Une brise en provenance du fleuve Saint-Laurent souffle sur Pessamit en ce matin ensoleillé de juillet. Autour d’une camionnette, une dizaine de Pessamiulnuat discutent dans la bonne humeur. Notre équipe va les accompagner au cours des prochaines 48 heures.
Devant nous, dépliée sur le capot, une carte de la Côte-Nord et du Nitassinan, la terre ancestrale des Innus.
Une fois l’itinéraire convenu, c’est le grand départ. Direction le nord, vers la forêt boréale. Trois heures de route nous attendent, en grande partie sur des chemins forestiers, qui nous mèneront jusqu’au réservoir Pipmuakan. C’est là que la communauté de Pessamit veut créer une aire protégée.
Au centre du projet : la sauvegarde du caribou forestier ainsi que de la langue et de la culture innues. C’est une question de survie pour les Pessamiulnuat, explique le conseiller en environnement Éric Kanapé.
« Le caribou, c'est l'animal qui nous a permis d'être ici aujourd'hui. Pendant des milliers d'années, le caribou a nourri nos ancêtres, les a habillés, les a outillés. »
Celui que les Innus nomment minashkuau-atiku est un animal sacré, au cœur de leur identité depuis la nuit des temps.
« Ça représente qui on est. Le lien qu'on a avec le territoire, notre langue, notre culture, nos savoirs traditionnels, ce que nos ancêtres ont vécu, qui ont marché sur ce territoire-là. C'est ce que ça représente. C'est très important pour nous autres. »
Tout au long du trajet, la rivière Betsiamites. Un cours d’eau d’une grande importance pour ce peuple nomade, souligne Éric Kanapé.
« C'est une rivière patrimoniale pour nous autres. C'est notre autoroute à l'époque de nos ancêtres, quand ils montaient vers le territoire. »
Le convoi s’arrête. Nous prenons une pause pour observer la rivière qui coule au loin en contrebas. Tout autour du cours d’eau, les coupes forestières sont bien visibles. Elles sont venues changer complètement le paysage et menacer l’habitat des caribous forestiers.
À ce moment, un camion chargé d’arbres se dirige en notre direction. Le visage d’un des aînés qui nous accompagne s’assombrit.
Ça me fait pleurer. Tout mon territoire de chasse est déboisé. Ça me fait mal au cœur
, déplore Robert Dominique.
Devant le camion qui passe devant lui, il peine à cacher sa tristesse. Ça s'en va vers la mer. Ça va devenir en papier. Alors que nous autres, on se servait de ça pour faire des toboggans, pour faire du bois de chauffage, pour faire des raquettes, pour faire des rames et tout ça
, raconte Robert Dominique.

L'exploitation forestière empiète sur les territoires de chasse.
Deux autres aînés accompagnent Robert Dominique dans cette expédition : Desanges St-Onge et Philippe Rock. Leurs connaissances du territoire et des savoirs traditionnels vont être utiles pour documenter et faire avancer le projet d’aire protégée qui germait depuis des années dans le cœur des Pessamiulnuat.

Des traditions autochtones menacées par l'exploitation de la forêt.
Les choses se sont accélérées en février 2021, quand Québec a modifié la Loi sur la conservation du patrimoine naturel. Le gouvernement y a alors introduit un nouveau concept : celui des aires protégées d’initiative autochtone. Les Premières Nations peuvent désormais proposer des projets sur leur territoire afin d’y conserver des éléments de la biodiversité et de leur culture.
L'aire protégée Pipmuakan, c'est une aire qui est créée par et pour les Pessamiulnuat
, nous explique Marie-Hélène Rousseau. Cette ingénieure forestière est responsable du projet pour le Conseil des Innus de Pessamit. Elle croit que cette protection est essentielle pour s’assurer qu'on puisse sauvegarder à perpétuité au moins un endroit dans lequel les Innus peuvent poursuivre leurs pratiques traditionnelles afin de les transmettre aux générations futures.