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L'homme semble suspendu dans les airs avec sa planche à roulettes.
usa today sports / Danielle Parhizkaran

Pour la première fois cet automne, une école secondaire de Montréal accueillait une cohorte de sport-études consacrée à la planche à roulettes. Pendant ce temps, le planchodrome de l’école du Mont-Saint Anne à Québec connaît un achalandage inédit. Et l’entreprise spécialisée Empire a enregistré des ventes records partout au pays en 2020. Qu’est-ce qui explique ce nouvel engouement?

Les élèves sont regroupés dans un coin du gymnase pour écouter les consignes de leur enseignant.
Les élèves sont regroupés dans un coin du gymnase pour écouter les consignes de leur enseignant.
daniel mallard photographe / Daniel Mallard
Photo: Les cours ont lieu dans le gymnase de l’école Mont-Saint-Anne.  Crédit: daniel mallard photographe / Daniel Mallard

Le réflexe serait de se tourner vers Tokyo, où le rouli-roulant a fait son apparition dans le programme olympique pour la première fois l’été dernier. Il est toutefois trop tôt pour évaluer si cette entrée en scène marquera une hausse de l’intérêt pour ce sport.

À l’école Triolet, à Sherbrooke, un programme consacré à la planche à roulettes existe depuis quelques années déjà. Pour le moment, nous ne voyons pas d’effet immédiat sur les inscriptions dans le programme. Il faudra attendre quelques années avant de savoir, indique Mélanie Breton, conseillère en communication au Centre de services scolaire de la Région-de-Sherbrooke.

Dave Côté, responsable des sports à l’école du Mont-Saint-Anne, constate que son sport gagne des adeptes, en tout cas dans sa cour immédiate.

C’est une année record pour nous. On a 18 jeunes inscrits, les autres années, on plafonnait à 12, ou maximum 15, dit-il. Et ça, ce sont les jeunes inscrits dans l’option planche à roulettes. On ouvre aussi nos installations aux autres élèves, pour du récréatif. Et là, on a vraiment un groupe fort.

De plus, remarque-t-il, les nouveaux planchistes sont d’un jeune âge. Secondaire 1, secondaire 2. Et ils sont déjà très bons.

Les inscriptions se sont produites en début d’année scolaire, quelques semaines à peine après la fin des Jeux de Tokyo. Il y a possiblement un lien à établir. Mais l’entraîneur-chef de l'option, Louis Grégoire, affirme que l’intégration du sport au mouvement olympique sert d’abord à le rendre plus légitime aux yeux de la population.

Celui qui œuvre dans le milieu depuis plus de 20 ans estime que cette hausse de popularité s’observe depuis quelques années déjà, et qu’elle n’est pas près de s’estomper.

« C’est toujours par vague. Il y a des années où c’est mort, et d’autres où c’est très fort. Mais là, je pense que c’est là pour rester. Parce que les jeunes qui en font en ce moment, leurs parents connaissent ça. Même que plusieurs en ont déjà fait. Ça aide nécessairement. »

— Une citation de  Louis Grégoire, propriétaire de QcSkateboardCamp

Une passion qui se transmet de génération en génération, et une reconnaissance parentale du sport, de ses bienfaits, sont les premiers arguments qui expliquent l’apparition de programmes scolaires, selon Louis Grégoire.

Les JO demeurent une vitrine exceptionnelle, une vitrine qui fait rêver même les plus jeunes. Parmi les spectateurs attentifs lors des compétitions olympiques, il y avait Isaac Lemieux, un des élèves à l’école du Mont-Saint-Anne.

J’ai suivi les Jeux, surtout l’épreuve de street. C’était bien le fun. Les personnes ont différents points de vue là-dessus, que ça doit rester underground, ou que ça peut augmenter la popularité. Moi, j’étais favorable. Les JO, c’est une grosse affaire, tout le monde regarde ça. Il y en a qui ont découvert que c’était plus le fun qu’ils pensaient.

Un jeune homme aux cheveux longs sourit en tenant sa planche bleue derrière sa tête.
Isaac LemieuxPhoto : daniel mallard photographe / Daniel Mallard

Son instructeur abonde dans le même sens. Les Olympiques ont donné une visibilité supplémentaire. J’ai 27 jeunes parfois dans le gymnase sur l’heure du midi pour du récréatif. Je n’avais jamais vu ça. Avec les jeunes, on revient un peu là-dessus parfois, de ce qu’on a vu pendant les compétitions à Tokyo.

Mais ils vont surtout me parler de ce qu’ils ont vu sur Instagram, tranche Louis Grégoire. L’effet d’entraînement se fait ressentir ailleurs que sur la simple visibilité. Depuis les Jeux, j’ai plus de directions scolaires qui m’approchent pour me demander d’aller donner des ateliers dans leur école. Je n’en avais jamais eu autant avant.

Dans la dernière année, ce sont pas moins de 36 écoles différentes qui ont eu recours aux services de QcSkateboardCamp pour des services d'initiation. L'entreprise fondée par Louis Grégoire a permis à huit écoles secondaires différentes d'offrir de la planche à roulettes comme activité parascolaire en 2021, du jamais vu.

Louise Hénault-Éthier, ancienne planchiste de haut niveau, est du même avis. L’apport olympique au sport se mesure davantage en crédibilité qu’en visibilité.

Les gens qui suivaient le sport vont continuer à le suivre à leur manière. Les JO vont chercher un nouveau public. Ce qui est intéressant avec cette nouvelle vitrine, c’est qu’elle apporte une certaine reconnaissance.

« Ça amène de la crédibilité, du financement. De la reconnaissance pour les planchistes, pour les athlètes qu’ils sont. »

— Une citation de  Louise Hénault-Éthier, ancienne planchiste de haut niveau et descriptrice pour Radio-Canada lors des épreuves de planche à roulettes aux JO de Tokyo

Ce n’est donc pas tant la taille de la vitrine olympique qui servirait le sport, que sa force et sa réputation. À l’école Édouard-Montpetit, les deux derniers ajouts au programme sport-études sont justement la planche et… l’escalade, un autre nouveau sport olympique.

Je ne suis pas prêt à dire qu’il y a une influence majeure sur le fait qu’on ajoute le skate et l’escalade. Mais quand les disciplines deviennent reconnues, se fédèrent, se structurent, ça facilite la chose pour le ministère du Sport, explique le directeur de l’école, Martin Talbot. Ça montre qu’il y a des perspectives d’avenir pour les élèves après leur parcours scolaire.

On a cette capacité, l’école, de donner de la crédibilité au sport, en le reconnaissant dans notre cursus, en l'intégrant dans notre grille de matières, ajoute-t-il. C’est certainement une manière de rassurer les parents qu’il est possible de bien pratiquer ce sport. On est ailleurs qu’avant, où le skateboard était vu comme un sport marginal, de voyous.

On considère cette première année comme un grand succès avec 12 élèves inscrits. Pour vous donner une comparaison imparfaite, en patinage de vitesse, nous avons six participants.

Dans un cours au gymnase, un élève maintient du pied sa planche en position inclinée, avec les deux roues du devant surélevées.
Tout le matériel nécessaire est prêté par l’école.Photo : daniel mallard photographe / Daniel Mallard

Même s’il a jeté un œil sur le programme olympique, Isaac se tourne surtout vers les médias sociaux pour assouvir sa passion. Il suit ses idoles sur Instagram et sur YouTube pendant qu’il aspire à suivre leurs traces. J’aimerais ça me faire commanditer, devenir un professionnel, dit-il.

Pouvoir viser des objectifs comme un podium olympique ajoute à sa quête une crédibilité qui n’existait pas il y a cinq ans, avant que le Comité international olympique annonce en 2016 l’arrivée de la planche sous l’enseigne des cinq grands anneaux.

Ça donne du sérieux. Il y a des préjugés comme quoi c’est un sport de bums. Mais là, comme c’est aux JO, on voit que c’est aussi legit que n’importe quel sport. Il y a de l’argent, des médailles en jeu. Il faudra prendre au sérieux ceux qui font du skate.

Sous le regard de ses collègues ébahis, il saute dans les airs avec sa planche.
Sous le regard de ses collègues ébahis, il saute dans les airs avec sa planche.
daniel mallard photographe / Daniel Mallard
Photo: Isaac Lemieux exécute un truc devant ses camarades de classe.   Crédit: daniel mallard photographe / Daniel Mallard

Une popularité virale

Pour Louis Grégoire, la pandémie n’est pas étrangère à la croissance du sport. Je suis certain que ç’a eu un gros rôle à jouer. Les jeunes, quand ils ne pouvaient pas faire de sport organisé, en raison des restrictions, qu’est-ce qu’ils pouvaient faire? Ils pouvaient quand même sortir faire du skate librement.

S’il enseigne le sport entre les murs du gymnase de l’école du Mont-Saint-Anne, c’est à l’extérieur de ceux-ci que ses élèves s’y sont initiés, et certains pendant le confinement provoqué par la COVID-19.

Éclairé par un projecteur, un jeune homme exécute un truc avec sa planche sur un module rectangulaire en bois.
Les marques occupent une place importante dans la culture de ce sport.Photo : daniel mallard photographe / Daniel Mallard

Pendant la pandémie, on ne pouvait plus rien faire, se souvient Isaac. On ne pouvait pas faire de football, de basketball. Le skate, c’est possible d’en faire de manière un peu plus individuelle, disons.

Louise Hénault-Éthier confirme que la pandémie a certainement eu un effet, mais elle apporte une nuance. Le skate est un rare sport où tu n’as pas besoin d’infrastructures massives. Les obstacles peuvent être le mobilier urbain. Les gens pouvaient continuer à sortir dans la rue. Mais pour les athlètes de haut niveau, qui s’entraînent dans des lieux intérieurs, dans des installations précises, à quelques mois des JO, ça n’a pas aidé.

Quelqu’un portant un masque roule dans une rue déserte devant des graffitis représentant des ailes d’ange.
À travers le monde, des planchistes se sont réappropriés les espaces publics pendant la pandémie. Photo : afp via getty images / VALERIE MACON

Cette popularité pandémique s’est fait ressentir du côté des ventes également. La chaîne spécialisée Empire a enregistré des ventes records en 2020.

Nos boutiques ont connu un grand succès en termes d’acquisition de nouveaux clients pendant la pandémie, explique Charles Thibault, responsable du marketing pour l’entreprise qui distribue de l’équipement dans tout le pays. Lors du confinement, notre boutique en ligne a quadruplé ses ventes.

Cette hausse spectaculaire s’explique aussi par le fait que certains clients se sont tournés vers le web lorsque les mesures sanitaires ont entraîné la fermeture des magasins.

Nos 11 succursales, qui enregistrent des centaines de milliers de transactions par année, ont été fermées, donc oui il y a eu un transfert vers le web. Mais en termes d’acheteurs, je dirais qu’on a quand même doublé notre clientèle.

Preuve que certains non-initiés ont voulu essayer le sport, la chaîne n’a jamais vendu autant de planches déjà assemblées, prêtes à être utilisées, qu’en 2020.

« Pour des skates complets, 2020 a été une année record pour nous. »

— Une citation de  Charles Thibault, responsable du marketing pour l'entreprise Empire

Louise Hénault-Éthier a observé la même chose. Dans les magasins, il y avait fréquemment des étalages à moitié vides, ce qui était assez inhabituel. Il y avait des enjeux d’approvisionnement aussi pendant la pandémie. Mais je pense que les ruptures d’inventaire ont aussi été causées par un nouvel engouement pour les sports d’extérieur.

Un jeune homme porte un t-shirt à l’effigie de Vans et un casque affichant le logo Empire. Il fait un truc avec sa planche.
En 2021 quatre écoles supplémentaires ont ajouté des modules à leur inventaire pour permettre aux jeunes de faire de la planche à roulettes. Photo : daniel mallard photographe / Daniel Mallard

Le phénomène se reflète ailleurs dans le monde. Aux États-Unis, la vente de matériel relié à la pratique du sport a doublé en 2020 entre février et juin. La planche à roulettes est donc sur une rampe ascendante qui n’est pas près de se terminer, selon Charles Thibault.

Il y a eu une période où c’était plus populaire, au début des années 2000, puis on ne se cachera pas que la popularité a baissé ensuite. Mais avant les Jeux de Tokyo cet été, il y a eu l’annonce du Comité olympique, et l’attente. Ça a créé un engouement. Ça a intrigué certaines personnes.

À l’échelle locale, Charles Thibault évoque aussi le Vans Park Series, un événement qui a eu lieu à Montréal autour de l’esplanade du stade olympique et des activités d’Adrénaline Urbaine, un centre d’entraînement de Trois-Rivières qui fait la tournée des écoles.

Au-delà des initiatives locales et de la vitrine olympique, la transmission intergénérationnelle a aussi joué un grand rôle. Les gens qui ont vécu le summum des années 2000 veulent inculquer aux plus jeunes le sport, parfois à leurs enfants, et ils veulent le faire de manière encadrée.

Les jeunes discutent en tenant leur planche.
Les jeunes discutent en tenant leur planche.
daniel mallard photographe / Daniel Mallard
Photo: Les jeunes inscrits à l'option planches à roulettes de l'École du Mont-Saint-Ane.  Crédit: daniel mallard photographe / Daniel Mallard

Un mariage pour le meilleur et pour le pire

Ça donne de la crédibilité. Il y a des préjugés sur le skate, comme quoi ceux qui en font, ce sont des bums, lance Isaac. Mais on voit que c’est un sport comme un autre.

Louis Grégoire est aussi enthousiaste et n’y voit que du positif. Ça va créer de belles opportunités pour les jeunes. Ça va débloquer de l’argent. On va les prendre au sérieux. On va voir plus de skateparks voir le jour dans les villes, avance-t-il.

Néanmoins, en 2015, certains planchistes ont mis de l’avant une pétition visant à bloquer l’intégration de leur sport aux Jeux olympiques. Elle a circulé sur le web, a été signée par presque 8000 personnes et a fait beaucoup de bruits.

La planche à roulettes n’est pas un sport, et nous ne souhaitons pas voir celle-ci être exploitée et transformée afin de cadrer dans le programme olympique, pouvait-on lire. Nous croyons qu’une implication olympique modifierait le visage de la planche à roulettes, ainsi que ses libertés.

Ces critiques font sourciller Louise Hénault-Éthier, qui a longtemps espéré que sa carrière de planchiste l’amène jusqu’au rêve olympique. Quand le snowboard a fait son apparition aux Jeux olympiques, je me suis dit : "Ça y est, nous y sommes, c’est une question de temps pour le skate." Ça a pris du temps, ça a complètement sauté ma génération.

J’ai vu l’arrivée de la planche d’un bon œil, c’était comme la reconnaissance d’une activité qui était vue comme un simple hobby de gens rebelles ou moins bien inclus dans la société. On allait finalement vouer aux planchistes le respect qu’ils méritent, en tant qu’athlètes.

Bien sûr, il y avait des appréhensions par rapport à la marchandisation du skate, au sein de la communauté, se souvient-elle. Mais c’est un drôle de discours, car le skate a toujours été un sport d’image et de marchandisation, avec le système de commandites, avec une certaine culture où il faut afficher une association à une équipe, avec les entreprises qui en profitent en vendant du matériel, etc.

Louis Grégoire est d’accord. Il ne croit pas que le sport perdra son identité, mais qu’il s’adaptera simplement au nouveau contexte socioéconomique. Instagram a fait perdre l’identité de la planche, déjà. Avant, à la base, les planchistes se filmaient, créaient eux-mêmes des montages sur des cassettes VHS qu’ils s'échangeaient, c’était long, fastidieux. Les capsules étaient rares. Maintenant, c’est abondant et instantané. Mais l’essence est quand même restée avec de nouveaux moyens, dit-il.

Louise Hénault-Éthier rappelle que les méthodes de diffusion de la planche à roulettes sont depuis longtemps inscrites dans une perspective commerciale. Les planchistes faisaient des vidéos pour se faire remarquer, pour se faire commanditer. Puis, les X Games, ça appartient à une chaîne de télévision privée qui capitalisait beaucoup aussi sur la popularité du sport. Ça n’a rien de nouveau.

L’arrivée du rouli-roulant aux Jeux olympiques pourra aussi donner un bon coup de barre pour l’équité entre les sexes, dans un domaine qui en avait bien besoin. L’équité, ce n’est pas quelque chose qui existait dans le skate. Il y a toujours eu des skateuses, comme moi, mais ça restait un milieu masculin.

Lorsqu’elle était encore active dans les circuits internationaux, Louise Hénault-Éthier a souvent dû s’inscrire à des compétitions pour hommes, faute d’option. Dans mon temps, il y avait une catégorie universelle. J’étais en compétition contre des hommes. On n’a pas la même force physique. Sur 120 participants, il y avait peut-être 3 femmes, et j’avais terminé 65e. J’étais folle de joie!

Les valeurs d’équité mises de l’avant par le mouvement olympique viendront changer la donne, selon celle qui était également analyste pour Radio-Canada lors des derniers Jeux olympiques.

« C’est excellent pour la femme. Dans mon temps, je pouvais gagner 500 $ ou 1000 $ après un événement, et les hommes, 10 000 $. L’écart était ridicule.  »

— Une citation de  Louise Hénault-Éthier, ancienne planchiste de haut niveau

Mais pour pouvoir être aux Jeux olympiques, le monde du skate doit harmoniser ses bourses. Il y a une forme d’équité qui s’installe. Pendant longtemps, on voyait moins de femmes dans ce monde-là. Mais aujourd’hui, on réalise qu’il y a beaucoup de femmes planchistes, et elles sont très bonnes. On a vu aux Jeux olympiques autant de femmes que d’hommes compléter des rotations à 540 degrés.

Plusieurs planches sont en position debout, tenues par des élèves.
Plusieurs planches sont en position debout, tenues par des élèves.
daniel mallard photographe / Daniel Mallard
Photo: La compagnie Empire a vendu un nombre record de planches à roulettes préassemblées en 2020.   Crédit: daniel mallard photographe / Daniel Mallard

Suivre ou non les traces de la planche à neige

Le spécialiste de surf des neiges, médaillé d’or à Vancouver en 2010, a regardé plusieurs épreuves en direct à la télévision. Ses débuts lui ont rappelé Nagano en 1998, quand son sport faisait son entrée olympique.

C’était assez rare déjà un nouveau sport d’hiver. Et l’aspect freestyle a aussi attiré l’attention de beaucoup de curieux. C’était assez particulier, dit-il, ajoutant que le mouvement olympique a certainement aidé à populariser le sport.

Néanmoins, il se souvient qu’il y avait aussi plusieurs sceptiques dans la salle, ou dans le chalet. La moitié des gens étaient en faveur, et l’autre résistait. L’arrimage entre le surf des neiges et le monde olympique n’a pas été facile à accepter par certains.

Il hurle de joie et soulève les bras après sa victoire.
Jasey-Jay Anderson en 2006 à Turin.Photo : afp via getty images / JOE KLAMAR

Dans le monde du snowboard, ç’a été difficile à avaler, dit-il. Il y avait une crainte que le sport perde de son intégrité. Et c’est ça qui est arrivé aussi, le snowboard a perdu son identité.

Les sports de planche en général, le but principal, c’est moins la compétition que le lifestyle. La culture est plus axée sur la spiritualité qui vient avec la pratique du sport.

C’est difficile à expliquer, c’est quoi la spiritualité d’un sport, admet-il. C’est la tenue vestimentaire, les vêtements plus amples, ces choses-là. Il y a des particularités au mode de vie, à la consommation, comme les boissons énergisantes. Tu vois ça dans le snowboard, tu ne verrais pas ça dans d’autres sports.

Le détenteur de quatre globes de cristal craint que la planche à roulettes perde aussi de son côté spirituel, sous les feux de la rampe.

Isaac exerce un saut en hauteur avec sa planche au-dessus d’un de ses amis qui est en pose de méditation, souriant, assis sur sa planche.
Une belle complicité règne entre les élèves inscrits à l’option planche à roulettes.Photo : daniel mallard photographe / Daniel Mallard

Les sports de planche, que tu sois en train de faire du surf en mer, dans des skateparks, ce sont souvent des gangs qui gèrent ça, qui protègent leur spot. Pas tout le temps, mais c’est dans la culture. Et là, ce ne sera plus des gangs qui vont gérer, mais un Comité international olympique, dans une structure officielle.

La transition aurait été plus facile, pour son sport, si les planchistes avaient été maîtres de leur destin, croit-il.

Idéalement, ça aurait été mieux si le snowboard avait pu se gérer lui-même, en apprenant des autres fédérations, plutôt que d’être intégré à une autre. Le snowboard s’est retrouvé dans la FIS, la Fédération internationale de ski. Elle fait semblant d’être ouverte aux nouvelles idées, mais pas du tout. Ça a beaucoup nui. Le snowboard est très mal perçu dans la fédération. Il y a des préjugés partout, même là-bas.

Charles Thibault, qui travaille depuis six ans dans l’industrie, en convient. Les JO ont permis de démocratiser le sport, mais pas de la manière que les puristes l’auraient souhaité. On n’évalue pas les performances aux JO de la même manière qu’on le fait aux X Games. On ne classait pas les riders de la même manière. C’est certain que ça a déplu à certaines personnes. Du côté commercial, les athlètes sont restés fidèles majoritairement à leur commanditaire. D’autres ont décidé de se tourner vers des compagnies externes de jouets, de nourriture, de voitures. Est-ce que c’est mauvais? Ça paraît non pertinent pour certains, mais ça reste un levier financier pour amener le sport à un autre niveau.

Louise Hénault-Éthier est consciente que la planche à roulettes peut tirer de bons apprentissages de l’expérience du surf des neiges, son cousin.

« On a déjà vu que le sport s’est transformé pour cadrer dans le format olympique. J’avais trouvé ça un peu choquant à Tokyo. En vrai, le skate a toujours été un peu anarchique. Ça ne marche pas très bien avec le fonctionnement olympique. »

— Une citation de  Louise Hénault-Éthier

Traditionnellement, même si le compteur est à zéro, certains planchistes vont continuer à s’exécuter, pour s’offrir en spectacle. Ça fait partie de la culture, les spectateurs continuent à l’encourager. Les caméras continuaient à rouler. Quand Tony Hawk a réussi la première rotation à 900 degrés en 1999, c’était après le temps limite.

L’annonceur aux X Games s’était alors exclamé : On décide des règles au fur et à mesure. Donnons-lui une autre chance. Une déclaration qui ne correspond évidemment pas du tout au discours olympique habituel.

Louise Hénault-Éthier déplore aussi certains compromis qui ont été décidés à Tokyo. Il y a eu une sorte d'amalgame entre l’épreuve de parcours de rue et celle du meilleur truc. Il y avait 2-3 trucs payants, tous les participants essayaient de se tirer en bas des plus hautes marches. C’est beau l’amplitude, le degré de difficulté, mais il y a aussi la constance, le style.

Ça a dénaturé un peu la nature artistique de la performance, dit-elle. Mais c’était un début. Ils peuvent ajuster le tir.

Deux jeunes adolescents sont assis sur un banc avec leur planche à roulettes sur les genoux, l’un d’eux joue entre ses doigts avec une planche miniature.
Deux jeunes adolescents sont assis sur un banc avec leur planche à roulettes sur les genoux, l’un d’eux joue entre ses doigts avec une planche miniature.
daniel mallard photographe / Daniel Mallard
Photo: Les participants à l’École du Mont-Saint-Anne ont entre 13 et 17 ans.  Crédit: daniel mallard photographe / Daniel Mallard

Plus haut, plus loin, plus jeune

La devise olympique aurait bien pu être Plus haut, plus loin, plus jeune lors de la présentation des épreuves de planche à roulettes à Tokyo, où les médaillés d’or avaient tous entre 14 et 22 ans.

Un phénomène qui a surpris Jasey-Jay Anderson. Je pense qu’il faudra surveiller ça, à savoir comment on garde en santé ces très jeunes athlètes. Tu grimpes rapidement, mais si tu te blesses gravement, qu’est-ce qui arrive?

Je voyais des jeunes de 14 ans gagner. Si tu te blesses tôt et que ta carrière se termine, que tu ne te rends même pas aux Jeux olympiques, qu’est-ce qui va advenir? se demande-t-il, d’autant plus que traditionnellement, les planchistes ne sont pas reconnus pour avoir des programmes d’entraînement très stricts ou supervisés.

« Il faut aussi avoir un certain niveau de maturité pour gérer correctement sa carrière. »

— Une citation de  Jasey-Jay Anderson

Louise Hénault-Éthier est consciente du défi qui attend la relève. Avant, le skate n’était pas du tout structuré. Il n’y en avait pas, des entraîneurs. Maintenant, avec les commandites nationales, on exige un certain encadrement, qui amène une supervision physique, du soutien psychologique, de l’aide, etc.

Avec les Olympiques, on aura l’élan pour développer une structure. Il y aura toujours des talents naturels qui vont émerger, sans ressources financières, sans encadrement. Mais on aura aussi une armée de jeunes planchistes, dans une pyramide de progression vers l’excellence, comme avec les autres sports. Ces jeunes seront appuyés, et ils ne seront plus laissés à eux-mêmes dans leur quête.

En les encadrant, on pourra aussi leur expliquer qu’ils ne peuvent pas boire de la bière chaque jour et espérer devenir le meilleur au monde, conclut Louis Grégoire.

Sous le regard de ses collègues, un jeune homme s’apprête à s’élancer sur sa planche.
À l’école Mont-Saint-Anne, les cours de planche ont lieu de septembre à septembre et d’avril à juin. Entre-temps, plusieurs basculent vers la planche à neige ou le ski. Photo : daniel mallard photographe / Daniel Mallard

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