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Cécilia Lauenstein avec sa canne dans son salon.
Radio-Canada / Ivanoh Demers

Fatigue extrême, douleurs, rythme cardiaque élevé, étourdissements, brouillard mental, problèmes de concentration et de mémoire… De nombreux Québécois sont malades pendant des mois après avoir contracté la COVID-19. Jamais ils n’auraient cru avoir de telles séquelles. Après tout, ils sont jeunes, ont jusqu'ici toujours été en bonne santé. Et ils n’ont jamais été hospitalisés à cause du virus.

Mais comme 10 à 20 % des personnes infectées par le SRAS-CoV-2, ils vivent désormais avec le syndrome post-COVID, communément appelé COVID longue. Voici comment leurs vies ont été complètement bouleversées par une maladie qui est encore mal comprise.

Une femme avec sa canne et ses cahiers de notes listant tous ses symptômes et activités.
Une femme avec sa canne et ses cahiers de notes listant tous ses symptômes et activités.
Radio-Canada / Ivanoh Demers
Photo: « J'ai l'impression de vivre dans un corps étranger, avec un cerveau qui n’est pas le mien », dit Sue-Anne Gravel-Leblanc. Atteinte de COVID longue, elle doit limiter la quantité d'activités et de tâches qu'elle fait dans une journée pour ne pas causer des épuisements profonds. Pour l'aider à convaincre les médecins de sa maladie, elle a tout noté avec grande minutie.  Crédit: Radio-Canada / Ivanoh Demers

Sue-Anne : « J’ai perdu ma vie d’avant »

Depuis 14 mois, la vie de Sue-Anne Gravel-Leblanc n’est plus la même. Enseignante à l’éducation aux adultes, elle a été infectée dans son milieu de travail en novembre 2020 alors que la deuxième vague prenait son envol.

Son infection, aiguë, a sur le coup été intense : frissons, courbatures, fièvre élevée, difficultés respiratoires, perte d’odorat. J’ai eu 14 jours inquiétants. Je ne savais pas ce qui m’arriverait. On voyait les gens mourir à la télévision. J’étais seule chez nous et j’avais tellement de difficulté à respirer que j’ai eu peur de ne pas me réveiller. Elle n’a toutefois pas été hospitalisée.

Ses doigts et ses pieds sont devenus blancs, puis se sont ajoutés les maux de tête, les douleurs musculaires, la difficulté à respirer. Je lisais une histoire à mon garçon et je n’étais pas capable d’aligner trois mots sans devoir respirer…

Elle ne savait pas alors qu’elle en souffrirait encore des mois plus tard.

Sue-Anne a essayé de retourner travailler, même si elle n’était pas complètement rétablie. Elle sentait l’urgence de retourner auprès de ses élèves. Je me disais qu’il fallait que je m’active. Mais elle a appris à ses dépens qu’avec ce syndrome, une reprise trop rapide des activités peut aggraver les symptômes.

Corriger un examen lui prend alors deux fois plus de temps. Elle a eu la frousse lorsqu’elle s’est retrouvée à une station-service, incapable se rappeler comment et pourquoi elle s’y était rendue. Je paniquais. Est-ce que j’ai perdu mon intelligence? Son retour au travail a été de courte durée.

Elle a développé des spasmes et une perte de sensibilité dans ses jambes. Elle doit désormais utiliser une canne pour se déplacer et a même dû recourir à un fauteuil roulant pour un séjour à Québec cet été. Je me sentais comme une imposteure.

Fini le tango argentin et les talons hauts; la fatigue et les douleurs sont trop intenses. Faire à souper pour son fils ou être debout trop longtemps peut l’épuiser. Trop de bruit et de lumière l’irritent. Sa concentration et sa capacité à faire des activités cognitives sont limitées. Cette diplômée en études littéraires pouvait lire plusieurs romans par mois; son dernier achat attend toujours sur sa table de chevet depuis l’été.

Sue-Anne a désormais l’impression de vivre dans un corps étranger, avec un cerveau qui n’est plus le sien. Je dis qu’au début, c’était comme un bulldozer qui passait sur moi. Maintenant, c’est comme si une van me passait dessus tous les jours.

Une femme assise par terre avec sa fille.
Une femme assise par terre avec sa fille.
Cagdas Yoldas
Photo: Carrie Anne McGinn n'a plus l'énergie d'emmener sa fille au parc ou de marcher jusqu'à sa garderie. Après plus d'un an, elle souffre encore d'une toux, de douleurs et du syndrome de tachycardie orthostatique posturale, qui lui cause des étourdissements, des nausées et une accélération du rythme cardiaque lorsqu'elle est en position debout.   Crédit: Cagdas Yoldas

Carrie-Anna : enveloppée dans une « couverture de plomb »

Si Sue-Anne a connu une infection initiale somme toute sévère, la grande majorité des personnes atteintes de la COVID-19 de longue durée n’ont d’abord pas été très malades. C’est le cas de Carrie Anna McGinn, infectée en décembre 2020, juste avant l’arrivée des vaccins.

Ce n’était pas plaisant, mais ce n’était pas inquiétant, dit-elle. Elle avait mal aux côtes à force de tousser, mais elle pensait se rétablir assez rapidement.

Début janvier, Carrie Anna a souhaité renouer avec ses activités. Mais lorsqu’elle a tenté de marcher 15 minutes pour aller au parc avec sa famille, elle a réalisé qu’elle n'était pas du tout rétablie. Après trois minutes, je marchais comme une personne âgée, je toussais, j’avais des nausées.

Depuis, Carrie Anna vit jour après jour un épuisement profond. 

C’est difficile à décrire, mais c’est un épuisement qui n’est pas comme avoir accouché, pas comme avoir couru 10 kilomètres ou comme avoir passé une nuit blanche. C’est comme si je sentais mes cellules mourir. C’est comme si j’étais enveloppée dans une couverture de plomb.

Certains symptômes se sont légèrement atténués, mais les capacités de Carrie Anna demeurent très limitées après plus d’un an.

Toute tâche cognitive simple peut lui prendre plusieurs heures. C’est comme si j'avais une commotion cérébrale avec de l’alzheimer. Je ne peux plus lire. Ça ne colle pas dans mon cerveau, dit cette femme qui a une maîtrise en santé communautaire.

Elle a tenté de retourner travailler quatre heures par semaine, mais a dû rapidement cesser; elle était épuisée. J’ai réalisé que travailler était trop pour moi.

Carrie Anna est essoufflée au moindre effort. Elle souffre désormais de tachycardie; son rythme cardiaque augmente rapidement lorsqu’elle fait de petits efforts physiques.

Comme plusieurs personnes atteintes du syndrome post-COVID-19, elle souffre de malaises post-effort, c’est-à-dire de réponses anormales et disproportionnées à un effort physique, mental ou émotionnel, même minime. Cet épuisement extrême peut survenir jusqu’à 24 à 72 heures après l’activité et peut durer des jours, voire des semaines.

Par exemple, Carrie Anne doit faire une sieste après avoir fait la vaisselle. Elle cuisine ses repas par étapes, espacées de pauses.

« C’est vraiment débilitant. C’est comme si ma pile est toujours à 5 % en tout temps et qu'elle se vide rapidement. »

— Une citation de  Carrie Anna McGinn

S’ajoutent à cette longue liste de symptômes de l’insomnie chronique, des douleurs musculaires et des sensations de picotements ou de brûlures.

Cette mère monoparentale de 39 ans rêvait de faire le chemin de Compostelle pour ses 40 ans. Plutôt, elle n'arrive plus à marcher de courtes distances. Elle a obtenu une vignette de stationnement pour personne handicapée et songe à demander un fauteuil roulant. Je suis alitée; mon corps ne fonctionne plus. Je suis maintenant prise à la maison.

Une femme assise sur un divan peint.
Une femme assise sur un divan peint.
Pauline Tremblay
Photo: Pauline Tremblay doit prendre plusieurs médicaments pour soulager ses douleurs.   Crédit: Pauline Tremblay

Pauline : « Soigner l’insoignable »

Depuis 14 mois, Pauline Tremblay, 59 ans, est elle aussi confinée presque en tout temps à la maison. Jamais elle n’aurait cru qu’un virus l’aurait handicapée à ce point.

Cette Saguenéenne comprend mal pourquoi elle a développé la COVID longue, puisqu’elle était en bonne forme physique avant son infection. Je faisais 30 à 40 km de vélo, je travaillais 35 heures par semaine, je pouvais faire 5 kilomètres de course… Je suis jeune, mais je ne suis plus capable de rien faire, je ne peux pas faire de projets, je ne peux pas sortir.

Pauline a été déclarée positive à la COVID-19 le 23 novembre 2020.

Elle a été d’abord fatiguée et a développé une grosse toux et des douleurs au dos. À cause de son asthme, les médecins ont craint un instant que la COVID-19 n’attaque ses poumons.

Ce sont d’autres symptômes qui sont plutôt apparus : maux de têtes, nausées, fatigue extrême, douleurs musculaires, perte d’odorat. Mes symptômes n’ont jamais cessé. J’ai passé trois mois sur mon fauteuil à ne rien faire. Prendre un bain, c'était un marathon.

Les douleurs et la fatigue extrême qui l’affligent sont un véritable fardeau. Tout me fait mal. C’est comme si un train me passait dessus. Je ne suis plus capable de cuisiner, d’entretenir ma maison. Si je veux faire quelque chose, je dois prévoir du temps de repos et des siestes pour me reposer.

Elle a même dû arrêter ses traitements d’ergothérapie parce qu’elle n’en avait plus d’énergie.

Mon père a le cancer, il peut aller dehors et faire des activités. Je ne peux même pas faire ça.

Elle a aussi des pertes de mémoire et ressent une fatigue mentale. Après un certain temps, je cherche mes mots. Être en voiture l’étourdit comme un tour de manège, ce qui rend impossible une visite à ses petits-enfants. Le bruit l’irrite et la fatigue.

Elle a aussi développé un syndrome de tachycardie posturale : une augmentation soutenue de la fréquence cardiaque en position debout. Ce syndrome est commun chez les patients atteints de la COVID-19 de longue durée.

On lui a prescrit des médicaments pour réduire son rythme cardiaque et atténuer ses douleurs musculaires. L’effet a été bénéfique, mais pas salvateur.

« Il y a des journées où c’est dur. J’ai une rage qui vient : pourquoi j’ai ça? »

— Une citation de  Pauline Tremblay

L’accès aux spécialistes, surtout ceux qui connaissent le syndrome, est plus difficile en région; mais heureusement son médecin de famille a tout fait pour l’aider à trouver des réponses. Ce n’est qu’alors qu’ils ont compris que tout était lié au syndrome post-COVID-19.

Pauline est toujours en arrêt de travail et la CNESST a reconnu son diagnostic de COVID longue. À 59 ans, elle se demande si elle pourra retourner un jour à son poste d'adjointe à la direction au siège du CHUS du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Ce n'est pas la fin de carrière que j’envisageais.

Cécilia Lauenstein avec sa canne dans son salon devant ses flûtes.
Cécilia Lauenstein avec sa canne dans son salon devant ses flûtes.
Radio-Canada / Ivanoh Demers
Photo: Atteinte de la COVID de longue durée, Cäcilia Lauenstein ne peut plus travailler. À son plus grand désarroi, cette enseignante en musique n'a plus l'énergie de jouer de la flûte ni de chanter.   Crédit: Radio-Canada / Ivanoh Demers

Cäcilia : « Mon pouls augmente quand je me brosse les dents »

Cäcilia Lauenstein, 45 ans, de Rawdon, est elle aussi en arrêt de travail prolongé.

Cette enseignante de musique a été infectée à l’école en septembre 2020. Les premiers jours ont été comme une grippe normale. Puis tout a basculé.

Cette musicienne ne peut plus chanter ni jouer de la flûte. Lire ou utiliser l’ordinateur est difficile. Elle n’a pas conduit sa voiture depuis mai 2021.

Elle ne peut marcher plus de 500 mètres et doit utiliser une canne, sinon elle perd son équilibre.

Comme Pauline, dès qu’elle est assise ou debout trop longtemps ou qu’elle fait un léger effort, son pouls augmente rapidement. Il a fallu installer un banc dans sa douche pour qu’elle puisse s’y laver; elle doit aussi s'asseoir lorsqu’elle se brosse les dents. Elle limite le nombre de fois qu’elle monte et descend les escaliers de sa maison.

Au printemps dernier, sa situation semblait s’améliorer. La rechute est arrivée en juillet. Des hauts et des bas, comme en vivent de nombreux patients. J’ai été alitée pendant trois semaines; j’étais incapable de me tenir sur mes deux pieds. Je ne pouvais pas regarder la télé ni écouter la radio. Depuis, rien ne s’est amélioré.

En août, elle a réalisé qu’elle aurait besoin d’un fauteuil roulant; marcher moins d’un kilomètre lui prenait presque une heure et l'épuisait complètement.

Lorsqu’un docteur lui a confirmé qu’elle avait le syndrome post-COVID-19, le pronostic n’était pas rose. Il s’est carrément excusé de ne pouvoir m’offrir que de la réadaptation. Je vais gagner en qualité de vie, mais ça ne va pas régler mon problème.

Cäcilia est l’une des centaines de patients de la clinique post-COVID du Dr Piché à Sherbrooke, une des rares cliniques du genre au Québec, et la seule qui pouvait l'accueillir, pourtant à 250 kilomètres de chez elle. Cäcilia se dit prête à tout pour améliorer sa qualité de vie. Je suis prête à être une cobaye et à essayer des médicaments. Tout pour ne pas rester comme ça toute sa vie.

Eugenia Pineiro Cota assise sur un petit lit de camp dans son bureau de travail.
Eugenia Pineiro Cota assise sur un petit lit de camp dans son bureau de travail.
Radio-Canada / Ivanoh Demers
Photo: Infectée par la COVID-19 il y a presqu'un an, Eugenia Pineiro Cota ne s'est jamais complètement rétablie. La fatigue, un brouillard mental et des maux de tête l'accaparent au quotidien et elle doit souvent faire des siestes dans son bureau pour survivre à sa journée.  Crédit: Radio-Canada / Ivanoh Demers

Eugenia : Vieillir de 20 ans en 20 mois

Eugenia Pineiro Cota est elle aussi consternée de voir à quel point les séquelles de la COVID-19 dictent son quotidien.

Ça fait 21 mois que ma vie est au ralenti, 21 mois avec plein de symptômes. C'est comme si j’avais vieilli de 20 ans.

Avant son infection, cette femme marchait souvent et faisait du CrossFit. Maintenant, sa vie gravite autour de maux de tête, de difficultés à marcher, de la fatigue, de problèmes de concentration et d’odeurs fantômes. Monter quelques marches dans une salle de cinéma est une tâche trop difficile.

Elle réussit à travailler, mais a dû installer un petit lit près de son bureau pour faire des siestes.

Puisque ses tests médicaux revenaient toujours normaux – une autre similitude entre patients atteints du syndrome – Eugenia a dû se battre pour qu’on croie qu’elle est réellement malade.

Ce n’est qu’après plusieurs mois qu’Eugenia a trouvé un médecin qui l’a écoutée. On lui a confirmé qu’elle avait la COVID-19 de longue durée. Si ce diagnostic a élucidé une partie mystère, il n’en reste pas moins que la maladie ne peut être guérie.

Comme pour Pauline, Carrie Anna, Cäcilia et Sue-Anne, à part quelques médicaments pour soulager la douleur, Eugenia doit apprendre à vivre avec ce syndrome. Honnêtement, il y a des jours où je n'ai envie de rien. Mon garçon et mon mari me poussent à continuer, dit-elle en pleurant.

Un homme debout devant une fenêtre regarde au loin.
Un homme debout devant une fenêtre regarde au loin.
Radio-Canada / Ivanoh Demers
Photo: Francis Duclos, qui souffre de la COVID de longue durée depuis décembre 2020, ne sait pas si ses symptômes de fatigue et de brouillard cérébral seront permanents. « Je ne pense pas que c'est possible d'être en bonne santé mentale si tu as la COVID longue. On est plusieurs à être anxieux, parce qu'on ne le sait pas ce que l'avenir nous réserve. »  Crédit: Radio-Canada / Ivanoh Demers

« C’est dans votre tête »

Pour de nombreuses personnes à qui nous avons parlé, obtenir un diagnostic de syndrome post-COVID-19 n’a pas été des plus faciles. De quoi, en effet, souffraient-elles? Car ce syndrome est relativement nouveau, et les symptômes qui le caractérisent sont aussi ceux d’un grand nombre d’autres maladies. Il a fallu procéder par élimination.

Plusieurs ont dû par ailleurs se battre pour convaincre leur médecin que leurs maux n’étaient pas simplement psychosomatiques.

Francis Duclos a été infecté pour la première fois au Honduras en décembre 2020. Cet infirmier praticien spécialisé était en mission au Honduras lorsqu’il a eu quelques symptômes grippaux.

De retour au Canada, il a commencé à avoir des brouillards cérébraux et des pertes de mémoire. Je cherchais mes mots. Ma mère se demandait ce qui se passait.

On lui a d’abord dit qu’il avait développé un TDAH. Mais ce n’est pas quelque chose qui arrive tout d’un coup. Il y avait quelque chose qui clochait.

Malgré ses problèmes cognitifs, il est retourné travailler, cette fois en Afrique, où il a malencontreusement contracté la maladie pour une deuxième fois, en juin 2021. J’avais reçu une dose du vaccin; on pensait que ça serait assez. J’ai appris à mes dépens.

De retour au pays, son médecin de famille a pu faire le lien entre la COVID-19 et ses symptômes. Ils ont tout de même passé une panoplie de tests pour exclure d’autres diagnostics, y compris des maladies tropicales et des parasites. Tout s’enlignait pour la COVID longue.

Des symptômes physiques sont aussi apparus. Francis n’avait plus d’endurance et souffrait de maux de tête fréquents. Passer le balai était devenu difficile pour l’homme de 40 ans. J’étais un gars qui faisait beaucoup de sports, qui travaillait. En quelques jours, ç’a pris le bord, dit-il, en ajoutant que ses amis et proches ont été sous le choc lorsqu’ils ont constaté à quel point son état s’était détérioré.

Francis est toujours en arrêt de travail. Il doit limiter ses activités journalières.

Il a demandé l’accès à une vignette de stationnement pour handicapés. C’est dur à accepter, mais marcher du stationnement à l’épicerie, je suis extrêmement fatigué.

Francis se sent coupable de ne plus pouvoir aider sa conjointe.

« J’ai beaucoup de sentiments d’inutilité. J’ai toujours l’impression de mobiliser mes proches. Ma conjointe fait tout, elle s'occupe de ma fille, elle travaille… »

— Une citation de  Francis Duclos

Martine Lesage travaille également dans le secteur de la santé, en prévention de la négligence. Elle a dû se battre pour qu’on reconnaisse son affection post-COVID-19.

Elle a été appelée à donner un coup de main au CHSLD Herron le 12 avril 2020. L’établissement était alors aux prises avec une éclosion, qui a mené à la mort de 47 résidents.

Martine avait peu de symptômes et elle a dû se battre pour être dépistée. J’ai été testée le 1er mai. Ils voulaient que je retourne dans les CHSLD. J’aurais infecté plein de monde.

Finalement, elle a eu trois jours de congé avant de retourner travailler. La COVID-19 n’a jamais arrêté de l’accabler.

Martine a des vertiges, de la fatigue intense, une toux. C’est comme si j'étais sur un bateau. J’ai l'impression que le plancher bouge et je suis toujours instable. Chaque petit effort physique, comme se sécher les cheveux, faire l’épicerie ou faire à manger, la fatigue. Je suis 75  % moins active maintenant.

Depuis janvier 2021, elle n’est plus au travail. Je ne suis pas capable. J’ai continué de travailler jusqu’à ce que je sois trop fatiguée, trop confuse.

Les médecins ont pensé à une labyrinthite, à de l’épuisement professionnel, à un TDAH et même à la sclérose en plaques. À chaque fois que je disais que j’avais eu la COVID, personne ne parlait de COVID longue.

Son médecin l’a finalement envoyée voir une infectiologue à l’Hôpital général juif de Montréal. La docteure m’a dit oui, c’est du post-COVID. Elle comprenait ce que je disais. Pour la première fois, on me comprenait.

Si cette médecin a pris le temps de l’écouter et de faire des suivis, elle l’a avertie que les traitements connus étaient peu nombreux. On m’a dit que ça serait très long avant de récupérer.

Photo: Radio-Canada / Ivanoh Demers
Reportage sur les victimes de la longue Covid. Pour la journaliste  Mélanie Meloche-Holubowski. Covid 19. 

Photo prise à Saint-Mathias-su-Richelieu,  Québec. 

Sur la photo: (Gauche à droite) Sue-Anne Gravel-Leblanc dans son salon avec sa canne et sa paperasse… 

Le 24 Janvier 2022 2022/01/24

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Photo: Radio-Canada / Ivanoh Demers
Reportage sur les victimes de la longue Covid. Pour la journaliste  Mélanie Meloche-Holubowski. Covid 19. 

Photo prise à Saint-Mathias-su-Richelieu,  Québec. 

Sur la photo: (Gauche à droite) Sue-Anne Gravel-Leblanc dans son salon avec sa canne et sa paperasse… 

Le 24 Janvier 2022 2022/01/24

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Radio-Canada / Ivanoh Demers
Photo: Atteinte de COVID longue, Sue-Anne Gravel-Leblanc doit limiter la quantité d'activités et de tâches qu'elle fait dans une journée pour ne pas causer des épuisements profonds. Pour l'aider à convaincre les médecins de sa maladie, elle a tout noté avec grande minutie.  Crédit: Radio-Canada / Ivanoh Demers

« Chaque rechute, c’est comme recommencer à zéro »

Malgré un diagnostic de syndrome post-COVID-19, ces personnes savent qu’il existe peu de traitements et de médicaments adaptés à cette nouvelle maladie. La réadaptation avec des physiothérapeutes et des ergothérapeutes est l’un des seuls moyens de soulager certains symptômes.

En réadaptation, ces personnes apprennent à limiter le nombre de tâches et d’activités au quotidien parce qu’un effort de trop provoque de nouvelles crises de douleurs, de la fatigue, de la tachycardie.

Après un an, Carrie Anna a atteint un plateau : rien n’empire, mais rien ne s’améliore. C’est surtout l’autogestion de ses activités qui lui permet de ne pas être constamment alitée. On fait du pacing. J’ai appris à réduire mes activités, à planifier des périodes de repos, à découper mes activités en petites portions.

Sue-Anne dit que son état ne s’est pas amélioré depuis un an; ce qui a changé est sa capacité à gérer ses symptômes. Elle note systématiquement toutes ses activités et ses symptômes; elle s’est créé des graphiques pour suivre l’évolution de sa maladie et pour doser son énergie.

Martine Lesage a consulté des ergothérapeutes, des physiothérapeutes. La seule solution est de réduire au maximum ses efforts et ses activités. J’ai déjà l’impression de ne rien faire. Je ne sais plus où couper.

Eugenia vit des cycles de douleurs et de fatigue. Et comme plusieurs autres, ces hauts et ces bas la font basculer entre espoir et désespoir. Chaque rechute, c'est comme recommencer à zéro.

Même chose pour Sue-Anne, Cäcilia et Martine; certains jours, elles vont un peu mieux. Cependant, l’espoir d’être guéries s’estompe rapidement lorsqu’elles font une nouvelle rechute.

Parfois on a l’impression que ça va mieux… mais on retombe. On ne voit pas la fin, dit Martine.

Isolés, mal compris et seuls

Cäcilia est convaincue qu’il y a de nombreuses personnes qui vivent avec cette maladie dans l’ombre.

« Il y a plein de drames qu’on n’entend pas parce que les personnes n’ont pas l’énergie de crier, de dire : "j’ai besoin d’aide". Les gens souffrent. »

— Une citation de  Cäcilia Lauenstein

Carrie Anna cogère un groupe de soutien de COVID longue au Québec sur Facebook. Elle entend régulièrement des histoires crève-cœur et voit que beaucoup de gens ne sont pas écoutés ni aidés par leurs médecins. Plusieurs ne connaissent pas les maladies post-virales et la COVID longue, dit-elle.

Carrie Anna McGinn a recueilli et publié sur YouTube plusieurs témoignages de personnes atteintes du syndrome post-COVID-19.

Lors d’une visite à l’urgence à cause d’une crise de douleur, Eugenia s’est fait dire que c’était impossible que la COVID-19 dure plusieurs mois. On lui a dit que tous ses symptômes étaient causés par de l’anxiété. À 45 ans, je connais mon corps; ce n’est pas ça. Mais on me disait toujours que c’était dans ma tête. À un moment donné, j’ai commencé à y croire.

Sue-Anne dit avoir été choquée lors d’une visite à l’urgence pour des engourdissements lorsqu’elle a entendu un médecin la traiter de covidieux. Je me sentais comme une moins que rien. On m’a dit qu’on ne pouvait rien faire pour moi. J’ai été référée [à un médecin] seulement parce que je pleurais tellement.

Même si elle savait pertinemment que ses symptômes étaient réels, Sue-Anne a elle aussi commencé à se demander si ce n’était pas dans sa tête.

Sue-Anne n’est pas la seule; presque tous ont été envoyés chez un psychologue.

Le doute que les gens ont envers nous est grand. Même les médecins doutent [de nos symptômes]. Les gens te disent : "ça va passer". Les proches de Sue-Anne ont compris l’ampleur de la maladie lorsqu’ils l’ont vue marcher avec une canne. Elle croit que plusieurs autres Québécois sont dans sa situation, mais n’osent pas en parler, parce qu’ils ont été stigmatisés à plusieurs reprises. C’est pour ça qu’on n’en parle pas.

Pour sa part, Pauline est exaspérée lorsqu’elle entend quelqu’un dire que la COVID-19 est une petite grippe. Certaines personnes, dont des membres de sa famille, croient que la maladie a été exagérée. C’est dur. On est énormément isolé et on se sent oublié.

Un infirmier ausculte la gorge d'une femme.
Un infirmier ausculte la gorge d'une femme.
Facebook / Victor Lacken, Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC)
Photo: Francis Duclos, infirmier praticien spécialisé, examine une femme dans une clinique mobile de la Croix-Rouge canadienne au camp de Kutupalong, au Bangladesh en 2018. Il se demande s'il pourra un jour continuer à faire le métier qui le passionne.   Crédit: Facebook / Victor Lacken, Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC)

Et s’ils ne guérissent jamais?

C’est lorsqu’un médecin a prescrit à Eugenia des médicaments pour ses symptômes neurologiques pendant deux ans qu’elle a compris qu’elle n’était pas sortie du bois.

Les experts croient que la majorité des personnes infectées finiront par voir leurs symptômes s’atténuer avec le temps. Généralement, 80 % des maladies post-virales vont se résoudre de façon naturelle en deux ans. Mais pour certains, la COVID-19 continue de traîner et les effets à long terme de cette maladie sont encore inconnus.

Eugenia ne peut pas croire qu’elle ne guérira pas et plaide auprès du gouvernement pour qu’il aide tous ceux qui, comme elle, souffrent depuis de nombreux mois. Je ne veux pas être en arrêt de travail, je veux qu’on m’aide à retrouver ma santé. Je veux vivre de nouveau.

Sue-Anne n’est toujours pas de retour au travail après presque un an. Ne pas pouvoir enseigner lui cause beaucoup de chagrin. Je veux retourner dans la société. Je me sens mise à part. Mon sentiment d'utilité est très bas.

L’incertitude concernant leur avenir leur cause beaucoup d’anxiété. Plusieurs se demandent si leur vie est transformée à jamais. Certains commencent à faire le deuil de leur vie d’avant.

C’est normalement censé s’améliorer, mais ça fait un an et demi. Est-ce que je dois faire un deuil de comment j'étais et accepter que je suis une personne avec de nouvelles limites? Se demande Sue-Anne.

Si Francis espère retourner faire le métier qui le passionne, il ne se fait pas d’illusions. Je vais peut-être devoir changer de carrière si, cognitivement, ça ne s’améliore pas. Il est anxieux parce qu’il sait qu’on n’a pas de moyen de guérir cette maladie et qu’il est impossible de savoir si sa situation s’améliorera. On est devant l’inconnu et de l'incertitude.

Carrie Anna reste optimiste, mais commence à croire que la maladie pourrait être un handicap avec lequel elle devra vivre pendant très longtemps, et même pour toujours. Je ne peux pas croire que je vais être à la maison pour le reste de ma vie. Ça me brise le cœur.

Source de la photo de Francis Duclos au travail : Facebook / Victor Lacken, Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC)

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