Après avoir saisi tous les biens de Nikola Tesla, à sa mort, c’est au célèbre ingénieur et physicien du Massachusetts Institute of Technology (MIT) John G. Trump que les services secrets américains avaient confié le délicat mandat de se pencher sur les « Tesla Files » afin de déterminer s’il laissait derrière une quelconque invention scientifique d’importance.
Les documents analysés en secret par John G. Trump, dont le neveu Donald allait un jour devenir président des États-Unis, ont longtemps alimenté les théories du complot. En 2016 et en 2018, cependant, plusieurs centaines de pages de rapports liés à la mort de Tesla ont été déclassifiées par le FBI en vertu de la loi américaine sur l’accès à l’information.
Une lecture fascinante, dans laquelle une lettre en particulier sortait du lot.
Un rapport sans équivoque de John G. Trump écrit après avoir procédé à l’analyse de « toutes les notes et tout le matériel qu’avait en sa possession directe Nikola Tesla au moment de sa mort ».
Il n’y avait là « aucune note scientifique » qui pourrait avoir une valeur pour les États-Unis ou poser problème si elle se retrouvait dans les mains de l’ennemi.
« Cela ne devrait en rien discréditer le travail de ce distingué ingénieur et scientifique dont les grandes contributions à l’art électrique ont été faites au début de ce siècle, mais ses pensées et efforts durant au moins ces 15 dernières années ont principalement été de nature spéculative, philosophique et, d’une certaine façon, promotionnelle – souvent à propos de la production et de la transmission sans fil d’énergie – sans inclure de nouveaux principes rationnels et applicables ni des méthodes pour arriver à pareils résultats », concluait John G. Trump.
Si Nikola Tesla avait mené des expériences au Québec dans les années 30, elles n’avaient visiblement donné aucun résultat.
Chargement de l’image
Sylvain Gingras feuillette un livre sur l'histoire du club Triton.Photo : Radio-Canada / Guillaume Piedboeuf
En arrêtant ma voiture devant la maison de Sylvain Gingras, à Saint-Raymond, je me demandais encore ce que j’allais lui dire.
Nous nous étions parlé maintes et maintes fois au téléphone, sans jamais nous rencontrer en personne. Je m’apprêtais à publier mon enquête incomplète sur Tesla et je venais le prendre en photo.
Il m’a accueilli dans une petite pièce encombrée de livres qu’il achevait de transformer en bureau. Pas très grand, le regard vif, un sourire collé aux lèvres lorsqu’il parlait du Club Triton, il était tel que je me l’imaginais.
Je le savais impatient d’entendre le récit de ma visite au lac Mackay-Smith, mais il n’avait pas semblé déçu lorsque je lui avais confirmé que Nikola Tesla et Henry Sanford n’avaient rien laissé derrière.
« Je suis pas mal certain d’avoir feuilleté tous les registres qui existaient au Club Triton dans les années 80 avant d’écrire mon premier livre, et on n’avait pas vu le nom de Tesla. »
Mais il avait tout de même fait mention du passage de l’inventeur. Et justement, il avait quelque chose à me montrer. En relisant la toute première édition de son livre, sur laquelle je n’avais jamais mis la main, Sylvain Gingras avait lui-même été surpris de retrouver un court passage au sujet de Tesla.
Il ne pouvait dire de qui lui était venue l’histoire, mais il avait lui-même écrit, à l’époque, que c’est à la tour du diplomate français Maurice Heilmann, au lac Elizabeth, que Nikola Tesla s’était rendu plusieurs fois pour mener des expériences. Des travaux mystérieux dont on n’avait jamais vraiment su s’ils étaient « une initiative personnelle ou pour le compte d’un gouvernement ».
J’étais à la fois fasciné et frustré de ne pas avoir entendu cette version des faits plus tôt. D’autant plus qu’elle amenait plus de questions que de réponses. Les témoignages que j’avais amassés pointaient tous vers le domaine Sanford.
J’avais consacré tellement d’énergie au lac Mackay-Smith et mes timides recherches sur Maurice Heilmann n’avaient pas donné grand-chose. Il avait eu deux filles, mais l’on perdait rapidement la trace de sa descendance.
Pour Sylvain Gingras, cependant, tout semblait s’emboîter. Arthur Matthews n’était peut-être pas là, mais son récit sur Tesla concordait. Il disait, après tout, que les expériences du scientifique visaient à transmettre du courant entre une tour au lac Mackay-Smith et une autre à une quinzaine de kilomètres dans les bois.
Celle de Maurice Heilmann au lac Elizabeth.
Chargement de l’image
Le chalet de Maurice Heilmann au lac Élizabeth a été abandonné après son départ du club, en 1939.Photo : Courtoisie Sylvain Gingras
Puis on savait que Tesla, vers la fin de sa vie, avait offert ses nouvelles technologies, aussi bidon soient-elles, à des gouvernements étrangers. Maurice Heilmann avait travaillé toute sa vie pour le gouvernement français.
Bonne chance, toutefois, pour prouver tous ces liens.
« Lors de nos recherches pour le premier livre, on ne connaissait pas vraiment qui était Nikola Tesla. On ne s’était pas vraiment attardé à lui, mais Maurice Heilmann oui », m’a raconté Sylvain Gingras.
À l’époque, une certaine Mme Grenon, qui avait été l’amie d’enfance des filles de Maurice Heilmann au Club Triton, dans les années 1900, prétendait détenir un secret au sujet de la tour du lac Elizabeth. Elle était tombée sur quelque chose qu’elle n’aurait pas dû voir, là-bas, étant jeune. Mais elle avait promis aux filles Heilmann de ne jamais révéler ce qu’elle avait appris.
« On a tout essayé pour la convaincre de nous le dire, mais elle ne l’a jamais fait. Elle est morte avec son secret », m’a-t-il annoncé.
« Entre Nikola Tesla, Henry Sanford et Maurice Heilmann, vous êtes tombés sur les personnages les plus mystérieux du Triton. Vous n’êtes vraiment pas chanceux », m’a-t-il lancé en riant au moment de se dire au revoir.
En quittant Saint-Raymond en direction de Québec, ce soir-là, je me suis repassé l’histoire en tête et demandé si je devais relancer mon enquête. Pousser plus loin mes recherches sur Maurice Heilmann?
Après tout, j’étais toujours incapable de confirmer ou d’infirmer la légende selon laquelle Nikola Tesla avait mené certaines des dernières expériences de sa vie au Québec.
J’avais pourtant l’impression d’avoir atteint le bout de ma quête personnelle.
« C’est exactement ça. L’histoire que l’on racontait à l’époque était que Nikola Tesla avait fait des expériences dans une tour au Triton à propos de l’électricité », m’a joyeusement répondu Donald Grimard lorsque je l’ai rappelé une dernière fois pour lui annoncer la publication de mon histoire. Il était, après tout, l’une de mes rares sources convaincues du passage de Tesla au Triton. Maintenant que je lui racontais mes découvertes, il se souvenait des tours des lacs Elizabeth et Mackay-Smith. Mais ces souvenirs ne venaient pas de lui.
« Je suis sûr que tout cela est vrai. Je vous dis seulement ce qu’on m’a raconté, mais mon père, qui a grandi à Lac-Édouard au début du 20e siècle, en parlait de manière beaucoup plus affirmative. »
De bouche à oreille durant les 85 dernières années, le récit du mystérieux passage d’un inventeur au Club Triton avait voyagé du fond de la forêt québécoise à un peu partout sur la planète.
C’était un peu poétique, me suis-je réconforté, que mon enquête sur la venue de Nikola Tesla en ce vaste territoire ancestral huron-wendat se heurte aux limites et à la beauté de la tradition orale.
Elle exige de croire sur parole.
Durant mon enquête, j’avais parlé à toutes sortes de personnes qui, comme moi, s’étaient penchées sur l’histoire. Des résidents du coin, des scientifiques, des historiens, des citoyens curieux, des ufologues…
Chargement de l’image
Nikola Tesla assis devant une des bobines utilisée durant ses expériences sur le courant sans fil dans son laboratoire de East Houston St.Photo : Tesla Universe
En l’absence de preuve définitive, ceux qui voulaient y croire trouvaient toujours une version plausible de l’histoire, peu importe les éléments contradictoires que je leur apportais.
D’autres n’y voyaient qu’une simple supercherie, peu importe les coïncidences et les étranges récits que j’avais amassés.
Qui avait raison? Qui avait tort?
« L’instinct est quelque chose qui transcende la connaissance », a un jour dit Nikola Tesla. « Nous possédons indéniablement certaines fines fibres nous permettant de percevoir la vérité quand la déduction logique, ou n’importe quel autre effort délibéré du cerveau, s’avère futile. »
Nikola Tesla a-t-il mené des expériences en secret au fond de la forêt québécoise?
Quand la frontière entre mythe et réalité est si trouble, la vérité dépend peut-être du point de vue.