un rein d’une qualité exceptionnelle qui sera offert à Judith.

7 h 45 - Frédéric arrive au bloc opératoire. Il n’a pas bien dormi, mais il sourit quand même. Il affiche toujours son air aussi cool. Je pense à plein d’affaires dit-il, songeur. Il garde pour lui les pensées et les réflexions qui l’habitent.

Judith sur une civière avec un infirmier à ses côtés.
Judith arrive au bloc opératoire.Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

12 h 15 - Judith arrive au bloc. Le temps file. Le plan de match fonctionne. Une salle d’opération est prête à l’accueillir. La transplantation pourra avoir lieu plus succinctement.

Ah! mon Dieu! Je suis ben nerveuse! C’est une greffe! C’est pas rien, souffle-t-elle. Je suis contente d’être là. Ça fait tellement longtemps que j’attends! Un infirmier vient la chercher. Il faut que je me dise que je suis une guerrière et que ça va bien aller.

Sa civière roule jusqu’à la salle d'opération numéro 16. Judith prend une fois de plus le temps d’exprimer toute sa reconnaissance envers celui qui, dans la salle numéro 6, vient de se faire ôter un rein. J’en reviens pas encore pour Frédéric, dit-elle, ébahie, de l’avoir trouvé comme ça, de nulle part.

Deux chirurgiens
Deux chirurgiens
Radio-Canada
Photo: Deux chirurgiens  Crédit: Radio-Canada

Judith a maintenant trois reins!

Fin d’après-midi - Mission accomplie! On a été capables d’améliorer le timing pour l’implantation de la greffe rénale chez madame un petit peu plus tôt en utilisant deux salles, indique, satisfait, le Dr Chan. Le rein a même déjà uriné sur la table d’opération et pendant la greffe, constate le Dr Chan. C’est une excellente nouvelle.

Frédéric pourra rentrer chez lui dans deux jours. Il a une épidurale pour la douleur. Ça devrait le soulager comme il faut. Ça tombe bien, parce que la seule crainte exprimée par Frédéric était justement celle d’avoir mal.

Judith a maintenant trois reins. Ses reins natifs, bien qu’ils aient maintenant la taille de ballons de football en raison de la maladie, resteront là où ils sont, dans les loges rénales. Le nouveau rein a été greffé dans la fosse iliaque. Les reins de la receveuse vont tranquillement arrêter de fonctionner avec le temps et c’est le nouveau greffon qui va faire le travail total de filtrer le sang et de produire l’urine, explique la néphrologue Suzon Colette.

Des mains tiennent un rein.
Le rein de Frédéric quelques secondes avant qu’il soit inséré dans l’abdomen de JudithPhoto : Radio-Canada

D’ailleurs, l’efficacité du nouveau rein est incontestable. Dès le lendemain de l’opération, Judith a gagné 8 % de fonction rénale. Après quatre jours, ce pourcentage s’élèvera à 40 %. Rapidement, elle s’est remise à marcher, malgré la douleur intense des premiers jours. Frédéric, lui, a reçu son congé 48 heures après être passé sous le bistouri. Je n’ai presque plus de douleur. Ce matin, j’ai seulement pris des Tylenol. Même si Frédéric semble se rétablir rapidement, le personnel médical lui a gentiment rappelé qu’il devra y aller mollo pendant un mois.

En quittant l’unité des greffes, Frédéric et Marilyn rappellent à Judith qu’ils souhaiteraient avoir des nouvelles au sujet de son rétablissement. Donne-nous des nouvelles tous les jours si tu peux, lui lance, sincère, Marilyn au moment de franchir la porte.

Merci mille fois, répond Judith.

Cinq jours après l’opération, contre toute attente, Judith apprend qu’elle pourra rentrer chez elle à Trois-Rivières. Ils m’ont dit que j’avais battu des records. Je vis le meilleur cas possible d’une greffe de rein en ce moment.

Physiquement, Judith prend du mieux. Elle retourne dans le confort de sa maison, mais la suite se déroule en dents de scie. La médication a des effets secondaires très lourds sur son humeur. Ça me donne beaucoup d’anxiété et des pensées intenses. On ne m’a pas dit à quel point je pouvais en avoir. Je ne me souviens pas d’avoir déjà pensé d'aller aussi mal aussi rapidement. C’est débilitant.

L’équipe de l’Hôpital Maisonneuve Rosemont lui a offert de l’hospitaliser le temps que ça se calme, mais elle préfère retrouver une forme de stabilité dans le confort de son foyer. Heureusement, Judith s’est peu à peu adaptée. Elle a réussi à s’apaiser.

Judith et Frédéric se regardent en souriant.
Judith et Frédéric se regardent en souriant.
Radio-Canada / Yoann Dénécé
Photo: Judith et Frédéric, réunis pour la première fois depuis l’opération  Crédit: Radio-Canada / Yoann Dénécé

Les retrouvailles

5 février 2023

C’est une douce journée d’hiver. Le fond de l’air tiédit un peu. Frédéric alimente un feu à l’abri du vent dans un refuge joliment décoré, aménagé au cœur de sa terre. Autour du feu, des bancs d’autos…  recouverts de grandes couvertures. De l’eau chauffe à l’intérieur. Il offrira du chocolat chaud à Judith et à Thierry, qui sont sur le point d'arriver. Deux mois après la greffe, ils vont se voir pour la première fois.

Lentement, Judith parcourt quelque 200 mètres dans un sentier enneigé pour aller rejoindre Frédéric. Elle avoue au passage que son médecin lui a dit qu’elle en a trop fait en voulant reprendre ses activités trop rapidement. Mais depuis une semaine, ça va mieux, dit-elle.

Au bout du sentier, Frédéric l’attend, Marilyn à ses côtés. Tout naturellement, Frédéric s’avance vers Judith pour la prendre dans ses bras, mais les étreintes devront encore attendre. Judith doit garder ses distances. Comme elle est maintenant immunosupprimée, il est trop tôt pour avoir des contacts rapprochés. N’empêche, les sourires sont sincères et parlent d’eux-mêmes.

Quatre personnes sourient autour d'un feu.
Thierry, Judith, Frédéric et Marilyn se retrouvent deux mois après l’opération.Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Les deux couples prennent place autour du feu. Malgré l’intensité de ce qu’ils ont vécu, ils se connaissent peu. Je ne veux pas te mettre mal à l’aise, lance d’emblée Judith, mais elle tient à lui dire à quel point il a changé sa vie. Je suis redevenue moi-même, j’ai recommencé à faire des projets, je réfléchis à mon retour au travail. Je veux voyager et c’est grâce à toi. C’est fou! C’est capoté!

Frédéric l’écoute parler de son projet d’avoir un enfant. On pourra essayer dans une dizaine de mois, dit-elle en regardant Thierry, qui lui rend son sourire. Frédéric parle peu, mais son regard en dit beaucoup. Il est heureux pour elle. C’était ça, l’objectif. Je suis content. Il a bien récupéré de l’opération. J’ai consacré du temps à Judith. C’est ainsi qu’il voit son geste tout en étant conscient qu’il a changé la vie d’une femme.

« C’est un peu comme un inconnu qui m’a sauvé la vie. Maintenant, je suis beaucoup plus relaxe, parce que je n’ai pas besoin de chercher quelqu’un pour survivre. »

— Une citation de  Judith

Ça n’a pas été grand-chose pour te permettre ça, lui répond Frédéric. Il a accepté de participer à ce reportage pour témoigner de la relative aisance avec laquelle il a traversé le processus depuis les rendez-vous à l'hôpital jusqu’à la greffe, puis jusqu’à son rétablissement. Si ça peut inspirer d’autres personnes à le faire…, plaide-t-il.

Judith pense à tous les gens qui attendent un rein. Elle milite pour que le Québec adopte le principe du consentement présumé au don d'organes et de tissus. Toutes les personnes décédées seraient considérées comme des donneuses d'organes et de tissus potentielles, à moins qu'elles n'y aient pas spécifiquement consenti. Frédéric est prêt à la seconder.

Judith et Frédéric autour d'un feu.
Judith et Frédéric ont développé une complicité à travers l’expérience des derniers mois.Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

Qu’adviendra-t-il de leur relation?

Judith aimerait bien, si la chose est possible, garder un lien avec son donneur. Je ne veux pas dépasser la place qu’il veut me donner non plus. Peu importe la suite, elle est heureuse de porter le rein de Frédéric, parce que c’est une bonne personne.

Frédéric ne ferme pas la porte à cette nouvelle amitié. À preuve, après l’après-midi passé autour du feu, les deux couples partageront un bon repas. Une soirée de jeux de société est déjà prévue. Frédéric aime jouer. Ça tombe bien, parce que Judith y prend aussi du plaisir. Des boîtes de jeux sont empilées dans une armoire de la cuisine.

Et il y a ce piano adossé à un mur de la salle à manger. Frédéric a commencé à en jouer il y a un an. Ça me tentait d’apprendre, juste comme ça, dit-il. Étrangement, presque au même moment, Judith a elle aussi acheté un piano. Je voulais voir si j’allais aimer ça, dit-elle en haussant les épaules. La coïncidence fait sourire. Un lien intangible et fascinant était déjà en train de se tisser au rythme de la musique… Rock on.

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