Des services de pourriels, des trousses d’hameçonnage, des identifiants bancaires volés, des accès à des ordinateurs compromis, de la drogue… Si c’est illégal, il y a de bonnes chances que ça se trouvait sur le site de Canadian Headquarters. Jusqu'à ce qu’une enquête du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC) ferme ce marché clandestin.
La frappe du CRTC se soldera par des amendes pour trois vendeurs et quelques mois de prison pour l’administrateur du site. Aucune accusation ne sera portée pour avoir créé et animé l'un des plus grands marchés du darknet. Les quatre hommes seront réprimandés pour avoir envoyé des pourriels afin d’obtenir des données personnelles, comme des numéros de carte de crédit et des identifiants bancaires.
Créée en octobre 2018 par un internaute surnommé Poseidon, la plateforme fonctionnait de la même manière qu’eBay, mais de façon anonyme sur le fureteur Tor (The Onion Router), et le tout se négociait avec les cryptomonnaies Bitcoin et Monero.
Soyez en sécurité et commandez en ligne, pouvait-on lire sur la page d’accueil, on ne peut plus sobre, agrémentée d’un unifolié dans le coin gauche, sur fond blanc. Faites-vous respecter et respectez les autres. Votre rêve canadien commence ici. Nous nous battons pour votre liberté. Jusqu’au dernier homme debout. L’honneur et l’intégrité sont éternels.
Rien de moins.
En plus d’administrer Canadian Headquarters, Poseidon y a publié 282 annonces sur une période d'environ deux ans, dont une portant sur une méthode permettant de contourner la double vérification de l'Agence du revenu du Canada, vendue pour la jolie somme de 22 606 $.
On trouve des dizaines de sites du genre sur le darknet qui attirent des utilisateurs de partout dans le monde à la recherche d’articles illégaux. Ces plateformes ont toutes plus ou moins de succès, selon le niveau de confiance des acheteurs. La particularité de Canadian Headquarters était de s’adresser spécifiquement aux Canadiens.
À l’automne 2020, le site est devenu l’un des dix plus gros marchés du darknet, et le plus important pour la vente de données dédiées aux fraudeurs, selon l’entreprise montréalaise spécialisée en cybersécurité Flare Systems. Et ce, malgré le caractère strictement canadien du marché. À son apogée, on y compte plus de 105 000 annonces.
La jeune pousse, située dans une ancienne usine d’appareils électroniques du quartier Pointe-Saint-Charles à Montréal, surveille le darknet depuis 2017. Elle alerte les entreprises susceptibles d’être la cible de vols de données ou de fraudes, principalement des institutions financières. Ses employés avaient Canadian Headquarters à l'œil depuis ses débuts sur le web clandestin.
Du fait qu’il s’adressait aux Canadiens, c’était une mine d'informations pour mieux comprendre les menaces qui ciblaient nos clients, affirme le professeur en criminologie à l’Université de Montréal David Décary-Hétu, anciennement directeur de la recherche chez Flare System. On peut penser que les marchés du darknet sont internationaux, mais il existe des plateformes semblables pour les Italiens, les Russes, les Français et les Allemands.
Dans son laboratoire informatique, le chercheur au visage angélique et à la barbe de trois jours écume certains des recoins les plus sombres du web profond avec ses étudiants. Des affiches à l’image de certains des plus grands pirates informatiques, dont Kevin Mitnick ou Ross Ulbricht, décorent le local.
La position de leader dans le domaine de la fraude qu’occupait Canadian Headquarters sur le darknet démontre l’ampleur de ce type de crime au Canada, observe David Décary-Hétu. C’est excessivement développé au Québec, principalement dans les régions de Montréal et Laval, ajoute le chercheur. On est LE hub de la fraude au pays.
C’est d’ailleurs en écumant le site pour y récolter de l’information qu’un employé de Flare Systems dénichera la petite erreur commise par le créateur de Canadian Headquarters qui mènera à la fermeture du marché par les autorités canadiennes.