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Martin Prud’homme en entrevue avec notre journaliste Pascal Robidas.
Radio-Canada / IVANOH DEMERS

Radio-Canada a appris que l’ex-grand patron de la Sûreté du Québec (SQ), Martin Prud’homme, est embauché comme directeur général adjoint de la Ville de Montréal, associé à la sécurité publique.

Un texte de Pascal Robidas Photographies par Ivanoh Demers

Huit mois après la fin de son conflit avec le gouvernement Legault qui s’est conclu par une entente à l'amiable confidentielle, Martin Prud’homme assure que la hache de guerre est bel et bien enterrée.

Le policier de carrière affirme que personne ne l’a approché pour occuper ce nouvel emploi. C’est lui-même qui a décidé de sortir de sa retraite en déposant sa candidature lors de l’affichage du poste par la Ville.

Pour moi, c’est du passé, je suis ailleurs maintenant dans ma vie. Je ne vous cacherai pas que ce n’est pas une situation que l’on veut vivre, dit-il en évoquant la fin de sa carrière tumultueuse à la tête de la SQ. Mais je n’aurais pas accepté cet emploi [sans être] heureux. Je sais que c’est un poste qui sera exigeant, mon cœur et ma tête sont là à 100 %, soutient Martin Prud’homme, dans une entrevue accordée en primeur à Radio-Canada.

Selon nos informations, son embauche sera confirmée ce matin, à 11 h, par la mairesse Valérie Plante et le directeur général de la Ville, Serge Lamontagne. À 53 ans, Martin Prud’homme devient le sixième directeur général adjoint de la métropole, dont la direction se nommera sécurité urbaine et conformité.

Il hérite donc des responsabilités du service de police, du service des incendies, des intervenants sociaux communautaires, ainsi que du greffe de la Ville et du service juridique. Ses tâches se limiteront cependant aux questions administratives et ne s'étendront pas à l’aspect opérationnel.

Ce nouvel emploi correspond à mes intérêts et mes compétences, affirme-t-il. J’ai passé 33 ans dans la police et la sécurité publique. Il ne s’agit pas pour moi d’un nouveau départ, mais d’une continuité dans ma vie professionnelle.

Depuis trois mois, la Ville était à la recherche d’une personne qui aurait pour seule priorité la sécurité de la métropole avec une vision transversale et dans une optique de prévention, pouvait-on lire dans l’affichage du poste. La mairesse expliquait en février dernier, au moment d’annoncer la création de ce poste, vouloir ainsi disposer d’un levier supplémentaire afin de faire en sorte que la métropole reste sécuritaire.

La sécurité publique, c’est quelque chose qui évolue constamment, insiste M. Prud’homme.

On n’est plus dans les années où j’ai débuté dans ma carrière policière, alors qu’on avait un service de police très répressif dans l’application de la loi et des règlements. Aujourd’hui, souligne-t-il, on demande aux policiers d’avoir de l’ouverture et de comprendre des problèmes sociaux. Montréal est le meilleur bassin pour apprendre ça.

Gros plan sur Martin Prud’homme.
« Je connais les enjeux. J’habite ici. Montréal, c’est ma ville, tout simplement », insiste Martin Prud'homme.Photo : Radio-Canada / IVANOH DEMERS

À l’instar de la mairesse Valérie Plante, sa vision de la police de l'avenir est orientée vers l’approche communautaire.

L’ex-patron de la SQ connaît incidemment bien le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour l’avoir dirigé de façon intérimaire en 2018, à la demande du ministre de la Sécurité publique de l’époque.

« J’ai travaillé avec Mme Plante quand on m’a demandé de diriger le SPVM. Ça demeure une très belle année dans ma carrière. Elle et moi partageons les mêmes valeurs. Ça a été déterminant dans ma décision de postuler pour devenir directeur général adjoint. »

— Une citation de  Martin Prud’homme, nouveau directeur général adjoint associé à la sécurité publique

Montréal fait face à une hausse marquée de la violence armée dans ses rues. La relation de confiance entre la police et les communautés culturelles de certains secteurs de la ville est également à rebâtir.

Des défis auxquels il souhaite trouver des solutions.

Ironie du sort, j’ai débuté en 1988 à la Sûreté du Québec, alors que la majorité des membres allaient en région. Mais moi, j'ai davantage travaillé avec des policiers de Montréal, plus que tout autre membre de la Sûreté du Québec. J’ai aussi travaillé dans les premières escouades de stupéfiants, comme Carcajou. J’ai été responsable des homicides pour Montréal et la province. J’ai passé ma vie à Montréal.

« Je connais les enjeux. J’habite ici. Montréal, c’est ma ville, tout simplement. »

— Une citation de  Martin Prud’homme, nouveau directeur général adjoint associé à la sécurité publique

Avoir un chef du SPVM qui fasse consensus

Dans une décision sans précédent, l’administration Plante a annoncé le 19 avril dernier qu’elle mettait le processus de sélection du nouveau chef du SPVM sur pause afin de tenir des audiences publiques sur la nomination du candidat.

Lors du Forum montréalais pour contrer la violence armée, tenu en mars, les intervenants sociaux communautaires avaient en effet clairement exprimé vouloir donner leur opinion avant que la Ville ne prenne une décision finale.

Le premier mandat du directeur général adjoint à la sécurité publique sera d’organiser ces audiences publiques rapidement, avait d'ailleurs affirmé la présidente du comité exécutif, Dominique Ollivier.

On veut choisir la meilleure personne, insiste M. Prud’homme. Ce qui est important, c’est qu’on établisse les bons critères dès le départ, pour faire le bon choix. On veut qui? Qu’est-ce que les gens s’attendent à avoir comme personne pour diriger le service de police? C’est important d’avoir leur écoute.

Un homme se tenant devant une caméra et regardant hors champ.
Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal Photo : Radio-Canada / Pascal Robidas

Des négociations ardues avec la Fraternité

Sans contrat de travail depuis le 31 décembre dernier, la Fraternité des policiers et policières de Montréal, qui représente les quelque 4600 agents de la métropole, a commencé à montrer ses couleurs quant au choix du prochain directeur du SPVM.

La semaine dernière, son président Yves Francoeur a plaidé en faveur d’un chef provenant de l’organisation de la police de Montréal et qui saura défendre ses policiers publiquement.

Les relations n’ont pas toujours été harmonieuses entre la Ville et le syndicat des policiers. La Fraternité avait notamment fait la vie dure à l’ancien maire Denis Coderre vers la fin de son mandat en 2017.

Martin Prud’homme espère que sa bonne relation professionnelle avec Yves Francoeur, le chef syndical, sera garante de négociations plus harmonieuses avec la direction générale de la Ville.

Lui et moi, on s’est connus au niveau professionnel en 2018 dans un contexte difficile [de restructuration du SPVM après la crise de confiance]. Éventuellement, il va y avoir un directeur ou une directrice avec qui M. Francoeur va travailler directement, commente-t-il, prudemment.

Martin Prud’homme aura un rôle différent de celui du chef de police. Il participera aux négociations, mais en tant que représentant de la direction générale de la Ville.

« Je ne serai pas directeur. Mais du fait d’être le représentant de la Ville, ça peut juste aider. »

— Une citation de  Martin Prud’homme, nouveau directeur général adjoint associé à la sécurité publique

Montréal, ville sécuritaire?

Depuis le début de l’année, le SPVM dénombre déjà 14 tentatives de meurtre par arme à feu et 21 autres incidents où il y a eu décharges d’arme à feu dans les rues de la métropole.

Autrefois concentrés dans le nord-est de l’île, ces événements violents surviennent désormais un peu partout et à toute heure du jour. La tenue d’un forum en mars dernier sur la violence armée n’est pas un hasard.

Je considère que la Ville de Montréal est sécuritaire. On veut maintenir ça. On veut améliorer le sentiment de confiance de la population envers la police. Les enjeux d’une ville sont différents de ceux d’une région. Montréal est la plus grande ville au Québec. Les enjeux de santé mentale et d’itinérance sont multipliés, analyse le nouveau responsable de la sécurité publique.

Et Montréal a les ressources nécessaires pour contrer la violence armée, soutient-il.

Pour moi, le Service de police de la Ville de Montréal est l’un des meilleurs en Amérique du Nord. Je le sais pour l’avoir dirigé. Les enjeux sont de taille à Montréal. Je dis aux policiers de continuer à faire leur travail et de s’adapter à la réalité sociale. La profession change. On va leur donner les outils nécessaires, promet-il.

Le sentiment de sécurité à Montréal passe aussi par le lien de confiance entre la police et la population, reconnaît-il.

« Je veux une transparence envers la population. C’est également le cas avec les médias. Si on n’arrive pas à ça, on aura beau faire les meilleures choses, les gens n’auront pas confiance. »

— Une citation de  Martin Prud’homme, nouveau directeur général adjoint associé à la sécurité publique

Qui est Martin Prud'homme?

Martin Prud’homme a une longue feuille de route dans le milieu policier.
Martin Prud’homme a une longue feuille de route dans le milieu policier.Photo : Radio-Canada / IVANOH DEMERS

Parcours professionnel

1988 à 2009 : policier et haut gradé à la Sûreté du Québec :

  • Il se spécialise dans la lutte contre le crime organisé dans les années 1990;

  • Il devient haut gradé au tournant des années 2000, puis inspecteur et adjoint au responsable des crimes contre la personne;

  • La disparition de Cédrika Provencher sera le dossier d’enquête le plus médiatisé de sa carrière d’enquêteur.

Juillet 2009 à mars 2011 : premier policier en fonction à devenir conseiller associé au sous-ministre de la Sécurité publique.

Mars 2011 à août 2014 : nommé sous-ministre au ministère de la Sécurité publique.

Octobre 2014 à août 2021 : nommé directeur général de la Sûreté du Québec à 46 ans. Dans un discours émotif prononcé devant ses 300 gradés à l’automne 2017, il annonce que le retour des Hells Angels au Québec devient sa priorité.

  • De décembre 2017 à novembre 2018, il prend la tête du SPVM comme directeur intérimaire à la demande du ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux. Son mandat consistera à réformer la police de Montréal qui se relève à peine de l’une des pires crises de confiance de son histoire.

Dès aujourd’hui, il devient directeur général adjoint associé à la sécurité publique de la Ville de Montréal.

Relations de longue date

Beau-père : Robert Lafrenière, ancien commissaire de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) qui a quitté l’organisation dans le tumulte, avant la fin de son mandat, en octobre 2018.

Conjointe : Dominique Lafrenière, fille de l’ex-commissaire de l’UPAC Robert Lafrenière ainsi qu’ex-grande patronne de la Direction des enquêtes criminelles à la Sûreté du Québec, jusqu’à son retour aux études en août 2020.

Ami de longue date : Guy Ouellette, député indépendant. Il a momentanément été soupçonné d’être à l’origine de fuites journalistiques dans plusieurs dossiers de corruption. Aucune accusation ne sera finalement portée contre lui dans la foulée de son arrestation par l’UPAC en octobre 2017. L’actuel commissaire Frédérick Gaudreau a jugé son arrestation « injustifiée » à l’automne dernier. Il lui a présenté des excuses publiques au nom de son organisation policière pour les préjudices subis par cette arrestation.

Sa bataille contre le gouvernement Legault

La chasse aux fuites journalistiques lancée à l’époque par le commissaire Robert Lafrenière, alors à la tête de l’UPAC, serait à l’origine de la suspension de Martin Prud’homme à la tête de la SQ.

24 octobre 2017 : Un appel téléphonique entre Martin Prud’homme, grand patron de la SQ, et la grande patronne du Directeur aux poursuites criminelles et pénales (DPCP), Me Annick Murphy, tourne au vinaigre. Cet appel portait sur l’enquête Serment du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), menée par Me Murphy, visant à déterminer la source de fuites au sein de l’UPAC.

6 mars 2019 : 16 mois après l’appel téléphonique, Me Murphy décide de déposer une plainte criminelle contre Martin Prud’homme. Il est relevé de ses fonctions avec solde comme directeur général de la Sûreté du Québec.

24 mars 2020 : Le Directeur des poursuites criminelles et pénales juge, après analyse du dossier remis par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), qu’il n’y a pas matière à porter des accusations contre Martin Prud’homme. Ce dernier est entièrement blanchi de toute accusation de nature criminelle. Il n’est cependant pas réintégré dans ses fonctions alors que la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, mandate un comité d’experts pour se pencher sur une possible faute déontologique qu'il aurait commise et pour laquelle il risquerait la destitution.

Mai 2020 : Martin Prud’homme rencontre enfin le comité d’experts qui doit décider de son sort. Il affirme s’être livré à un long monologue de quatre heures sans qu’aucun des trois membres ne lui pose de question, avant, pendant et après l’entretien. Cette affirmation ne sera pas commentée par le gouvernement Legault.

Été 2020 : Les avocats de Martin Prud’homme ont des échanges avec ceux du gouvernement du Québec. Des tractations auraient eu lieu sur la possibilité d’un départ à la retraite de Martin Prud’homme, en retour de l’arrêt des procédures disciplinaires contre lui. Encore une fois, le gouvernement Legault n’a jamais commenté cette déclaration.

16 octobre 2020 : La ministre de la Sécurité Geneviève Guilbault annonce que la Commission de la fonction publique du Québec va entamer le processus de destitution. La recommandation doit être entérinée par les deux tiers des élus de l’Assemblée nationale.

16 novembre 2020 : Martin Prud’homme riposte en déposant une requête devant les tribunaux contre le gouvernement Legault pour avoir organisé illégalement un processus de destitution pour le faire congédier.

30 août 2021 : Une entente à l’amiable survient entre le gouvernement du Québec et Martin Prud’homme. La hache de guerre est enterrée.

Plus de 26 mois après sa suspension, Martin Prud’homme est non seulement blanchi de toute accusation de nature criminelle, mais aussi de tout blâme déontologique en vertu de la Loi sur la police.

Dans une lettre qu’il adresse aux membres de la SQ, il annonce du même coup son départ à la retraite. Les modalités de l’entente ont été classées confidentielles.

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