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Marc Saumier fabrique une guitare dans son atelier.
Radio-Canada / Vincent Rességuier

Consommer local s'applique aussi aux instruments de musique. Des luthiers font le choix d'utiliser en priorité du bois québécois, un geste motivé par des raisons économiques et des considérations éthiques.

Texte et photos : Vincent Rességuier

Marc Saumier est un pionnier. Parmi la centaine de luthiers que compte le Québec, il a longtemps été l’un des seuls à exploiter le potentiel de nos forêts.

Depuis une vingtaine d'années, il collecte et débite lui-même des arbres qu’il se procure dans un rayon de 10 kilomètres autour de son atelier situé à Kingsbury, en Estrie.

Des pièces de bois brut sont disséminées aux quatre coins de son atelier. Dans cette caverne d’Ali Baba pour luthier, on trouve, entre autres, plusieurs variétés d’érable, de l’épinette, du merisier, du cerisier, du noyer, du bouleau jaune et de l’ostryer de Virginie.

Ébéniste-menuisier de formation et guitariste amateur, il s'est tourné vers le métier de luthier par passion, mais aussi un peu par hasard.

« J’ai fait une première guitare acoustique, sans savoir ce que je faisais, avec du bois local que j’avais. Elle sonnait mieux que tout ce que j'avais entendu. Pis là, j'ai eu la piqûre, j'ai acheté un livre, j'ai appris, j'apprends encore. »

— Une citation de  Marc Saumier, luthier

Guitares, basses, contrebasses, mandolines, il s'est depuis fait un nom dans le milieu, mais pour s’imposer, il a dû déjouer quelques préjugés tenaces.

La popularité de la guitare n’a cessé de croître depuis la Deuxième Guerre mondiale et les géants de l’industrie comme Fender, Gibson ou Taylor ont subtilement contribué à l’émergence de modèles dominants.

Musiciens et collectionneurs s'arrachent les instruments fabriqués avec des essences exotiques comme l’ébène, le bois de rose ou l'acajou. Leurs qualités acoustiques sont incontestables, mais ces bois sont aussi prisés pour leur apparence, car ils offrent des teintes sombres et parfois unies.

Du bois de lutherie et des cadres de guitares.
Du bois de lutherie et des cadres de guitaresPhoto : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Le client qui va mettre du 5000, 6000, 7000, 8000 dollars, lui, veut des essences de plus en plus rares, et plus elles sont rares, plus il va mettre la main à la poche, déplore M. Saumier.

Leur utilisation est désormais largement encadrée par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES). Les palissandres, des bois très denses issus de forêts tropicales, sont par exemple associés à la déforestation de Madagascar ou de l'Amazonie.

Il y a un moratoire sur le palissandre du Brésil, qui serait le meilleur bois pour faire des guitares. Depuis qu’il y a un moratoire, je n'en ai jamais vu autant, on n'est pas supposé en couper, donc c'est probablement du braconnage, estime Marc Saumier. La filière du bois exotique est de plus en plus immorale.

Le recours au bois local a deux autres vertus, souligne le luthier, il permet de réduire l'empreinte environnementale des instruments et il est souvent bien moins cher. Dans la dernière décennie, l’accès aux bois exotiques a été considérablement limité, ce qui a fait grimper les prix.

Plusieurs essences locales n’ont rien à envier à leurs concurrentes étrangères, assure-t-il.

« L’essence, c’est une bonne partie du son, mais la facture ou le luthier, c’est peut-être une partie plus importante. »

— Une citation de  Marc Saumier, luthier
Un violon en cours de fabrication.
Un violon en cours de fabrication.
Radio-Canada / Vincent Rességuier
Photo: Un violon en cours de fabrication  Crédit: Radio-Canada / Vincent Rességuier

Il faut savoir bûcher pour être luthier

Rémi Rouleau, qui dirige l’École nationale de lutherie du Québec, partage ces préoccupations.

Au niveau des essences, l’aspect responsable c'est : est-ce que moi, en tant qu'artisan, je cautionne le déboisement d’essences en danger ou je me tourne vers des essences qui ne sont pas frappées par une interdiction? se demande ce luthier.

Surtout que lui aussi connaît bien les vertus des bois québécois, dont il nous partage les secrets alors que nous visitons les réserves de l’école.

Alors qu'il était encore étudiant, il y a une dizaine d'années, il a été déçu de voir que les ressources locales étaient peu utilisées dans son domaine, la fabrication des violons. Il s'est alors lancé dans une expérimentation pour évaluer la qualité de différents inventaires.

À l’aide de quelques appareils électroniques, légers et peu onéreux, il a comparé des essences canadiennes et européennes. Il a mesuré la densité, la résonance, la résistance mécanique ou encore l'élasticité du matériau.

Rémi Rouleau dirige l’École nationale de lutherie du Québec
Le luthier Rémi Rouleau dirige l’École nationale de lutherie du QuébecPhoto : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Conclusion : il y a beaucoup de similarités et on est capable de trouver des substituts locaux très intéressants pour la facture instrumentale.

Le problème, c'est que très peu d’usines à bois proposent de la matière première façonnée pour la lutherie. Ici, la forêt est utilisée en priorité pour la construction, la menuiserie et les pâtes à papier. Pour fabriquer des instruments, il faut des arbres matures, débités selon une coupe spéciale.

La ressource est disponible, mais le réseau de distributeurs demeure quasiment inexistant et, bien souvent, ce sont des luthiers eux-mêmes qui vont abattre, préparer, transformer et entreposer le bois quelques années, avant qu’il soit sec.

Une tâche considérable, mais qui peut se révéler très intéressante sur le long terme, sachant que constituer un bel inventaire est en général le travail de toute une vie.

La plupart vont finir leur carrière avec trop de bois, mais les enjeux sont complètement différents d'il y a 20 ans, 10 ans, 5 ans, explique Rémi Rouleau. L'artisan qui démarre maintenant est devant une problématique beaucoup plus complexe que ceux établis depuis longtemps.

Daniel Fiocco, designer chez Godin.
Daniel Fiocco, designer chez Godin.
Radio-Canada / Vincent Rességuier
Photo: Daniel Fiocco, designer chez Godin  Crédit: Radio-Canada / Vincent Rességuier

Godin, le son de nos forêts

Le designer Daniel Fiocco est fier de nous dévoiler un prototype de guitare basse, fabriqué à 90 % avec du bois québécois. Chez Godin, les instruments sont fabriqués en moyenne avec près de 60 % de bois local.

Facteur de guitares de renommée internationale, Godin confectionne chaque année des milliers d'instruments, ce qui lui permet d'avoir une place enviable sur le marché local.

Les usines de la compagnie sont situées en Estrie, une région riche en bois, ce qui facilite les partenariats avec les fournisseurs. On a accès à des bois qu'on fait faire sur mesure, on est très, très choyés là-dessus, se réjouit Daniel Fiocco.

On représente le Québec, pis on est fiers d'utiliser les bois québécois. La plaine, c'est un bois qu'on utilise énormément. On va utiliser du merisier qui est rarement utilisé dans les guitares entrée-moyenne gamme. C'est un bois qui est beaucoup plus sonore, beaucoup plus fiable que ce qui est fait en Asie.

Daniel Fiocco constate que les musiciens ne sont plus aussi intransigeants que par le passé. Ils sont plus ouverts quant à l'apparence des bois utilisés dans la fabrication des guitares, ce qui favorise l’utilisation d’essences locales.

Les bois clairs avec des textures chamarrés ou zébrés, par exemple, sont mieux acceptés, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années.

De manière générale, il se réjouit de voir que le milieu s'intéresse davantage à la provenance des bois, un sentiment que partagent Marc Saumier et Rémi Rouleau.

Ce dernier assure que les jeunes luthiers et musiciens de la relève sont plus sensibles à cet enjeu. Il observe une convergence d'éléments qui vont jouer en faveur d'une utilisation plus responsable des ressources par les prochaines générations.

Marc Saumier pose fièrement devant des produits finis.
Marc Saumier pose fièrement devant des produits finisPhoto : Radio-Canada / Vincent Rességuier

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