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Des cochons à la ferme de Bella Coola.
Radio-Canada / Anne Daroussin

Texte et photos : Anne Daroussin

La qualité de vie est vraiment haute ici, s’exclame Corine Singfield, agricultrice à Hagensborg.

Durant un séjour de 10 jours pour me familiariser avec le travail à la ferme, c’est à ses côtés que je découvre la vallée de Bella Coola, une petite communauté du centre de la côte britanno-colombienne.

Ce petit joyau méconnu pourrait devenir un exemple pour l’avenir des systèmes alimentaires locaux et autonomes.

Un champ d'herbe verte sur une ferme, avec les montagnes en arrière-plan.
Un champ d'herbe verte sur une ferme, avec les montagnes en arrière-plan.
Radio-Canada / Anne Daroussin
Photo: À la ferme de Corine Singfield à Hagensborg, près de Bella Coola.  Crédit: Radio-Canada / Anne Daroussin

Un écrin de verdure surprenant

Lorsque je m'envole de Vancouver vers Bella Coola, une première surprise m’attend dès l’aéroport : après un rapide coup d'œil sur mes documents de voyage, je constate qu’il n’y a pas de passage à la sécurité ni de bagages à déballer. Me voilà déjà embarquée.

Après un peu plus d’une heure à survoler les montagnes encore enneigées de la chaîne côtière, le petit avion à hélices fait un virage à 90 degrés et, devant moi, s’ouvre soudain une vallée verdoyante au milieu de laquelle coule une rivière. Bienvenue dans la vallée de Bella Coola.

Corine Singfield y est venue pour la première fois en juillet 2008 pendant un congé. Chaque personne qui vient ici pendant le mois de juillet ou d’août tombe en amour avec Bella Coola, explique-t-elle.

En effet, débarquer dans la vallée cause une réelle surprise.

Le plateau de Chilcotin, c'est un environnement très hostile avec des vents très puissants, une terre rocailleuse, des forêts de pins tout petits [et] plein de moustiques. Tu ne t'attends pas à ce que, après avoir traversé tout ça, tu arrives dans une vallée fertile pleine d'oiseaux, de végétation [et de] toutes les baies sauvages possibles.

Une mère pousse une brouette remplie de tomates et un bébé assis dedans.
Corine Singfield et son fils Laurent, dans sa ferme à Hagensborg, dans la vallée de Bella CoolaPhoto : Jean-Philippe Marquis

Jouissant d’un microclimat avec des chaleurs parfois intenses en été, la vallée de Bella Coola abrite de nombreux vergers de pêchers, de poiriers, de pruniers et de cerisiers, habituellement associés à la vallée de l’Okanagan.

C'est la forêt tempérée dans toute sa gloire. C'est vraiment vivant. [...] Il y a les montagnes, l'océan, des lacs, des rivières, un écosystème équilibré [et] de l'eau propre, s’enthousiasme Corine.

Son conjoint et elle ont acheté leur propriété d'environ 16 hectares en 2019 et s'y sont installés de manière permanente en mai 2020. Lors de ma visite, au printemps 2021, le travail accompli en un an est aussi impressionnant que le sentiment d’abondance qui se dégage de la ferme.

Le couple y cultive principalement des légumes biologiques, mais on y trouve également un verger, quelques cochons et quelques poules. Le tout est gentiment gardé par Papi et Nena, les deux chiens de la maisonnée.

Ferme avec de vieux batiments, un vieux bus scolaire et les montagnes en arrière plan.
Ferme avec de vieux batiments, un vieux bus scolaire et les montagnes en arrière plan.
Radio-Canada / Anne Daroussin
Photo: Sur la ferme de Corine Singfield à Hagensborg, près de Bella Coola.  Crédit: Radio-Canada / Anne Daroussin

Quand une pandémie vous envoie à la campagne

Le couple envisageait déjà de s’installer à Bella Coola, mais la pandémie de COVID-19 a quelque peu précipité les choses.

Les plaisirs de la vie en ville dont ils espéraient profiter avant de la quitter, comme les concerts et les festivals, ne leur manquent pourtant pas du tout. Parce qu'on est au paradis, dit Corine en souriant.

Chaque matin je me lève, puis je regarde dehors et je suis comme : “Non, [je n’ai] pas envie de retourner à Vancouver.” C’est finalement avec plaisir que le couple s’est échappé de ce qu’il qualifie de paranoïa ambiante, à Vancouver.

Un bébé portant un chapeau est assis dans l'herbe à côté de son chien.
Laurent, le fils de Corine Singfield, avec leur chien Papi, à Bella CoolaPhoto : Radio-Canada / Anne Daroussin

Aujourd’hui, Corine et son conjoint sont soulagés d’avoir acheté leur propriété avant 2020. Autrement, ils n’auraient peut-être pas pu se l’offrir.

Selon Corine, Bella Coola ne deviendra jamais un Whistler, à cause de son éloignement de Vancouver et d’une économie limitée. Pour cette raison, il est encore possible de s’y installer sans trop s’endetter, mais les choses changent.

Même si les prix des propriétés sont à la hausse depuis une dizaine d'années, la pandémie a eu pour conséquence d'accélérer la tendance. Au lieu de se rabattre sur les propriétés en ville, les gens sont comme : “Wow! OK, la vraie richesse, c'est la terre”, explique Corine.

Ferme à Bella Coola.

Avec le développement du télétravail, il devient de plus en plus facile de s’installer en dehors des villes, ce qui accélère la vente de terrains. Une propriété de 2 hectares ou plus reste rarement sur le marché plus d'une semaine.

« Des gens d'Europe, des États-Unis [ou] de Vancouver font des offres sur des propriétés sans même avoir mis les pieds à Bella Coola, en se disant que c'est un bon investissement. »

— Une citation de  Corine Singfield

Selon Corine, au-delà d’un mouvement de retour à la terre, cet achat est souvent un gage de sécurité, voire un moyen de survie dans un monde marqué par de nombreuses crises : climatique, sanitaire...

Beaucoup de propriétés sont ainsi des résidences secondaires, et leurs propriétaires ne contribuent pas vraiment à la vie sociale de la communauté.

Depuis une dizaine d'années, toutefois, plusieurs petites fermes se sont installées dans les environs, comme me le montre Corine durant une promenade.

Des poules rousses près de leur poulailler.
Des poules rousses près de leur poulailler.
Radio-Canada / Anne Daroussin
Photo: Les poules sur la ferme de Corine Singfield à Hagensborg, dans la vallée de Bella Coola  Crédit: Radio-Canada / Anne Daroussin

Produire, mais à quel prix?

Quand on s’installe dans la vallée de Bella Coola pour faire de l’agriculture, il faut s’attendre à devoir surmonter certains obstacles, car, si le sol est fertile, et le climat, favorable, la logistique, elle, est plus compliquée. La vallée étant peu peuplée, il faut agrandir son territoire de vente.

La première fois que j'avais une ferme ici, on vendait jusqu'à Williams Lake et jusqu'à Bella Bella, de l'autre côté. On envoyait des trucs sur le ferry, puis on envoyait des trucs dans l'autobus, explique Corine Singfield.

Aux questions de distribution s'ajoutent à présent le prix des équipements et des matériaux de ferme et l’attente inévitable lorsque vient le temps de s’en procurer. Quand je me suis retrouvée à court de ficelles pour tuteurer les tomates, par exemple, Corine a dû s’adresser à plusieurs fournisseurs pour en trouver un qui offrait un délai de livraison raisonnable.

Un bébé souriant assis dans une brouette remplie de courges.
Laurent, le fils de Corine Singfield, participe à la récolte des courges à la ferme.Photo : Jean-Philippe Marquis

La recherche d’aubaines n’est pas plus facile. Des petits pots pour les semis jusqu’aux tracteurs, en passant par le plastique et le métal des serres, le prix des objets et des matières premières a parfois doublé, selon Corine, notamment à cause de l’engouement pour les potagers et les fermes de subsistance et des difficultés d’approvisionnement liées à la pandémie.

Malgré ses inconvénients évidents, la COVID-19 aura cependant eu le mérite de mettre en lumière l’importance des systèmes alimentaires locaux. Les Canadiens semblent avoir réalisé leur dépendance aux produits importés, et la hausse des prix de l’alimentation leur a aussi fait comprendre qu’il n’y a plus de raison financière d'acheter des trucs du Mexique, parce que c'est vraiment super coûteux, dit Corine.

C’est pourquoi la communauté s’organise pour faciliter l'accès des producteurs locaux aux nouveaux débouchés ainsi créés.

Une serre à Bella Coola.
Une serre à Bella Coola.
Radio-Canada / Anne Daroussin
Photo: Une serre à Bella Coola  Crédit: Radio-Canada / Anne Daroussin

Soutenir la production locale et organiser la distribution

L’histoire de la production de fruits est un exemple des occasions dont la région a su profiter. Quand les Norvégiens sont venus s'installer dans la vallée, en 1894, dans les terres données par le gouvernement du Canada, ils ont construit des fermes à l'européenne et planté de nombreux arbres fruitiers.

Avec la diminution de la population de la vallée, certains propriétaires ont aujourd’hui plus d'arbres qu’ils ne peuvent en gérer, ce qui a incité la Bella Coola Valley Sustainable Agricultural Society (BCVSAS) à embaucher des ouvriers grâce à un financement du Rural Dividend Fund de la Colombie-Britannique et d’Emplois d'été Canada.

Les deux personnes embauchées en 2020 et les quatre employés de 2021 ont ramassé les fruits chez les propriétaires de vergers qui en faisaient la demande. Un coordonnateur a également été embauché afin de veiller à la sécurité alimentaire. Les propriétaires ont gardé la moitié de la récolte, et l'autre moitié a été donnée à différents organismes pour qu’elle soit redistribuée à des personnes dans le besoin.

Au fil des ans, la BCVSAS a mis en place de nombreuses autres initiatives pour encourager la production locale, comme la distribution gratuite de graines ou des ateliers sur le sol, les semences, les plantations et l’irrigation. D’autres organisations, comme la Banque alimentaire ou le centre d'opérations d’urgence Nuxalk, travaillent aussi à améliorer la sécurité alimentaire.

Une truie avec ses porcelets qui mangent du mizuna
Une truie avec ses porcelets qui mangent du mizuna
Radio-Canada
Photo: Les cochons de la ferme de Corine Singfield à Hagensborg, dans la vallée de Bella Coola.  Crédit: Radio-Canada

Le défi de la main-d’oeuvre

Tout comme l’exploitation des terres, ces projets nécessitent de la main-d'œuvre, une denrée rare dans la communauté.

En 2021, par exemple, la ferme de Corine Singfield a embauché deux employés saisonniers québécois grâce au programme Emplois d'été Canada. Malgré une annonce publiée dans le journal local, aucun candidat de la région ne s’était manifesté.

Corine et son conjoint comptent bien continuer d’essayer chaque année d’embaucher au niveau local. Avec la même passion que celle dont elle a fait preuve pour m’enseigner les rudiments du travail à la ferme ou m’expliquer les vertus médicinales de plantes découvertes au hasard de nos promenades, Corine souhaite transmettre ses connaissances et son expérience en agriculture permaculturelle et en régénération des sols aux agriculteurs de demain.

Une mère avec son bébé assis dans l'herbe
Une mère avec son bébé assis dans l'herbe
Radio-Canada / Anne Daroussin
Photo: Corine Singfield avec son fils Laurent, à Bella Coola.  Crédit: Radio-Canada / Anne Daroussin

Une vision pour l’avenir

Selon Corine Singfield, l’avenir est de plus en plus incertain, et les Canadiens s'interrogent sur leur autonomie alimentaire. Le fait de prendre conscience de la richesse de la terre est donc un pas dans la bonne direction, estime-t-elle.

« Une pandémie comme on a en ce moment, ça réveille les gens sur l'importance des systèmes alimentaires locaux. J'espère que ça va avoir un impact positif. »

— Une citation de  Corine Singfield

Depuis le projet d’analyse des ressources agricoles de la vallée de Bella Coola (Nouvelle fenêtre) (en anglais), en 2007, un important travail collaboratif a été mis en place pour renforcer le système alimentaire local, tant sur le plan de la production que sur le plan de la distribution et de la consommation.

La communauté de Bella Coola tente ainsi de donner l’exemple et d’assurer son autonomie en s’appuyant sur la sensibilisation, la formation et l’implication des habitants.

En s’installant comme agricultrice à Hagensborg et en ayant à cœur de former la relève dans la communauté, Corine Singfield veut semer sa propre graine dans ce champ des possibles.

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