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Un homme derrière son robot.
Radio-Canada / Gilbert Bégin

À qui profiteront les précieuses données que recueillent désormais les robots et les tracteurs qui parcourent les champs.

Texte et photos par Gilbert Bégin

Une quinzaine de travailleurs étrangers s’affairent ce jour-là à récolter les laitues de la ferme Delfland en Montérégie. La musique rythme chacun de leur geste.

Or, dans le champ voisin, un robot avance seul en silence. Il travaille en pleine autonomie, de jour comme de nuit. Il arrache les mauvaises herbes sans jamais toucher un plant de laitue.

Luc Labbé dans un champ où un robot effectue une récolte de laitues.
Luc Labbé est directeur général chez Nexus Robotics et travaille à la robotisation des récoltes grâce à l'intelligence artificielle.Photo : Radio-Canada

« Les bras articulés du robot sont guidés par l’intelligence artificielle. On a entraîné ses algorithmes en les soumettant à des milliers de photos annotées pour qu’il distingue les mauvaises herbes des laitues. »

— Une citation de  Luc Labbé, Nexus Robotique

Les robots sont de plus en plus nombreux à envahir les fermes. Ils récoltent des légumes, pulvérisent des microjets d’herbicides, alors que d’autres transportent des charges au champ.

Un robot se déplace dans des sillons.
Le robot de Nexus travaille en autonomie dans les champs.Photo : Nexus Robotique

Ces robots ont un point en commun : ils collectent en continu des milliers de données numériques sur les sols, les plantes et la météo.

« Les données, c’est ce dont ont besoin nos algorithmes de l’intelligence artificielle pour fonctionner. Sans elles, il n’y a pas de robotique agricole. »

— Une citation de  Régent L’Archevêque, directeur, Développement logiciel, Nexus Robotique

L’agriculture de précision accumule elle aussi les données. Ce secteur en plein essor utilise les drones, GPS et images satellites pour venir en aide aux producteurs de grandes cultures comme le maïs.

Ces robots ont un point en commun : ils collectent en continu des milliers de données numériques sur les sols, les plantes et la météo. Vidéo Insight Trac

Ajoutez à cet arsenal les stations météo et les capteurs de rendement installés sur les tracteurs et les moissonneuses-batteuses, vous avez des fermes qui génèrent en continu des quantités impressionnantes de données numériques.

En Europe, on estime qu’un seul hectare de blé génère 1 million de données numériques par année.

Le robot TerraSentia dans une allée de culture.
Le robot TerraSentia dans une allée de culture.
Radio-Canada / Gilbert Bégin
Photo: Le robot TerraSentia fouille les dessous de la canopée des champs de maïs.  Crédit: Radio-Canada / Gilbert Bégin

Le nouvel actif des fermes

Les données agricoles sont au cœur de la transformation numérique des fermes. Et ces données sont plus que jamais convoitées.

Des entreprises en intelligence artificielle sont actuellement freinées dans le développement de nouvelles technologies, faute de données fiables.

Les données agricoles sont l’actif de demain sur les fermes, affirme Ingrid Peignier, chercheuse au CIRANO de Montréal. Son groupe vient de publier la première étude sur le numérique et l’agriculture au Québec.

Ingrid Peignier, directrice de projets au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO)
Ingrid Peignier, chercheuse au CIRANO, a participé à la toute première enquête sur l’agriculture numérique. Photo : Radio-Canada

Signe tangible de la valeur de ces données, l’étude révèle que des équipementiers comme John Deere signent désormais des contrats d’exclusivité avec les agriculteurs pour protéger les données que recueillent leurs machineries chez leurs clients.

Or, très peu d’agriculteurs se soucient de la propriété de ces données récoltées dans leurs champs.

« Les agriculteurs signent des consentements les yeux fermés. Il y a une méconnaissance de la valeur des données et une confiance aveugle envers les équipementiers. »

— Une citation de  Ingrid Peignier, CIRANO
Un homme avec un robot dans un champ de culture.
Chinmay Soman, directeur général d'EarthSense en Illinois, contrôle le robot TerraSentia.Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

Pourtant, le risque d’accaparement et de concentration de ces données aux mains de grands groupes est réel, écrivent les chercheurs.

Grâce aux données, des multinationales déjà bien implantées dans le paysage agricole pourraient accroître leur dominance sur les marchés en accumulant les informations sur les terres agricoles.

« Ça va au-delà des données personnelles. Ce sont des données d'entreprise, et les agriculteurs devraient s’en soucier davantage, car ce sont des informations tangibles sur leur exploitation. »

— Une citation de  Ingrid Peignier
Des laitues vertes.
Des laitues vertes.
Radio-Canada / Gilbert Bégin
Photo: Des laitues cultivées dans la vallée de Salinas en Californie.  Crédit: Radio-Canada / Gilbert Bégin

L’Europe protège ses agriculteurs

Comment assurer le développement harmonieux de l’agriculture numérique sans freiner son innovation?

L’Europe a posé les premiers jalons dans ce domaine. Elle a fait le pari de laisser circuler librement les données agricoles. Mais une loi encadre ce partage.

La loi sur la gouvernance des données (Nouvelle fenêtre) permet à la fois de favoriser le développement du numérique tout en protégeant les données des agriculteurs, explique Sébastien Picardat, de la société Agdatahub.

Portrait de Sébastien Picardat.
Sébastien Picardat, de la société AgdatahubPhoto : Radio-Canada / Mathieu Hagnery

Ce spécialiste dirige une plateforme de partage des données sécurisée à l’intention des agriculteurs.

« L'agriculteur, quelle que soit sa taille, doit avoir la garantie que ses données ne sont pas perdues, qu'elles sont sécurisées et qu'il les partage avec les acteurs de son choix. »

— Une citation de  Sébastien Picardat

Au Québec comme au Canada, aucun règlement ni aucune charte de bonnes pratiques ne protègent les agriculteurs.

Une moissonneuse-batteuse au soleil.
Une moissonneuse-batteuse au soleil.
Radio-Canada / Gilbert Bégin
Photo: Cette moissonneuse-batteuse récolte en continu des données numériques.  Crédit: Radio-Canada / Gilbert Bégin

Des géants débarquent en agriculture

Si de telles balises n’étaient pas requises jusqu’ici, l’engouement récent des géants du numérique pour l’agriculture pourrait changer la donne.

Google a récemment lancé son projet Minéral afin de développer la robotique agricole. Microsoft s’intéresse quant à lui à l’agriculture de précision et au stockage des données agricoles.

Et le Canada n’est pas en reste : le géant de la téléphonie Telus vient de créer la filiale Telus Agriculture. La nouvelle entité a déjà acquis 11 jeunes entreprises du secteur de l’agriculture numérique.

L’agriculture change de visage et on n’a encore rien vu, estime le professeur Thierry Warin, spécialiste de la science des données à HEC Montréal. Ce qui est nouveau en agriculture, c’est que l'intelligence artificielle permet désormais de prédire. Ça change l’économie agricole mondiale.

Le professeur Thierry Warrin devant une classe.
Le professeur Thierry Warin est spécialiste de la science des données à HEC Montréal.Photo : Radio-Canada

Prédire les changements

En mariant l’intelligence artificielle aux immenses banques de données, on va plus loin que les simples outils d’aide aux agriculteurs.

L’agriculture prédictive fait passer le numérique agricole à une vitesse supérieure.

La vision artificielle permet de numériser chaque bourgeon d'un verger et de prédire son rendement. Vidéo Verdant Robotics

Un exemple : on développe déjà des modèles capables de prédire les besoins en eau d’une plante à un moment précis de sa croissance, et tout ça, selon la météo à venir d’une région précise.

On sera aussi capable de prédire les rendements d’une culture au moment de mettre une semence en terre.

Des travailleurs au champ.
Des travailleurs au champ.
Radio-Canada / Gilbert Bégin
Photo: Des travailleurs au champ.  Crédit: Radio-Canada / Gilbert Bégin

Une mainmise sur l’agriculture

Ces prouesses du numérique remettent à l’avant-plan les enjeux éthiques.

Si on peut prédire les rendements, y a-t-il un risque que de grandes sociétés contrôlent l’agriculture grâce aux données?

Monsanto-Bayer a acquis en 2013 la firme américaine Climate Corporation pour la somme de 1,3 milliard de dollars. Climate Corporation se spécialise dans la collecte et le traitement des données agricoles.

Avec cette acquisition, le géant de l’agrochimie possède aujourd’hui des informations capitales sur une vaste partie des terres aux États-Unis.

« Le risque est réel quand on voit les grands acteurs de l’agroalimentaire investir des millions de dollars dans la transformation numérique de leurs services apportés à l'agriculture. »

— Une citation de  Sébastien Picardat, Agdatahub

La chercheuse Ingrid Peignier rappelle que la spéculation boursière sur les denrées alimentaires représente aussi un risque de dérive possible. Ça peut amener certaines personnes à investir en bourse en ayant des connaissances plus fines que d'autres. Ils peuvent savoir si le cours va s'effondrer ou si le cours va augmenter.

Un rempart aux dérives

La transformation numérique de l’agriculture est malgré tout nécessaire, estime toutefois le professeur Thierry Warin. Elle permettra notamment des gains environnementaux en réduisant les pesticides et les engrais utilisés en agriculture.

Le chercheur affirme toutefois que les gouvernements doivent rester attentifs. L’agriculture est un secteur capital pour les populations, rappelle Thierry Warin.

Il fait appel à la nécessaire littératie numérique des gouvernements comme rempart aux dérives potentielles.

Les gouvernements devraient avoir autant d'informations sur nos terres qu’en ont actuellement les grandes compagnies qui sont sur notre territoire, prévient Thierry Warin.

La souveraineté alimentaire d’un pays passera peut-être désormais par la souveraineté de ses données agricoles.

Le reportage de Gilbert Bégin et de Stéphan Gravel est diffusé à l'émission La semaine verte le samedi à 17 h et le dimanche à 12 h 30 sur ICI TÉLÉ. À ICI RDI, ce sera le dimanche à 20 h.

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