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Un collage photo.
Radio-Canada / Nadine Richard

Qu’est-ce qui différencie les partis en éducation? Pour le comprendre, nous avons demandé à des candidats de chaque formation politique d’être tour à tour suppléants dans la classe de 6e année de « Madame Geneviève ». Une expérience de campagne pas comme les autres.

Texte et photos : Julie Marceau

Début septembre, 8 h 55.

La cloche sonne. Les élèves entrent en classe comme d'habitude, si ce n'est qu'une équipe est là, avec des caméras.

La candidate du Parti conservateur du Québec (PCQ), Carmel-Antoine Bessard, lance le bal.

L'ingénieure est une néophyte en politique et en enseignement. Aucun membre du parti n'est là pour l'accompagner dans ce défi.

Ils ont vraiment été pris de court par toutes les candidatures à Montréal, explique-t-elle.

Nous sommes à l'école primaire Les Explorateurs à Laval, un établissement public dans un milieu multiethnique.

Radio-Canada a imposé deux contraintes aux cinq partis : choisir des candidats qui les représenteront en matière d'éducation et les désigner comme professeurs suppléants dans la classe de Madame Geneviève Côté.

L'enseignante a prévu de la matière pour chacun d'eux, du français à la géographie en passant par les mathématiques et par la physique.

L'enseignante Geneviève Côté avec le ministre sortant de l'Éducation, Jean-François Roberge.
L'enseignante Geneviève Côté explique au ministre sortant de l'Éducation, Jean-François Roberge, la matière qu'il aura à enseigner en classe.Photo : Radio-Canada

La dernière fois que le ministre sortant de l'Éducation a exercé son ancien métier d'enseignant au primaire, c'était il y a huit ans.

J'ai un petit trac, c'est sûr, concède le caquiste Jean-François Roberge au moment où les élèves arrivent.

Premier défi : gérer l'arrivée des élèves et s'assurer qu'ils restent dans la classe.

Monsieur, est-ce que je peux aller aux toilettes?

Madame, est-ce que je peux aller remplir ma bouteille d'eau?

Madame, est-ce que je peux l'accompagner pendant qu'il remplit sa bouteille d'eau?

On appelle ça les battements. Si un groupe a à se désorganiser, c'est là : les entrées et les sorties, explique Jean-François Roberge.

Patrick André Perron manipule la caméra dans la classe de 6e année.
Le réalisateur de Radio-Canada Patrick André Perron dans la classe de 6e année de l'enseignante Geneviève CôtéPhoto : Radio-Canada / Julie Marceau

Je me suis dit : OK, là, il faut que je fasse confiance aux jeunes, raconte la conservatrice.

Ça a été le moment le plus difficile pour ce qui est de ma nervosité, confie la candidate péquiste, Daphnée Paquin-Auger.

Mais chaque candidat a plus d'un tour dans son sac.

5, 4, 3, 2, 1… Daphnée Paquin-Auger, qui a enseigné durant un an avant de pratiquer à titre d'orthopédagogue, éteint la lumière de la classe. Merci à ceux et celles qui sont en silence! dit-elle aux élèves.

Les élèves sont enfin assis. Maintenant, il faut enseigner la matière...

Marie-Ève Rancourt, qui se présente pour Québec solidaire, a la tâche de travailler la compréhension en lecture.

Ce n'est pas parce qu'on a déjà été sur les bancs d'école et qu'on a appris cette matière-là que c'est facile de la transmettre! concède cette avocate et conseillère syndicale à la Fédération autonome de l'enseignement (FAE).

Dans la classe, il y a les bruyants et les studieux, ceux qui, par exemple, ont réponse à toutes les questions, comme Simon Duchesne.

Super, merci! Maintenant, on va essayer de laisser les autres répondre, propose la candidate solidaire.

Et il y a aussi les futés, comme Keith Jean-Charles, qui lit discrètement son roman sous son pupitre.

Jean-François Roberge l'attrape sur le fait : Ah! mon petit coco, tu as caché ton livre ! Y a pas de problème… Tu iras le chercher tantôt.

L'ancien enseignant dépose le roman sur le projecteur suspendu au plafond…

Un élève, Keith Jean-Charles, lit un roman.
Keith Jean-Charles ne peut pas s'empêcher de lire son roman... Photo : Radio-Canada / Julie Marceau

La gestion de classe, c'est le plus difficile, admet Marwah Rizqy, porte-parole en matière d'éducation pour les libéraux depuis quatre ans.

Cette ex-avocate fiscaliste a enseigné à l'université avant de plonger en politique, mais elle a effectué quelques jours de suppléance au primaire durant la pandémie.

Chaque candidat représente une équipe politique qui a son opinion sur ce qu'il faut faire pour améliorer le système d'éducation québécois.

La députée sortante et critique libérale en matière d'éducation Marwah Rizqy.
La députée sortante et critique libérale en matière d'éducation Marwah RizqyPhoto : Radio-Canada

L'école à trois vitesses : cinq partis, cinq visions

Le système d’éducation au Québec fonctionne selon un modèle communément appelé à trois vitesses en raison de la compétition entre le privé et le public ainsi que de l'existence de programmes payants dans le réseau public.

Si la concurrence en éducation paraît efficace et légitime du point de vue de la liberté de choix, elle alimente en réalité un cercle vicieux qui mine la confiance dans la classe ordinaire de l’école publique, écrivait-on dans le rapport du Conseil supérieur de l'éducation (CSE) intitulé Remettre le cap sur l'équité, (Nouvelle fenêtre) publié en 2016. Ce sont des conclusions maintenues par cet organisme qui veille sur le système scolaire québécois depuis 1964.

Les partis politiques promettent tous de n'échapper aucun élève, peu importe le revenu des parents de ceux-ci. Mais ils ont une vision bien différente de ce qu'il faut faire pour y arriver.

Alors que le Parti conservateur du Québec (PCQ) croit qu'il faut plus de concurrence pour favoriser un marché des services au lieu de subventionner des services uniformisés, c'est exactement l'inverse que pense Québec solidaire, qui promet un seul système public fort et gratuit dès un premier mandat.

Regardez la version web de notre reportage :

Les autres partis se trouvent entre les deux.

La Coalition avenir Québec (CAQ) souhaite un système public plus fort mais n'abolit pas les deux autres véhicules, expression que le ministre sortant préfère à celle de vitesses.

Le Parti libéral du Québec (PLQ) met quant à lui un pied à gauche. Il promet d'abolir presque entièrement une des vitesses en éliminant la majorité des frais imposés dans certains programmes particuliers au public, des frais qui peuvent s'élever jusqu'à 14 000 $ actuellement. Il se dit également ouvert à l'idée de ne plus sélectionner les élèves strictement en fonction de leurs bonnes notes. Par contre, à l'instar du PCQ et de la CAQ, le PLQ ne touche pas aux subventions publiques accordées aux écoles privées.

C'est ici que se distinguent le Parti québécois (PQ) et Québec solidaire (QS). Ces deux formations veulent retirer graduellement les subventions accordées aux écoles privées et abolir ce qu'elles qualifient de ségrégation (c'est-à-dire la sélection en fonction des notes et des revenus). Bref, les deux formations indépendantistes visent une seule vitesse : un seul système public fort.

La différence? Le PQ ne sait pas quand ce serait réalisé. On veut instituer une commission Parent 2.0 avant de définir les modalités, nous dit-il. Bref, on veut faire une grande réflexion collective avant d'abolir quoi que ce soit.

La commission Parent, du nom de son président, Mgr Alphonse-Marie Parent (Nouvelle fenêtre), est une commission royale d'enquête sur l'enseignement au Québec qui a été créée et qui a siégé dans les années 1960. Elle est en quelque sorte à l'origine du système éducatif québécois moderne. Notons que si seul le PQ s'engage à mettre sur pied une « commission Parent 2.0 », les autres partis se disent tous « ouverts » à cette idée.

Chez Québec solidaire, on promet d'éliminer immédiatement tous les frais imposés dans le secteur public et de retirer les subventions aux écoles privées dès un premier mandat. Dans son cadre financier, ce parti prévoit ainsi récupérer 100 millions de dollars.

Il a fait très chaud durant le tournage. L'école choisie n'a pas de système de ventilation mécanique, à l'instar de plus d'une école sur deux au Québec.
Il a fait très chaud durant le tournage. L'école choisie n'a pas de système de ventilation mécanique, à l'instar de plus d'une école sur deux au Québec.Photo : Radio-Canada / Julie Marceau

Retour en classe. L'école Les Explorateurs, comme la moitié des écoles au Québec, n'est pas ventilée mécaniquement.

C'est tout un défi quand il fait chaud : il faut garder les élèves…. éveillés.

On se lève, allez allez allez! lance Jean-François Roberge qui, de son propre aveu, avait prévu le coup.

Demander aux élèves de se lever pour se dégourdir, les inviter à se mettre en équipe pour trouver les réponses ou encore sortir ses crayons pour comprendre ce qu'est une frontière : en fait, toutes les stratégies sont bonnes.

À la fin de l'expérience d'enseignement, un échange de 15 minutes a lieu entre chaque candidat et les élèves pour parler politique et élections.

Donc, j'ai été votre suppléante aujourd'hui, mais je suis aussi candidate dans la circonscription de…

Les élèves ont des questions, mille questions. Et elles sont toutes intéressantes et pertinentes, même celles qui surprennent : Est-ce que les politiciens peuvent abaisser le prix des consoles de jeux vidéo, s'il vous plaît? Après tout, si cela permet d'expliquer l'inflation…

Voici quelques-unes de ces questions.

Meagan Lézeau Sillat veut savoir ceci : Avec l'heure passée dans notre classe, est-ce que cela vous a donné des idées pour les écoles?

Du mobilier qui permet à du monde de s'asseoir comme ils veulent! répond le ministre sortant de l'Éducation. Ce ne sont pas toutes les classes qui ont du mobilier différent comme vous!

La classe de Madame Geneviève est en effet flexible. L'enseignante, qui a pratiqué longtemps avec des élèves en adaptation scolaire, ne voulait pas de rangs d'oignons.

La candidate conservatrice Carmel-Antoine Bessard.
La candidate conservatrice Carmel-Antoine BessardPhoto : Radio-Canada / Julie Marceau

Elle a donc installé à la fois des pupitres ainsi que des tables rondes et des sofas pour que chaque élève puisse se concentrer selon ses besoins.

Marwah Rizqy a une réponse différente à la question de Meagan : La composition de la classe! répond la candidate libérale. Vous êtes quand même beaucoup et j'aurais aimé passer plus de temps avec [chacun] de vous. Ça, ça veut dire [qu'il faudrait] revoir le nombre d'élèves dans une classe.

Autre question, de Mathieu Touray Fagang cette fois-ci.

Contexte : plus d'une école sur deux est vétuste au Québec et l'école Les Explorateurs ne fait pas exception. Le gymnase, la bibliothèque et les toilettes sont condamnés le temps d'effectuer les travaux.

Quelle est la solution pour pouvoir faire avancer plus vite les rénovations dans les écoles? demande Mathieu.

Moi, je pense qu'il faut mettre plus de sous encore pour que les travaux s'accélèrent, répond la candidate péquiste.

Les gens qui ont un peu plus de sous peuvent mettre leurs sous dans un gros bol et, avec ce bol, on donne des sous pour rénover les écoles, propose pour sa part la solidaire Marie-Ève Rancourt.

La candidate de Québec solidaire (QS) Marie-Ève Rancourt.
La candidate de Québec solidaire (QS) Marie-Ève RancourtPhoto : Radio-Canada / Julie Marceau

Moi, je suis étonnée que pendant la période estivale, on n'ait pas pu accélérer ces rénovations. Je pense que le timing pour effectuer des rénovations dans les écoles doit être mieux ciblé, affirme la conservatrice Carmel-Antoine Bessard.

Si vous êtes élus, quelle est la première chose que vous allez faire pour l'éducation au Québec? questionne Naika Gaspard.

Un par un, les candidats répondent presque tous la même chose : résoudre la pénurie de personnel.

Il faut s'assurer que tous les élèves aient un enseignant, propose-t-on. Ou encore ceci : Il faut que les élèves puissent avoir de l'aide...

Difficile à expliquer à des élèves de 6e année… mais le diable est dans les détails. Et les partis se distinguent davantage dans le comment on va aller chercher plus d'enseignants et de spécialistes…

La CAQ propose par exemple une plateforme web qui permettrait aux spécialistes d'aider à distance les élèves en difficulté. Le Parti libéral du Québec, Québec solidaire et le Parti québécois évoquent tous la revalorisation de la profession enseignante au moyen d'une révision des conditions de travail (revoir les ratio élèves/enseignant, par exemple), mais QS et le PQ croient que cela passe par un système d'éducation public plus fort.

La candidate péquiste Daphnée Paquin-Auger.
La candidate péquiste Daphnée Paquin-AugerPhoto : Radio-Canada / Julie Marceau

Les conservateurs croient quant à eux qu'un système fondé sur davantage de concurrence aiderait à résoudre le problème. Notons que leur chef, Éric Duhaime, a aussi proposé de mettre à contribution les fonctionnaires dont il supprimerait les postes.

Simon Duchesne, dont l'esprit, rappelons-le, fonctionne à 350 km/h, avait une dernière question :

Comment est-ce qu'on peut être sûrs que vous allez faire ce que vous dites que vous allez faire? Voici ce qu'ils ont répondu en rafale :

  • Jean-François Roberge (CAQ) : Moi, j'aime mieux dire que c'est des engagements plutôt que des promesses.
  • Marwah Rizqy (PLQ) : On ne peut jamais en être certain. L'important, c'est l'imputabilité [c'est-à-dire l'obligation de rendre des comptes, NDLR].
  • Marie-Ève Rancourt (QS) : Quand les élus font des promesses et qu'ils ne les tiennent pas, la population a le droit de les chicaner.
  • Daphnée Paquin-Auger (PQ) : Il faut faire confiance aux élus en apprenant à les connaître.
  • Carmel-Antoine Bessard (PCQ) : J'ai un devoir, un devoir de réussir et de remplir mes promesses.

Au-delà des promesses électorales, l'école, c'est aussi des enseignants qui marquent des vies. Et qui ont marqué nos candidats.

Moi, je suis devenu enseignant à cause de Léonce Simard, un prof exceptionnel, raconte Jean-François Roberge. Quand je l'ai vu aimer sa matière mais surtout aimer les élèves, je me suis dit : ''Moi, je vais être enseignant.''

La candidate solidaire se souvient quant à elle d'un professeur au cégep : Il nous avait dit que les 1 % les plus riches de la planète détenaient 50 % de la richesse mondiale. Cette donnée m'avait tellement choquée, ça a été une étincelle pour mon implication sociale et politique.

Marwah Rizqy et Carmel-Antoine Bessard ont grandi au sein de familles modestes dans les quartiers Hochelaga et Montréal-Nord. Elles ont toutes les deux évoqué le rôle protecteur de l'école.

On n'y pense pas assez souvent, comment c'est un espace protecteur pour les jeunes, souligne Mme Bessard. On ne sait pas ce qu'ils vivent à l'extérieur. [...] Moi, c'était l'école et les bibliothèques. Ça m'a permis de m'évader de ce qui se passait à la maison pour me retrouver dans les livres.

La mère de Marwah Rizqy était analphabète et s'occupait pratiquement seule de quatre enfants, dont un atteint d'une grave déficience intellectuelle. Mon enseignante de maternelle, Pauline, elle nous amenait le matin. [Elle] nous faisait traverser [la rue] pour donner une pause mentale à ma mère, pour nous amener à l'école.

Les candidats s'entendent sur une chose : l'éducation doit être une priorité pour le prochain gouvernement et tout particulièrement pour les élèves les plus touchés par la pandémie, c'est-à-dire ceux qui ont des défis particuliers comme des difficultés d'apprentissage.

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