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Vendre aux enchères des maisons situées trop près de la rive pour les déménager à l'abri des vagues, c'est ce qu'a fait la Municipalité de Sainte-Flavie pour faire d'une pierre trois coups : faire face à la crise du logement, à l'érosion côtière et à la dévitalisation communautaire.
Contre vents et marées, ce projet a transformé ce coin de l’Est-du-Québec en laboratoire sur la résilience côtière.
Gracieuseté de Jacques Amiot
Photo: La rive de Sainte-Flavie est grugée au fil des années par le fleuve Saint-Laurent. Crédit: Gracieuseté de Jacques Amiot
D’Yverdon-les-Bains, le coup de foudre pour Sainte-Flavie
Début 2020, dans les premières semaines de la pandémie de COVID-19, les Québécois Olivia Bernier et Jimmy Lepage vivent à Yverdon-les-Bains, tout près de Lausanne, en Suisse. Elle est hygiéniste dentaire et lui, ambulancier.
On était censés aller en Nouvelle-Zélande, mais nos visas ont été annulés à cause de la pandémie et, comme plusieurs, nos projets ont un peu changé, raconte Olivia Bernier.
De retour au Québec, le couple entreprend un changement complet de style de vie. Un retour aux études s’impose puisque lors de leur séjour en Suisse, les deux ont eu le coup de foudre pour l’agriculture locale et se sont lassés du réseau de la santé.
Jimmy Lepage et Olivia Bernier ont eu le coup de foudre pour Sainte-Flavie.Photo : Radio-Canada / François Gagnon
La santé, c’est un super beau domaine, mais c’est très difficile et très exigeant à temps plein, laisse tomber Olivia Bernier, qui a terminé un diplôme d’études professionnelles en production agricole en 2021 à Québec.
En Suisse, on vivait dans un milieu plus rural, avec des champs. C’était la campagne. On avait un abonnement pour des paniers de légumes et ça nous a fait triper, raconte Jimmy Lepage, le sourire aux lèvres.
Débute alors la réflexion du couple pour lancer une production maraîchère. Originaire de Sainte-Flavie, à la porte de la Gaspésie, Olivia Bernier propose de reprendre une partie de la terre familiale, située sur le bord de la route 132.
Sainte-Flavie se veut la porte d'entrée de la Gaspésie touristique.Photo : Radio-Canada / François Gagnon
« Magasiner des terres agricoles [ailleurs] au Canada, c’était juste impensable alors qu’on a un joyau ici, à Sainte-Flavie! »
Le jeune couple souhaite d’abord se faire construire une minimaison écologique sur le terrain familial, mais l’explosion des coûts des matériaux a vite fait avorter le projet.
Or, au même moment, la maison située en face de la terre familiale, de l’autre côté de la 132, est mise en vente aux enchères par la Municipalité.
Il s’agit d’un projet pilote qui est depuis plus de 10 ans sur la table à dessin de l’administration municipale et qui tire ses origines des grandes marées dramatiques de décembre 2010.
Radio-Canada
Photo: Les grandes marées de 2010 ont secoué plusieurs municipalités de l'Est-du-Québec. Crédit: Radio-Canada
« Le traumatisme communautaire » des grandes marées
S’il y a un événement qui a marqué les esprits dans plusieurs communautés riveraines de l’Est-du-Québec, ce sont les grandes marées du 6 décembre 2010.
Une marée exceptionnellement haute de 5 m – une première en plus de 100 ans – une pression atmosphérique particulièrement élevée et des vents à 80 km/h ont déchaîné les eaux du fleuve Saint-Laurent comme jamais.
L’état d’urgence a été décrété dans plusieurs municipalités, 500 personnes ont dû être évacuées et la tempête a causé pour plusieurs dizaines de millions de dollars de dégâts au Bas-Saint-Laurent, en Gaspésie et sur la Côte-Nord.
Aux premières loges de cette tempête, Sainte-Flavie a vu plusieurs de ses résidences être frappées de plein fouet par les vagues.
Conséquence de ces grandes marées : une cinquantaine de maisons inondées ont dû être démolies dans cette petite municipalité d’environ 900 habitants.
C'était un électrochoc à l’époque et un traumatisme communautaire, selon le maire actuel de Sainte-Flavie, Jean-François Fortin.
On a appris à la dure. [...] On a réalisé que les changements climatiques étaient vraiment quelque chose d’incontournable, sur lesquels on ne pouvait pas fermer les yeux, explique-t-il.
Plus de dix ans plus tard, des traces des grandes marées de 2010 sont encore visibles et la population de Sainte-Flavie est toujours marquée par cet événement.
Beaucoup de gens vivent avec un choc post-traumatique d’avoir vécu un danger imminent, soutient Jean-François Fortin.
Jean-François Fortin, maire de Sainte-FlaviePhoto : Radio-Canada / François Gagnon
La Municipalité se lance alors dans un vaste chantier pour chercher à comprendre ce qui s’est passé et, surtout, se prémunir contre les prochains aléas du fleuve. Parce qu’autrement, au Québec, pour se relever d’une catastrophe de la sorte, le ministère de la Sécurité publique n’offre qu’une aide d’urgence. Sainte-Flavie, elle, veut se doter d’une approche préventive.
On voit que les Municipalités ont des responsabilités en termes de protection de leurs citoyens, note le maire Jean-François Fortin. Pour faire de bons plans, ça prend de l’information factuelle qui permet de prendre de bonnes décisions.
Des partenariats sont donc conclus avec, notamment, la Chaire de recherche en géoscience côtière de l’Université du Québec à Rimouski. Pendant près de 10 ans, on documente la réalité côtière changeante de Sainte-Flavie.
Des bornes de mesure sont installées au bord de la mer pour calculer les impacts de l’érosion et de la submersion. En comparant des photographies aériennes datant des années 1940 à aujourd’hui, les autorités municipales ont pu attester de l’érosion de la côte, qui lui a grugé une nouvelle forme comme un serpent.
Il y a des endroits où la côte recule de manière nette et accentuée et il y a d’autres endroits où ce sont des mouvements de va-et-vient, explique M. Fortin.
Les berges de Sainte-FlaviePhoto : Radio-Canada / Samuel Ranger
À l’aide de ces données, une cote de vulnérabilité est attribuée à toutes les résidences en bord de mer sur le territoire de la municipalité et il est maintenant clair qu’une trentaine de maisons sont sujettes à des bris liés à l’érosion côtière dans un horizon de 10 à 20 ans.
Sainte-Flavie profite alors d’un programme du ministère de la Sécurité publique (MSP) et propose un projet, indique le maire Fortin, pour donner des options aux gens dont les résidences sont à risque en vertu des données récoltées.
Le MSP verse 5,5 millions de dollars pour financer des indemnités de départ ou de relocalisation pour les maisons à risque à Sainte-Flavie. Les propriétaires auraient donc le choix de déplacer leur maison sur le même terrain, mais plus loin de la côte, de quitter leur maison qui serait alors démolie aux frais du MSP ou de rester sur place.
Pour la Municipalité, il n’était cependant pas question de mettre un couteau à la gorge des gens pour les obliger à se départir de leur maison. Ainsi, s’ils décidaient de rester, les propriétaires de ces maisons, en cas de sinistre, seraient toujours admissibles à l’aide d’urgence accordée par le MSP.
De la trentaine de maisons considérées à risque, 21 ont été rétrocédées à la Municipalité par leurs propriétaires, qui ont empoché l'indemnité de départ du ministère.
Plusieurs de ces propriétaires qui sont partis sont des personnes plus âgées qui ne voulaient pas particulièrement s’embarquer dans le complexe processus de déplacer leur maison.
La Municipalité se retrouve alors avec un problème qu’elle n’avait pas anticipé : elle doit démolir une vingtaine de maisons sur son territoire.
Dans une petite communauté comme Sainte-Flavie, d’avoir 21 maisons à risque d’être démolies [...] c’est une perte de vitalité foncière, monétaire, mais je dirais même davantage de vitalité communautaire, explique Jean-François Fortin.
« Ces maisons-là, l’unique tare qu’elles avaient, c’était qu’elles étaient trop près de la mer! [...] Elles pourraient bien avoir une deuxième vie! »
La Municipalité propose donc au Ministère de modifier le partenariat conclu précédemment : au lieu de démolir les maisons rétrocédées, elles seront mises aux enchères et les nouveaux propriétaires s'engageront à les déménager à leurs frais.
Les profits engendrés par la vente aux enchères seraient entièrement versés au ministère. Une approche jugée environnementale, écologique par le maire de Sainte-Flavie.
Dans un contexte de pénurie de logements, c’est aussi un moyen de donner accès à la propriété à de jeunes familles, ajoute M. Fortin.
Or, Sainte-Flavie se heurte à un refus de la part du MSP.
Ça ne s’est jamais fait au Québec, le cadre ne le permet pas, peut-être qu’un jour on va le faire, mais l’entente qu’on a avec vous ne le permet pas, se souvient le maire Fortin. Nous, ce qu’on disait au ministère, c’est qu’ils allaient sauver de l’argent parce que les maisons n’allaient pas être démolies et qu’elles seraient déménagées aux frais des acquéreurs.
Débute alors un bras de fer entre la petite municipalité et le ministère. Sainte-Flavie annonce qu’elle va de l’avant avec son projet avec ou sans l’appui du MSP. La réponse des fonctionnaires est alors catégorique : C’est illégal.
Réplique de Sainte-Flavie : Poursuivez-nous alors!
Vous aurez l’odieux de poursuivre une petite municipalité qui veut innover, qui veut conserver sa vitalité, raconte Jean-François Fortin, sourire en coin. Du point de vue des communications, on se disait qu’on avait un dossier gagnant!
Une rencontre est alors organisée entre la vice-première ministre du Québec et ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, le maire de Sainte-Flavie et la mairesse de Sainte-Luce de l’époque, Maïté Blanchette-Vézina – dont la municipalité voisine est aussi aux prises avec des problèmes d’érosions côtières –, pour présenter cet amendement au partenariat.
[Geneviève Guilbault] s’est retournée vers le sous-ministre et a dit : "Ça a bien de l’allure, on va le faire!" se souvient M. Fortin.
Victoire pour Sainte-Flavie, qui a pu organiser une centaine de visites pour les 21 maisons à vendre aux enchères. Les visiteurs, en moyenne âgés de 25 à 40 ans, venaient majoritairement du Bas-Saint-Laurent.
Environ le quart venait de l’Estrie, de Montréal, de Québec. Des gens qui voulaient quitter la ville – pis on les comprend – pour un mode de vie différent, ajoute M. Fortin.
Des 21 maisons en vente, 7 ont été achetées lors d’une mise aux enchères publiques le 31 janvier 2021. Parmi les acheteurs, Olivia Bernier et Jimmy Lepage, qui ont pu mettre la main sur la maison située en face de leur terre agricole.
Le chronomètre a alors démarré pour déplacer la maison vers son nouvel emplacement.
Radio-Canada / Jean-Philippe Guilbault
Photo: La maison doit être soulevée pour ensuite être déplacée vers un autre terrain. Crédit: Radio-Canada / Jean-Philippe Guilbault
Une maison en mouvement
La scène est impressionnante : sous une pluie battante de mai, la maison surélevée et déposée sur d’immenses poutres d’acier pivote sur un angle de 45 degrés.
Autour, six travailleurs vérifient que le bâtiment bouge comme il faut et que rien n’accroche. La météo complique leur travail depuis le début de la journée et c’est sans compter le vent en provenance du large.
Au Bas-Saint-Laurent, les entreprises qui offrent des services de soulèvement et de déplacement d’une maison vers un autre terrain se comptent sur les doigts d’une main. Leur carnet de travail se remplit plus rapidement. De plus en plus de bâtiments côtiers doivent être déplacés en raison des changements climatiques qui s’accélèrent.
On peut en déménager quatre ou cinq par année, indique Gilles-Éric Lavoie, président des Entreprises Lavoie et Fils, de Rimouski.
Dans les mois qui ont suivi les grandes marées de décembre 2010, son entreprise a procédé à 16 déplacements de bâtiments le long de la route 132 entre Sainte-Flavie et Sainte-Luce.
Bouger des maisons est une affaire de famille pour les Lavoie. Jean-Yves Lavoie, le père de Gilles-Éric, a fondé l’entreprise en 1952. Le fils a repris les rênes en 2007 et son propre fils y travaille aussi. Sur les chantiers, le contremaître est le frère de Gilles-Éric, Stéphane Lavoie.
Soulever puis déplacer une maison n’est pas une mince affaire et l’opération peut durer jusqu’à un mois, selon la structure du bâtiment.
À chaque maison, on apprend quelque chose! lance Gilles-Éric lorsque rencontré sur le chantier de la maison de Jimmy Lepage et d’Olivia Bernier.
Gilles-Éric Lavoie, président des Entreprises Lavoie et FilsPhoto : Radio-Canada / François Gagnon
À première vue, la tâche à accomplir semble plutôt simple (faire traverser une maison de l’autre côté de la route 132 sur une terre agricole vide), mais les étapes pour y parvenir sont nombreuses.
Un travailleur vient d’abord trouer le mur nain au-dessus de la fondation pour y passer des poutres d’acier qui serviront à soulever la maison. D’autres poutres sont ensuite installées pour solidifier les poutrelles ajourées situées dans le sous-sol de la maison, qui servent de support pour le plancher du rez-de-chaussée.
Il est ensuite possible de soulever la maison de quelques centimètres d’abord pour détacher la structure de sa fondation. La maison est ensuite soulevée à un rythme de 4 pieds par heure et la structure est à nouveau solidifiée avec d’autres poutres d’acier.
Un système d’immenses rouleaux d’acier est utilisé pour faire pivoter puis glisser la maison jusqu’au bord de la route. Un ingrédient surprise est d’ailleurs dans le coffre à outils pour assurer un bon glissement des poutres d’acier les unes sur les autres lors de cette étape cruciale : de bons vieux pains de savon!
Des pains de savon sont utiles pour faire glisser la maison sur les poutres d'acier.Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Guilbault
En parallèle au chantier à l’intérieur et autour de la maison, des démarches doivent être menées auprès des entreprises de câblodistribution et d’Hydro-Québec pour faire baisser les câbles longeant la route et pouvoir faire passer la maison.
Beaucoup de bureaucratie et de délais, des procédures dont la forme peut également varier d’un organisme et d’une compagnie à l’autre et qui complexifient le déménagement.
Au fil de ce processus-là, on apprend avec tout le monde, autant avec les notaires qu’avec la Municipalité, raconte Olivia Bernier, qui a pu compter sur l’aide de Sainte-Flavie pour les procédures auprès d’Hydro-Québec et de Telus.
Les Entreprises Lavoie et Fils doivent pendant ce temps obtenir des permis de la part du ministère des Transports du Québec (MTQ) et la présence d’agents de la Sûreté du Québec pour la fermeture d’un tronçon de la route en pleine nuit, demande qui peut être particulièrement complexe lorsque la maison doit voyager sur plusieurs kilomètres. Il s'agit de démarches très coûteuses qui font rapidement baisser la marge de profit des entrepreneurs.
Avec les nombreux déménagements à prévoir en raison de l’érosion des côtes, des réunions ont été organisées avec les municipalités de Sainte-Flavie et de Sainte-Luce pour mettre ça moins lourd lorsqu’il est question de demander des permis.
Le maire de Sainte-Flavie confirme qu’il y a là une autre bataille politique avec le ministère des Transports pour faciliter l’obtention de permis pour déplacer les maisons sur la voie publique.
« Le MTQ doit comprendre qu’il faut [...] mettre de l’huile dans l’engrenage plutôt que de l’huile sur le feu. »
L’idée d’organiser des convois de plusieurs maisons qui pourraient bouger en même temps est d’ailleurs étudiée afin de minimiser les coûts.
En plus des enjeux administratifs et techniques, déménager une maison comporte des défis financiers. Les options offertes par les institutions financières ne cadrent pas avec un projet aussi particulier.
Financer une maison qui bouge, ça n’existe pas! indique Olivia Bernier, qui, avec son conjoint, a dû faire preuve de créativité pour arriver à ses fins.
Surtout qu’avant de remporter la mise lors de l’enchère sur la maison, le jeune couple a dû naviguer à l’aveugle pour estimer les coûts du projet.
On essayait d’avoir des soumissions des entrepreneurs pour voir combien ça pouvait coûter, c’étaient quoi les investissements à prévoir [...] et c’était difficile au début de tâter le pouls et d’avoir un prix, raconte Jimmy Lepage.
De fil en aiguille, le couple a réussi à négocier un financement avec une institution financière en échange d’une mise de fonds plus élevée qu’elle le serait dans le cas d’un achat standard de maison.
De plus, les premiers déboursés de l’institution financière viendront uniquement après que la maison sera installée à son nouvel emplacement.
Les montants d'argent en attendant que la maison soit sur son nouveau solage sont financés par nos propres moyens, déplore Olivia Bernier. Mais les travaux sur cette maison-là, les plus gros investissements, ce sont justement pour la déplacer.
Ces investissements, ils sont nombreux : la mise de fonds pour l’enchère, les travaux d’excavation, le déplacement de la maison et couler les nouvelles fondations totalisent plusieurs dizaines de milliers de dollars.
Pour faire baisser les fils électriques et de télécommunications, la facture peut rapidement grimper à 15 000 $.
Radio-Canada
Photo: Une maison est déplacée en pleine nuit sur un camion. Crédit: Radio-Canada
La pluie se fait plus diffuse, mais les rafales en provenance du fleuve sont encore plus glaciales. En pleine nuit, des équipes s’affairent autour de la maison maintenant déposée sur un camion.
À bord de nacelles, les employés de Telus puis d’Hydro-Québec déconnectent les câbles des poteaux pour les déposer au sol. Peu après 2 h du matin, c’est le grand moment : le camion traverse le premier fossé au bord de la 132, entraînant la maison avec lui.
Gilles-Éric Lavoie est aux commandes du camion qui déplacera la maison.Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Guilbault
Aux commandes, Gilles-Éric Lavoie découvre toutefois que la météo a un nouveau défi à lui proposer. Sous la pluie des dernières heures, le sol s’est humidifié et, au moment de franchir le deuxième fossé, la terre se creuse plus que prévu. Le bas de la maison accroche donc le bitume de la route et on arrête immédiatement l’opération.
Ce pépin n’est rien pour décourager l’entrepreneur, qui utilise un autre véhicule lourd pour l’aider à gagner les quelques centimètres qui manquent pour faire traverser la maison sans accroc.
Un côté de la maison s'est en partie enlisé lors de son transport.Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Guilbault
Tu vois! Quand je te parlais qu’on avait toujours des défis! lance Gilles-Éric Lavoie une fois à l’extérieur de son camion.
En une heure, la maison est maintenant suspendue au-dessus de son nouvel emplacement et sera prochainement déposée sur de nouvelles fondations.
En plus des monteurs de ligne de Telus et d’Hydro-Québec et des travailleurs de Gilles-Éric Lavoie, l’opération était surveillée d’un œil attentif par Carmen Blanchette.
En retrait, l’ancienne propriétaire ne voulait absolument pas manquer ce nouveau chapitre dans la vie de la maison bâtie par son mari.
Gracieuseté de Carmen Blanchette
Photo: La maison a été construite en 2001 par Jean-Guy Gagné. Crédit: Gracieuseté de Carmen Blanchette
Le marin et son rêve d’habiter au bord de la mer
Si cette maison change de mains et de terrain, ce n’était pas le plan prévu par celui qui l’a bâtie.
Jean-Guy Gagné et Carmen Blanchette ont habité au bord de la mer, à Sainte-Flavie, pendant presque 20 ans.
Pour lui, il n’était pas du tout question de laisser la maison! se souvient Carmen Blanchette.
Le destin en a voulu autrement : le 14 février 2020, son mari est foudroyé par un anévrisme et meurt quelques jours plus tard.
Seule à 80 ans, Carmen Blanchette doit alors s’occuper de la maison familiale, qui est désormais catégorisée comme étant à risque d’érosion côtière et visée par le programme préventif de la Municipalité.
À mon âge, je ne pouvais pas envisager de déménager ma maison, d'acheter un autre terrain, explique Mme Blanchette.
Carmen Blanchette réside maintenant à Mont-Joli.Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Guilbault
La question a alors été posée : devait-elle vendre la maison que son défunt mari avait bâtie de ses propres mains?
Habiter à quelques mètres de la côte était un rêve devenu réalité pour le couple, particulièrement pour Jean-Guy Gagné, qui entretenait un profond attachement pour la mer.
C’était un homme de bateaux, il a toujours aimé ça, il adorait ça, raconte Carmen Blanchette.
Son mari était un artiste qui, à temps perdu, construisait des modèles réduits de grands bateaux dans son atelier.
Un modèle du Queen Mary II et du Titanic trônent d’ailleurs toujours dans le nouveau salon de Mme Blanchette, qui demeure maintenant à Mont-Joli.
« C’était un marin, dans le fond! Tu peux enlever le marin de l’eau, mais tu ne peux pas enlever l’eau du marin. »
Jean-Guy Gagné était très attaché à la maison qu'il a lui-même construite.Photo : Gracieuseté de Carmen Blanchette
De mars à septembre 2001, il a construit lui-même la maison en bord de mer et le couple y a résidé pendant une vingtaine d’années. Jean-Guy Gagné et Carmen Blanchette n’ont jamais craint pour leur sécurité ou pour l’intégrité du bâtiment, même en plein cœur des grandes marées de 2010.
Ç'a été un monstre [en 2010] puis, après ça, il n’y en a plus eu et les marées n’étaient pas trop pires, note Carmen Blanchette.
Dans les semaines qui ont suivi le décès de Jean-Guy Gagné, Carmen Blanchette a consulté sa famille et a finalement accepté l’allocation de départ de la Municipalité, une solution qu’elle voit maintenant comme un cadeau.
C’est sûr que, émotionnellement, ç'a été une autre paire de manches! confie-t-elle.
En cédant la maison à la Municipalité, la famille craignait surtout qu’elle soit démolie et que s’envolent en poussière tous les souvenirs qui y étaient liés.
Quand j’ai su qu’elle avait été vendue [...] j’ai autant pleuré de joie que de peine! s’exclame Mme Blanchette, qui est très enthousiaste et soulagée de voir une nouvelle génération reprendre la maison et y développer un projet agricole.
« Je suis sûre que si Jean-Guy était conscient de ça, il serait très content. »
Avec le recul, déplacer la maison demeure la meilleure option, car même si elle a été épargnée par les vagues par le passé, les changements climatiques amplifient le phénomène de l’érosion côtière.
Il ne faut pas s’en cacher, on est en train de détruire notre belle Terre! se désole Carmen Blanchette. C’est peut-être une goutte d’eau dans l’océan, mais au moins je la verse, ma goutte!
La terre sur laquelle Olivia Bernier et Jimmy Lepage lanceront leur production maraîchère.Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Guilbault
La patience, c’est ce que Jimmy Lepage et Olivia Bernier retiennent des premiers mois de leur aventure à Sainte-Flavie, une vertu qui n’est pas inconnue à ces deux agriculteurs en devenir qui plancheront maintenant sur leur projet horticole communautaire.
Leur objectif : offrir aux gens de la municipalité et aux visiteurs un lieu pour s’approvisionner en légumes et créer un point de rencontre pour discuter des questions climatiques et y trouver des solutions locales. On est à l’entrée de Sainte-Flavie, c’était donc important pour nous d’accueillir les gens dans la région, fait remarquer Olivia Bernier. On a une belle région et des terres à découvrir! Celle qui a d’abord observé une baisse de dynamisme dans la Municipalité est maintenant enjouée de pouvoir contribuer à son renouveau.
« J’ai un sentiment d’appartenance assez fort à Sainte-Flavie et j’aimerais ça redonner et revaloriser. Il y a des projets qui sont sortis de Sainte-Flavie et ça a fait du bien. »
La maison de Jimmy Lepage et d'Olivia Bernier sur son nouvel emplacement.Photo : Radio-Canada / François Gagnon
D’autres pourraient bientôt se joindre à cette nouvelle vague flavienne : les 14 maisons n’ayant pas trouvé preneur lors de la première mise aux enchères seront peut-être déplacées dans le cadre d’un projet à déterminer par la Municipalité. C’est sans compter que l’expérience de Sainte-Flavie est attentivement suivie par d’autres municipalités riveraines du Québec.
C'est le cas de sa voisine, Sainte-Luce, qui a procédé dans les dernières semaines à la vente de cinq maisons selon le même procédé.