Un homme qui se présente sous une fausse identité contacte l’équipe d’Enquête. Il veut dénoncer ce qu’il a vécu au sein de l’Opus Dei pendant 30 ans, mais il est craintif. Une peur irrationnelle, un peu paranoïaque, admet-il, qui lui vient de ces années dans cette organisation catholique.
Au moment de l’entrevue, il nous dévoile finalement son vrai nom. Vincent Durocher serait le premier Canadien à témoigner de son expérience. C'était un chemin de persécution, un chemin de harcèlement.
L’Opus Dei veut dire l’œuvre de Dieu. Le groupe est fondé par Josemaria Escriva de Balaguer en 1928 en Espagne. Il a séduit le Vatican par son côté novateur, par cette idée que des laïcs peuvent atteindre la sainteté dans le travail et la vie de tous les jours.
Le fondateur a été déclaré saint par le pape Jean-Paul II.
En 1980, Vincent Durocher a dit oui à l’invitation d’un ami à une rencontre donnée par l’Opus Dei à Montréal. Ce qu’il entend ce soir-là répond à son idéal de catholique pratiquant. Il s’engage dans l’Oeuvre à 19 ans comme numéraire, c’est-à-dire un membre célibataire, et fait la promesse de pauvreté, de chasteté et d'obéissance.
La majorité des membres sont des surnuméraires, des gens qui sont pour la plupart mariés et qui ont des enfants. Seulement 2 % des membres sont des prêtres.
L’Opus Dei est donc composée majoritairement de laïcs. Ils sont habillés comme vous et moi. Ils ne portent pas l'habit de moine comme dans le film Le Code da Vinci. Ce film où un moine albinos se flagelle pour expier les meurtres qu’il va commettre n’est que pure fiction.
Le reportage de Johanne Faucher et de Denis Roberge est diffusé à Enquête le jeudi à 21 h sur ICI Télé.
Pendant ses années au sein de l’Opus, Vincent Durocher enseigne la biologie dans une école secondaire. Le soir, il rentre chez lui dans une des maisons de l’Opus Dei où il vit avec d’autres membres numéraires. Son salaire est versé intégralement à l’Opus Dei.
Vincent Durocher a le sentiment d’avoir été piégé dès le début. On ne m'a pas beaucoup expliqué. On ne m'a pas dit : "tu vas donner tout ton argent, ton temps et tout ça", on ne m'a pas dit ça. On m'a dit : "tu vas donner ta vie à l'Opus Dei". Et c'est après, au fur et à mesure qu'on vous explique, que là ça se précise.
Comme tous les membres numéraires, Vincent Durocher est encouragé à respecter ce que l’Opus appelle le Plan de vie
. Il s’agit d’une longue liste de dévotions :
- Baiser le sol en se levant;
- Prendre une douche froide;
- Prier 30 minutes le matin;
- Prier 30 minutes l'après-midi;
- Assister à la messe tous les jours;
- Réciter le chapelet;
- Faire un examen de conscience à midi et le soir, etc.
Les membres de l’Opus Dei ne sont pas des catholiques ordinaires. Ils pratiquent leur religion avec ardeur. Ils se flagellent une fois par semaine et portent le cilice chaque jour pour partager les souffrances du Christ.
Vincent Durocher nous explique que le cilice est une couronne de métal avec des pointes qu’on porte autour de la cuisse : Qu'on doit porter deux heures par jour, c'est serré. L'esprit de pénitence, c'est très fort dans l'Opus Dei.
Mais pour Vincent Durocher et d’autres anciens membres, les mortifications corporelles ne sont pas ce qu'il y a de pire dans la vie au sein de l’Opus Dei. Le contrôle auquel ils sont soumis l’est davantage.
L’Opus Dei contrôlerait tous les aspects de leur vie. Les allées et venues sont contrôlées. Ils savent à tout moment où vous êtes. C'est une autre façon de contrôler les gens aussi
, affirme-t-il.
La majorité des livres sont à l’index. Le cinéma, le théâtre et la télévision sont interdits. Les loisirs sont limités.
L'Opus demande que vous soyez disponible en tout temps pour l'organisation. Les soirées sont occupées à des formations spirituelles, à des cercles de discussion pour approfondir des textes, etc. Vincent Durocher est épuisé. On ne lui permettait pas de se reposer, dit-il. Si vous mettez le côté physique, le côté stress, le côté harcèlement, ça fait beaucoup dans l'assiette. Là, ça fait beaucoup ça.
Pressés comme des citrons
Le fondateur Josemaria Escriva de Balaguer promet la sainteté à ceux qui suivent ses enseignements. Plusieurs anciens membres racontent qu’ils ont été soumis à une autorité abusive, brimés dans leur liberté et contraints à une discipline austère.
Pour en savoir davantage sur ce que certains appellent le contrôle
sur leur vie, l’équipe d’Enquête s’est rendue au Mexique pour rencontrer Carles Miguel. Il a quitté l’organisation en 2010 après y avoir passé 34 ans. Il a dirigé plusieurs centres de l’Opus Dei dans de nombreux pays. Il confirme que les pressions exercées du matin au soir pour atteindre la perfection sont énormes.
« Quand toute ta vie, du réveil au coucher, est sous cette pression de la perfection, je pense que ce n’est pas très bon. Et vous n’avez pas le temps de vous reposer parce que vous n’êtes pas censé vous reposer. Vous êtes censé être pressé jusqu’à la dernière goutte. »
Selon nos informations, un grand nombre de numéraires de l’Opus Dei prendraient des antidépresseurs. Selon les observations de Carles Miguel, 11 des 15 résidents de la dernière maison de l’Opus où il a habité, étaient sous antidépresseurs. De toute évidence, l’épuisement professionnel, les problèmes mentaux comme la dépression sont extrêmement courants parce que vous avez l’impression de ne jamais atteindre ce point de sainteté, de perfection, et que c’est difficile
, déclare Carles Miguel.
Et si des membres ressentent le besoin de consulter un médecin, ils seraient incités par l’organisation à choisir un médecin membre de l’Opus Dei, selon ce qu’affirment Vincent Durocher et d’autres anciens membres surnuméraires.
La responsable des communications à l’Opus Dei au Canada, Isabelle Saint-Maurice, nie cette affirmation. Quant au nombre de membres qui souffriraient de dépression, elle l'ignore, puisqu'il s’agit d’une information privée.
« Ça, c'est incroyable, [...] Nous, on vit dans une société libre. On devrait aller voir le médecin qu’on veut, pas le médecin de l'Opus Dei. Ça, par exemple, c'est une preuve de contrôle. C'est un contrôle exacerbé qui ne devrait pas exister. »
Madame Saint-Maurice soutient que les membres de l’Opus Dei jouissent d’une grande liberté et que la majorité y est heureuse, comme elle. Pour une rare fois, l’organisation a accepté de nous ouvrir les portes d’une de ses résidences. Nous y avons rencontré un membre numéraire qui se dit très heureux dans l’Opus Dei depuis 30 ans.
Dévoiler tout, même ses pensées les plus intimes
Selon Vincent Durocher, les numéraires sont encouragés à se confier une fois par semaine à leur directeur spirituel qui a pour rôle de les guider dans leur foi. Il sentait qu’il ne pouvait rien lui cacher, même ses secrets les plus intimes.
Vincent Durocher ainsi que d’autres anciens membres numéraires y voient une forme de contrôle. De plus, ils reprochent l'indiscrétion de certains directeurs spirituels qui partageraient les confidences avec d’autres directeurs.
Isabelle Saint-Maurice, responsable des communications, affirme que personne n’a l'obligation de tout dire à son directeur de conscience, qui n’est qu’un accompagnateur. Elle ajoute qu’il s’agit d’une faute grave si des directeurs de conscience ont pu avoir été indiscrets.
Les anciens membres que nous avons rencontrés ont quitté l'Opus Dei il y a 10 ans. Isabelle Saint-Maurice affirme que les choses ont changé depuis.
L’Opus Dei compte près de 90 000 membres dans le monde. Ils sont 900 au Canada, 300 de plus qu’en 2006. L’Organisation a fait des gains surtout en Alberta et en Colombie-Britannique pendant cette période.
L'Opus Dei a surtout de l’influence en Espagne, aux Philippines, au Mexique et dans certains pays d’Amérique du Sud.
Dans ces pays, des membres dirigent des écoles, des universités, des hôpitaux et occupent des postes importants.
Ils tentent de répandre leurs idées contre l’avortement, le mariage gai, l’aide médicale à mourir, soit les mêmes idées que l’Église catholique.
Il y a 10 ans, Vincent Durocher n’en pouvait plus. Avec l’aide d’un membre de sa famille, il est parti en catimini, sans dire au revoir.
Depuis, Vincent Durocher est devenu papa. Il poursuit sa carrière d’enseignant à temps partiel. En revenant avec nous devant la maison de l'Opus, rue Plantagenet à Outremont, où il a vécu de nombreuses années, Vincent Durocher s’est senti très mal à l’aise, angoissé face aux mauvais souvenirs que cette maison lui rappelle.
« Vous me direz j'étais mûr. Non, je n'étais pas mûr, à 19 ans, on est encore jeune, on ne connaît pas la vie. C'est très jeune pour prendre une décision comme ça. [...] J'ai dit oui. Mais si j'avais su à quoi je m'engageais, j’aurais jamais dit oui, comprenez-vous? (rires). »