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Tchernobyl : pour le meilleur et pour le pire

Notre correspondante à Moscou, Tamara Alteresco, s'est rendue sur le site de la défunte centrale nucléaire Tchernobyl, un lieu irradié qui a trouvé une nouvelle vocation : célébrer ses héros.

Un texte de Tamara Alteresco

Publié le 3 décembre 2019

Il fait drôlement chaud en cette fin d’octobre 2019 : 23 degrés Celsius, et pas un nuage en vue.

Bref, une journée idéale pour explorer ce musée à ciel ouvert.

Plus de 30 ans après les faits, et malgré la splendeur des couleurs de l’automne, les traces des ravages de la tragédie nucléaire demeurent visibles.

Tchernobyl est encore aujourd’hui la région la plus contaminée de la planète.

Mais quelque chose, cependant, a changé : la région est de plus en plus visitée.

Des autobus remplis de touristes circulent dans la zone d’exclusion de 30 kilomètres qui entoure la défunte centrale.

N’eût été la télésérie de HBO, ils ne seraient probablement pas venus.

Un accident nucléaire dans une centrale soviétique en avril 1986 a rasé la ville de Tchernobyl en Ukraine.
Garderie abandonnée dans le village de Tchernobyl.Photo : Radio-Canada / Tamara Alteresco

« J’avais entendu parler de Tchernobyl, mais je n’avais jamais saisi la véritable ampleur de la catastrophe. Ça m’a secoué », me confie un touriste britannique rencontré sur place.

Ses yeux sont rivés sur les ruines du réacteur numéro 4, aujourd'hui recouvert d'une chape de béton.

Tchernobyl raconte en cinq épisodes comment le régime soviétique a caché la vérité dans les jours qui ont suivi l’explosion du réacteur en avril 1986 et sa gestion catastrophique de l’accident.

La série a connu un succès phénoménal auprès du grand public et a entraîné une hausse de 30 % du tourisme depuis l’été dernier.

Cela fait plus de 10 ans que des compagnies privées et certifiées par le gouvernement ukrainien organisent des visites des lieux, et cet intérêt subit fait leur bonheur, mais aussi celui des quelques résidents qui, de façon étonnante, habitent encore le village de Tchernobyl.

La gardienne du passé

Le village qui se trouve à 12 kilomètres de la centrale du même nom est devenu, avec le temps, une forêt sauvage où les ruines côtoient la nature.

Une scène tout aussi sinistre que mélancolique.

« Babouchka Maria? Babouchka vous êtes là? Il y a quelqu’un? » crie notre guide Victoria, le cou tendu au-dessus de la clôture qui entoure une petite maisonnette isolée.

Maria, 81 ans, en sort, un sourire fendu jusqu’aux oreilles. Elle adore voir les gens débarquer chez elle à l’improviste.

Et il y en a de plus en plus, ces jours-ci.

« Il paraît que les gens font la file à l’entrée de la zone! C’est fantastique! »

— Une citation de   Maria Matreevna
Un accident nucléaire dans une centrale soviétique en avril 1986 a rasé la ville de Tchernobyl en Ukraine
Babouchka Maria, 81 ans, une des centaines d’aînés qui habitent encore dans la zone d’exclusion, malgré les radiations.Photo : Radio-Canada / Tamara Alteresco

Maria était femme de ménage à la centrale nucléaire et son mari, gardien de sécurité quand ils ont été évacués en 1986.

Le couple est revenu à la maison un an plus tard, malgré les risques et l’interdiction.

Elle n’est jamais repartie.

« À l’âge que j’ai, les radiations m’auraient déjà achevée, alors je n’ai rien à craindre! Ici c’est chez moi, c’est ma patrie et ma terre natale », explique-t-elle.

Sa petite maison est douillette, et il y a même des vignes qui poussent dans le jardin, mais sa solitude est palpable.

Maria me serre constamment dans les bras et m’embrasse les mains et les joues en me confiant à l’oreille que je lui rappelle sa propre fille.

Elle a aussi des petits-enfants, mais elle les voit rarement.

Un accident nucléaire dans une centrale soviétique en avril 1986 a rasé la ville de Tchernobyl en Ukraine
Babouchka Maria et Tamara AlterescoPhoto : Radio-Canada

Le sol est à ce point contaminé que les moins de 18 ans n’ont tout simplement pas le droit de visiter les lieux.

Certaines sections du périmètre fermé sont plus radioactives que d’autres et le resteront pour des centaines d’années encore, mais cela ne semble pas décourager les projets d’expansion du tourisme.

Depuis le succès de la série de HBO, le président de l’Ukraine Volodymyr Zelenzky a déclaré vouloir développer le site.

« Il faut montrer Tchernobyl au monde entier, aux historiens, aux scientifiques et aux touristes », disait-il en juillet, en signant un décret qui vise à transformer la zone d’exclusion en corridor vert mieux contrôlé.

Les héros oubliés enfin sur grand écran

Pour bien des gens qui ont vécu l’accident en temps réel, comme le cinéaste russo-ukrainien Alexander Rodnyansky, le projet a du mérite.

« Il y a une partie de moi qui trouve ça complètement fou, car c’est un lieu de deuil et de recueillement, et surtout pas un Disneyland, mais en même temps, je comprends le poids que ce désastre écologique représente pour notre époque », dit-il.

« L’intérêt et la curiosité que la série télé a éveillés sont une bonne chose. C’est aussi essentiel pour se souvenir des morts et des héros. »

— Une citation de   Le cinéaste russo-ukrainien Alexander Rodnyansky

Son propre long métrage Tchernobyl, the Abyss est en phase de montage.

Certains agents de la GRC croient que les conditions malsaines d'un édifice de formation à Kemptville pourraient être à l'origine de problèmes de santé.

Ce sera la toute première mégaproduction cinématographique russe qui traite de la tragédie de 1986… 33 ans plus tard.

Alexander Rodnyansky est connu dans le monde entier pour ses bijoux de films comme Stalingrad (2013) et La deuxième Compagnie (2005).

Il est aussi le producteur du long métrage Leviathan, récompensé aux Golden Globes comme meilleur film étranger.

Ce qui est moins connu, ce sont ses débuts derrière la caméra dans les années 80.

Alexander Rodnyansky était à Tchernobyl cinq jours après l’explosion pour documenter le drame, et ce, dans un climat d’obscurité et de mensonge de la part des autorités soviétiques.

Il a vu de ses propres yeux les foules évacuées trop tard, des pompiers se jeter comme des kamikazes dans les zones les plus contaminées. Il a assisté à leurs funérailles.

Un évènement qu’il ne pourra jamais oublier et qu’il rêve depuis toujours de porter au grand écran.

Une grue devant la plante nucléaire partiellement détruite.
Des réparations sont effectuées à la centrale nucléaire de Tchernobyl endommagée par l'explosion du 26 avril 1986.Photo : Getty Images / ZUFAROV

Quand la série Tchernobyl est sortie le printemps dernier sur HBO, son équipe était déjà en phase de production.

Sur le coup, c’était la surprise et même la déception, me confie Alexander Rodnyansky, qui explique avoir mis des années pour trouver un scénario à la hauteur des héros.

« Jamais on ne s’attendait à ce qu’une chaîne aussi importante que HBO se consacre en détail et avec autant de précision à une histoire de l’époque soviétique. »

— Une citation de   Alexander Rodnyansky

Malgré les nombreuses critiques formulées par les autorités russes au sujet de la production américaine, Alexander Rodnyansky n’a que des éloges à lui faire.

Mais le film qu’il produit sera différent et se consacre entièrement à l’histoire des héros méconnus.

Un gros plan sur les trois hommes qui se sont portés volontaires pour plonger dans les eaux contaminées du sous-sol du réacteur numéro quatre pour vider son réservoir afin d’éviter une deuxième explosion.

Une mission presque suicide, sans laquelle une partie de l’Europe aurait pu être contaminée; des millions de vie étaient en jeu.

Ces trois hommes sont communément appelés l’escouade suicide, bien qu’ils aient tous survécu. Un miracle.

Un accident nucléaire dans une centrale soviétique en avril 1986 a rasé la ville de Tchernobyl en Ukraine.
Photo sur le plateau de tournage du film Tchernobyl, the Abyss du producteur Alexander Rodnyansky. Photo : Radio-Canada / Non stop Production

Notre équipe a visité le plateau de tournage du film en Hongrie alors que le réalisateur et acteur populaire russe Danila Kozlovsky tournait les scènes les plus complexes et intenses sous l’eau.

« C’est une version patriotique, mais dans le bon sens du terme. Nous n’avons pas le droit d’oublier ce qui s’est passé et les gestes héroïques qu’ils ont posés. »

— Une citation de   Danila Kozlovsky

Le réalisateur croit lui aussi que la série de HBO a réveillé la mémoire collective et que tout le monde en bénéficie aujourd’hui.

Son collègue producteur Alexander Rodnyansky ajoute que les Russes qui l’ont vue l’ont aussi appréciée, quoi qu’en disent les autorités.

Il ajoute que le public est prêt et qu'il possède désormais la base pour comprendre les circonstances que ses héros ont dû braver, l’inefficacité du système et la désinformation des haut placés du régime soviétique.

Son film devrait prendre l’affiche en Russie dès l’automne et des discussions sont en cours pour un lancement en grande pompe au Festival du film de Toronto (TIFF) au mois de septembre.

Tournage du film film Tchernobyl, the Abyss
L’acteur et réalisateur Danila Kozlovsky Photo : Radio-Canada / Tamara Alteresco

Tel est l’intérêt que suscite aujourd’hui le sort de Tchernobyl.

Contre toute attente, le producteur a même réussi à convaincre Rosatom, la société d’État russe de l’énergie atomique, de financer une partie du projet.

Il aura ainsi fallu 33 ans et une série venue de l’Amérique pour surmonter la honte que l’accident de Tchernobyl a été pour l’ex-Union soviétique et porter au grand écran l’incroyable histoire des survivants.

« La série de HBO nous aura certainement aidés à comprendre l’histoire sous un angle différent. Des fois, on est doué pour raconter des évènements qui sont loin de nous et probablement que Tchernobyl était encore trop près de notre réalité à nous. »

— Une citation de   Alexander Rodnyansky
Le cinéaste russo-ukrainien Alexander Rodnyansky
Le cinéaste russo-ukrainien Alexander RodnyanskyPhoto : Radio-Canada / Tamara Alteresco

Le Kremlin prépare sa propre série …

Mais d’ici là, la Russie prépare sa propre minisérie pour la télévision.

Une version en forme de complot, selon laquelle un agent de la CIA aurait infiltré Tchernobyl pour la saboter.

Le projet, entre les mains de la chaîne russe NTV, se veut une réplique directe à la série de HBO et aurait même bénéficié d’une enveloppe importante du ministère de la Culture.

Le tournage de cette série a été fait dans le plus grand secret en Biélorussie, mais un extrait de la bande-annonce publiée sur YouTube promet de raconter « ce qui s’est vraiment passé en 1986 ».

Décidemment en 2019, Tchernobyl revit, pour le meilleur et pour le pire.

Journaliste – Tamara Alteresco | Chef de pupitre – Bernard Leduc

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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