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Un enfant dans sa chambre décorée de plusieurs chandails de hockey.
Radio-Canada / Ivanoh Demers

Texte : Delphine Jung | Photos : Ivanoh Demers

Des centaines d’heures sur la route. Des milliers de kilomètres à parcourir. Un univers fait de rondelles et de bâtons, de médailles et de chandails. Ce jeune Autochtone vit au rythme de sa passion pour le hockey, encouragé par ses parents qui mettent tout en œuvre pour le faire progresser. Rencontre.

Les vidéos de Washiiyeh récoltent des centaines de milliers de vues sur les réseaux sociaux. Beaucoup ont déjà pu observer ce jeune Anichinabé de 10 ans glisser sur sa patinoire maison et tâter de la rondelle avec une dextérité impressionnante.

Des chandails de joueurs de hockey ornent les murs d'une chambre à coucher.
Le jeune garçon a eu la chance de rencontrer le premier joueur inuk à évoluer dans la LNH, Jordin Tootoo.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Il faut dire que sa famille a le hockey tatoué sur le cœur. Sa maman, Nicole Ratt, Anichinabée de Lac-Barrière, a déjà été gardienne dans une ligue masculine, les ligues féminines n’existant pas encore à l’époque. Son papa, Andrew Jeannotte, Mik’maw de Gaspeg, est quant à lui entraîneur pour les pee-wee et préside l’Association hockey mineur de Maniwaki. Son oncle, Casey Ratt, est un ancien joueur des Élans de l’Outaouais, de calibre midget AAA.

Les médailles remportées par Washiiyeh Jeannotte et son frère Mason.
Andrew et Nicole, les parents de Wash, sont extrêmement fiers de leurs deux fils. Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Dans la chambre de Washiiyeh, plusieurs chandails sont accrochés aux murs au milieu de quelques tambours. Des coupes, des médailles et des photos, dont l’une du petit joueur aux côtés de Jordin Tootoo, le premier Inuk à jouer dans la Ligue nationale de hockey (LNH).

Mais son joueur préféré, c’est Carey Price. Évidemment. Son équipe de cœur, le Canadien de Montréal. Rien à voir avec son grand frère, Mason, 13 ans, qui n’a d’yeux que pour les Maple Leafs de Toronto et leur joueur vedette, Auston Matthews.

Les soirées de match où les deux équipes s’affrontent sont mouvementées…

Washiiyeh Jeannotte et son père Andrew.
Des dizaines de casquettes, des médailles, des rondelles… Wash s’endort tous les soirs dans cet univers et rêve en grand.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Plus proche de la famille, le cousin des deux jeunes, Colin Ratt, joue maintenant pour le Phoenix de Sherbrooke, dans la LHJMQ. Un exploit pour le jeune qui a grandi, comme Washiiyeh et son frère, sans avoir d’aréna à moins de deux heures à la ronde de sa communauté.

Andrew Jeannotte montre le chandail de son neveu Andrew Ratt, du Phoenix de Sherbrooke.
Fièrement, Andrew Jeannotte montre le chandail de son neveu Colin, qu’il vient de recevoir.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Je patine depuis que j’ai 3 ans et je joue au hockey depuis que j’ai 4 ans, indique Washiiyeh, timidement. Le regard malicieux, le petit jeune ne se sent pas aussi à l’aise avec les mots qu’avec son bâton.

Des heures durant, il s’entraîne avec son frère et son père, qui a aménagé une patinoire à l’arrière de leur maison, à Aumond, à 30 minutes de Mont-Laurier.

Andre et Washiiyeh Jeannotte déblaient leur patinoire.
Andrew Jeannotte peut passer jusqu’à 3 heures à l’entretien de la patinoire.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Nicole et moi, on travaille à Lac-Barrière (à 1h30 de route d’Aumond, NDLR), mais les enfants vont à l’école à Maniwaki et s’entraînent à Gatineau , explique Andrew Jeannotte.

Celui qui connaît bien ce coin du Québec n’aura pas de misère à imaginer le nombre de kilomètres que la petite famille avale.

Les parents se rendent tous les jours à Lac-Barrière pour travailler : 130 kilomètres. Puis reviennent à Aumond chercher les garçons : encore 130 kilomètres. Ils prennent ensuite la route vers Gatineau : 150 kilomètres. Et reviennent après l’entraînement ou après les matchs de leurs fils : encore 150 kilomètres. Ils parcourent ainsi presque 600 kilomètres. Cinq à six fois par semaine.

Washiiyeh Jeannotte pratique ses habiletés au hockey dans la grange familiale aménagée pour l'occasion.
Wash et son frère s’entraînent régulièrement dans leur grange.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Un budget colossal pour cette famille modeste. La moitié de nos payes vont dans le gaz. On fait entre 8000 et 9000 kilomètres par mois, laisse tomber Andrew Jeannotte, qui s’estime chanceux d’avoir un bon emploi.

L’engagement des parents est à la hauteur de l’amour qu’ils ont pour leurs fils et à leur détermination à leur offrir un avenir meilleur. Nous voyons ça comme du temps passé en famille et pour leur donner une meilleure chance, car il n’y a rien à faire ici pour les jeunes. On veut que cela leur permette de devenir de meilleures personnes, raconte le père.

« Le hockey sauve des vies. De mes amis, je suis le seul à ne pas avoir de casier judiciaire, et c’est grâce au hockey. »

— Une citation de  Andrew Jeannotte

Le temps, l’argent, l’énergie… Le père des deux hockeyeurs ne voit pas tout ça comme des sacrifices. C’est quelque chose d’essentiel pour leur vie, répond-il plutôt.

Notre but, c’est pas d’avoir de l’attention. Des gens des Premières Nations nous écrivent, nous encouragent. Ils n’ont pas beaucoup de modèles à suivre. On parle juste de drogue et d’alcool quand on parle des Premières Nations, on essaye de montrer aussi le positif, ajoute encore celui qui est coordonnateur du principe de Jordan à Lac-Barrière.

Lui garde l’amusement et les résultats à l’école comme priorités, car il faut toujours avoir un plan B. Les devoirs, Wash les fait dans l’auto, d’ailleurs.

Jouer au hockey, ça les maintient occupés, loin des problèmes, je veux qu’ils continuent à jouer, car c’est un moyen de les garder en sécurité, raconte de son côté Nicole Ratt.

Patinoire et grange aménagée

À côté de leur maison située en pleine campagne, une grange. C’est surtout pour ça que la famille l’a choisie, avant la pandémie.

Les murs d'une grange sont couverts d'impacts de rondelles de hockey.
Les murs de la grange sont couverts d’impacts de rondelles, cicatrices laissées par les nombreux entraînements des deux frères.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

À l’étage, une salle d’entraînement. Les murs sont recouverts de traces d’impacts de rondelles. Un rappel pour les plus férus de hockey des habitudes de Sidney Crosby, qui s’entraînait à viser sa sécheuse, y laissant des traces noires.

La petite signature de Washiiyeh, que tout le monde surnomme Wash, c’est le Michigan. Cette manœuvre qui consiste à coller la rondelle sur son bâton tout en la maintenant en l’air avant de tirer dans le filet. Elle a été utilisée récemment par Trevor Zegras, un joueur des Ducks d’Anaheim, mais elle a été inventée par Mike Legg en 1996, quand il jouait pour les Wolverines du Michigan.

Ce qu’il aime dans le hockey? Marquer. Pour son frère, Mason, c’est le stress et l’excitation avant le match, dit-il, avant d’ajouter qu’il se sent très reconnaissant pour tous les efforts que font ses parents. Certains jeunes de mon âge aimeraient avoir la chance que j’ai, ajoute-t-il.

Racisme et hockey

Ni Wash ni son frère n’ont déjà subi des commentaires racistes. C’est pourtant déjà arrivé dans le monde du hockey. Sauvages, Retournez dans le bois, Vous êtes sales… Andrew Jeannotte connaît les insultes qu’entendent parfois les joueurs autochtones. Le grand-père de Wash en a fait les frais.

Washiiyeh Jeannotte et ses parents Andrew Jeannotte et Nicole Ratt.
Le dévouement des parents pour la passion de leurs enfants est à la hauteur de l’amour qu’ils ont pour eux.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Nicole Ratt pense souvent à son père lorsqu’elle voit son fils jouer. J’aimerais qu’il puisse jouer en Ligue de hockey junior majeur pour poursuivre ce que mon père n’a jamais pu faire, dit-elle.

Les commentaires racistes, c’est plus sur les réseaux sociaux qu’Andrew Jeannotte les lit. Mes taxes paient pour tes affaires, Tu vas nulle part, sont le genre de messages qu’il reçoit. Et tu peux pas réagir, sinon ça sera nous, les méchants, ajoute-t-il.

D’autres nous disent c’est pas du hockey. Mais non, c’est pas du hockey, on fait juste s’amuser dans la cour, lance-t-il en riant.

Washiiyeh Jeannotte en compagnie de ses coéquipiers.
Andrew Jeannotte explique que plusieurs parents des coéquipiers de son fils posent parfois des questions sur leurs origines autochtones. Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Andrew Jeannotte prend donc le temps de trier les commentaires avant de les faire lire à son fils. Pour le préserver. Lorsqu’il raconte tout ça à Espaces autochtones, le fils, Wash, s’obstine à envoyer la rondelle le plus fort possible dans le but. Chaque impact résonne tel un coup de tonnerre dans la grange.

D’ailleurs, seul Wash a des comptes Instagram et TikTok – gérés par son père, donc –, pas Mason. Il n’aime pas trop l’attention. Et il est dans un groupe d’âge où les gens sont plus méchants, explique le papa.

Mason Jeannotte.
Mason Jeannotte est plus discret que son petit frère sur les réseaux sociaux.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Vers 16 h, Wash sort de la maison, son sac presque plus grand que lui sur le dos. Il le jette à l’arrière du camion et grimpe avec son père et son frère. Ce dernier sera déposé à Maniwaki, chez sa tante, et ira à Gatineau pour son match avec elle. Toute une logistique.

À l’aréna, tout le monde se connaît. Ce soir, les Dragons, l’équipe de Wash, affrontent les Bisons. J’aime beaucoup Wash, il a des mains extraordinaires et il a un lancer plus puissant que les jeunes de son âge, confie l’entraîneur des Bisons, Mathieu Tremblay.

Washiiyeh Jeannotte lance un sac dans la caisse de la camionnette familiale.
C’est parti pour 150 kilomètres jusqu'à l’aréna de Gatineau.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

La mère de famille concède que ce rythme de voyage quasi quotidien l’épuise. Le voyagement, c’est quelque chose qu’on a toujours connu en vivant dans une communauté éloignée. On n’a jamais eu d’aréna pas loin, précise celle qui est directrice au Centre de santé de Lac-Barrière.

Nicole Ratt.
Nicole Ratt était elle-même joueuse de hockey.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Elle doit aussi se diviser en deux. Elle a pu voir la moitié du match de son aîné avant de se rendre à celui de Wash. Je suis fière d’eux, dit-elle, avant de lancer un shoot shoot shoot!.

Derrière elle, d’autres mamans s’exclament pendant que les partisans de l’équipe adverse chantent en chœur Let’s go Bisons!

Le casque de Washiiyeh Jeannotte rend hommage aux victimes des pensionnats pour Autochtones.
Wash porte un casque sur lequel il a collé un chandail orange rappelant le drame des pensionnats.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Finalement, leurs encouragements n’auront pas réussi à renverser la tendance. Le match se termine par une victoire des Dragons, 4-2.

Il est 20 h 30. La famille prend la route vers 21 h. Wash dormira sûrement dans la voiture. Fera peut-être un peu ses devoirs encore. Demain, rebelote, pour l’entraînement.

Washiiyeh Jeannotte sort de l'aréna et marche dans un stationnement à la noirceur.
Il fait nuit quand la famille reprend la route pour Aumond.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

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