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Faire voler un drone à plus de 100 mètres sous la surface de la Terre, dans le fond d’une mine, c’est possible. D’ailleurs, un groupe formé d’Ontariens et de Québécois y vole déjà pour sauver des vies.
Par Ezra Belotte-Cousineau
Radio-Canada
Photo: L'équipe de SafeSight Exploration avance dans les galeries de la mine de Rocmec 1 Crédit: Radio-Canada
Au mois d’octobre dernier, le Nord de l’Ontario retenait son souffle alors que 39 de ses mineurs étaient restés coincés à plus d’un kilomètre sous terre durant plus de 48 heures.
L’événement s’est produit à la mine Totten, près de Sudbury, qui appartient au Groupe Vale, et tous les sinistrés ont été rescapés grâce aux efforts de plus de 45 sauveteurs miniers, dont une majorité de volontaires.
Ce type d’opération est complexe et peut comporter des risques. C’est pourquoi des compagnies cherchent des solutions plus sécuritaires pour les effectuer. Ainsi, à l’arsenal des équipes de sauvetage souterrain s’ajoute désormais un nouveau bataillon : une force aérienne.
Les drones peuvent voler à 90 mètres sous terre dans des galeries grâce à leurs systèmes de stabilisation.Photo : Radio-Canada / Ezra Belotte-Cousineau
SafeSight Exploration (SSE), une entreprise de North Bay, utilise des drones dans le secteur des mines à ciel ouvert, mais aussi des mines souterraines pour effectuer différentes opérations.
SSE met actuellement au point son programme de sauvetage minier dans le but de faire des manœuvres de sauvetage en cas d’incident.
Le cas échéant, un drone pourra être envoyé dans une zone ou une galerie jugée non sécuritaire afin de repérer des mineurs en difficultés ou encore de faire un état des lieux après l’incident.
Outre les opérations de sauvetage, les drones, une fois munis de numériseurs (scanner) arrimés à leur ventre, sont déjà aussi utilisés afin de cartographier les galeries des mines.
Pour ce faire, SafeSight Exploration fait appel à l’entreprise québécoise Nemesis Intelligence, qui a la tâche d’analyser les quantités monstrueuses de données générées par les numériseurs.
Radio-Canada
Photo: Capture d'écran de la vidéo pour le long format : Voler sous Terre Crédit: Radio-Canada
La « mine » pointe de la technologie
C’est à la mine d’or Rocmec 1, près de Rouyn-Noranda, que les entreprises SafeSight Exploration, de North Bay, et Nemesis Intelligence, de Québec, procèdent aux derniers essais de leurs technologies de drones souterrains.
À bord d’un petit camion, l’équipe descend dans la passerelle exiguë à plus de 90 mètres sous terre dans une humidité accablante et dans une noirceur que l’on ne peut voir qu’au fond d’une mine.
Dans les galeries, on peut retrouver des cages où sont conservés les explosifs pour les opérations de prospection.Photo : Radio-Canada / Ezra Belotte-Cousineau
La descente, qui dure une dizaine de minutes dans le tunnel aux parois angoissantes, laisse apercevoir par-ci, par-là des indices évoquant les menaces existant dans le souterrain, rappelant la dangerosité du métier de mineur.
Vêtus des uniformes orange de sécurité, et portant au front sur le casque la mythique lampe de mineurs, les collaborateurs mettent finalement leurs équipements à l'œuvre.
Altitude négative
Après avoir décidé d’une zone de décollage et d’atterrissage, et après avoir mis les différents équipements de navigation en place, l’équipe lance ses opérations, les deux pieds dans la boue qui tapisse l’ensemble du plancher de la mine d’or.
La mine Rocmec 1 pourrait devenir un site d’entraînement pour les futurs pilotes de drones souterrains formés par SafeSight Exploration. C’est pourquoi Isaac Paul, le chef pilote de SSE, en profite afin d’évaluer si certaines galeries de la mine d’or sont adéquates pour y effectuer des exercices d'entraînement avec des pilotes souterrains novices.
« Simplement le fait d’exister ici en bas en tant qu’humain est difficile, donc faire voler un drone... c’est compliqué. C’est une aventure à chaque fois que de voler sous la terre. »
Dans la pénombre, après avoir suivi les différentes procédures de mise en vol, le pilote en chef de SafeSight Exploration lance les quatre hélices de l’aéronef. Le vrombissement du drone emplit la galerie, l’écho le rendant assourdissant.
L’engin s’élève doucement au-dessus du tapis de boue et s’avance dans le noir le plus complet, révélant sur l’écran de la télécommande le tunnel, qui apparaît finalement sous la lumière des puissants phares DEL du drone.
Isaac Paul explique qu’il doit faire appel à une très grande concentration lorsqu’il pilote son engin.
Lors des vols, alors que l’engin est hors de son champ de vision, il ne peut se fier qu’au moniteur de sa télécommande, et espérer que les différents senseurs de l’appareil fassent dûment leur travail de stabilisation.
Plusieurs facteurs peuvent nuire aussi au travail – voire à la survie – des aéronefs, comme des nuages de poussière ou encore d’intenses chaleurs.
C’est sans compter la multitude de pièges couverts de rouille, sous forme de murs hérissés de barres de métal ou pire, de chaînes qui pendouillent du plafond.
« Il est difficile de prévoir comment la technologie va répondre dans l’environnement réel. [...] C’est une chose qu’elle fonctionne dans le confort d’un bureau, mais sous terre... les choses changent. »
Le drone a deux utilités dans l'univers des mines. À l’aide d’un numériseur, il est présentement utilisé pour créer des plans 3D des différentes galeries, mais son utilisation la plus prometteuse et la plus attendue selon SafeSight Exploration est sa capacité d’intervenir lors d’opérations de recherche et de secours.
En cas d’incident [dans une mine] ou alors à la suite d’un incident pour aller voir ce qu’il reste, c’est plus sécuritaire d’envoyer un drone qu’un être humain. Enfin... pas toujours pour le drone, ajoute Isaac Paul, chef des pilotes.
Radio-Canada / Ezra Belotte-Cousineau
Photo: À gauche, Jamieson Mcauslan, vice-président technologies SafeSight Exploration et à droite Fabien Muller, ingénieur en mécanique des roches se préparent.
Crédit: Radio-Canada / Ezra Belotte-Cousineau
L’un vole, l’autre analyse
SafeSight Exploration met au point différentes technologies pour assurer la sécurité dans les mines, mais aussi pour faciliter l’ensemble du processus d’exploration et de planification grâce aux numériseurs.
« Nous cherchons quels sont les défis sous terre, et nous tentons de les relever en utilisant les dernières technologies. »
En collaboration avec la compagnie de Québec Nemesis Intelligence, qui s’occupe de fournir les logiciels pour gérer l’énorme quantité de données générées par les engins numériseurs de SSE, le duo d’entreprises veut révolutionner la façon dont on cartographie et analyse une mine.
Il y avait un besoin d’applications pour extraire l’intelligence de ces données-là. Prendre des données c’est une chose, mais extraire de l’information intelligente, ça, c’est une autre paire de manches, assure Jean Brassard, président de Nemesis Intelligence.
Un torrent de données
À l’aide d’un radar installé sous sa coque, le drone permet de cartographier les galeries des mines en mode tridimensionnel. C’est lors de cet exercice que la collaboration entre les deux entreprises prend tout son sens.
Fondée par Jean Brassard en 2012, Nemesis Intelligence compte dans ses rangs Fabien Muller, un inventeur minier émérite qui était présent lors des tests à Rocmec 1.
Cet ingénieur spécialiste de la mécanique des roches est notamment le créateur du CMS (Cavity Monitoring System), un outil qui se retrouve maintenant, selon Jean Brassard, dans la grande majorité des mines à travers le monde. Sa grande connaissance de cet univers lui permet de bien comprendre les défis auxquels font face les mineurs, mais aussi les gestionnaires des souterrains.
Jean Brassard, le président de Nemesis Intelligence est en train d'identifier la localisation géographique d'un point précis de la mine.Photo : Radio-Canada / Ezra Belotte-Cousineau
La collaboration avec SafeSight Exploration est le fruit de la recherche d’un partenaire aux compétences complémentaires, mais qui parle le même langage.
Jean Brassard explique que le talent de SSE concerne la capture des données, alors que celui de Nemesis concerne leur exploitation. Quand nous nous sommes parlé, c’était probablement la première fois que des gens comprenaient exactement ce que nous disions, précise-t-il.
Cartographier une galerie
À 90 mètres sous la terre de Rouyn-Noranda, Isaac Paul a toujours le regard rivé sur l’écran de la télécommande. Le drone est maintenant à plus de 50 mètres de son point de décollage et, arrivé à la cavité à l’extrémité de la galerie, il procède à un demi-tour pour revenir vers son point de départ.
Après quelque 15 minutes de vol, alors que l’appareil touche à sa plateforme d’atterrissage, un soupir de soulagement se fait entendre chez les observateurs, beaucoup moins sereins que le pilote : Ouf! C’était quand même vraiment beaucoup de plaisir. Un vol tout en douceur! s’exclame Isaac, un large sourire au visage.
L'équipe de SafeSight Exploration se réjouit d'avoir réussi son vol de drone dans les galeries de Rocmec 1.Photo : Radio-Canada / Ezra Belotte-Cousineau
Mais à ce moment, seule la moitié de la tâche a été effectuée, puisque pour l’exercice du jour, l’équipe veut générer une carte 3D de cette galerie de Rocmec-1.
Un numériseur est désarrimé du drone, puis connecté à une tablette électronique. Les techniciens s’affairent à lancer les logiciels d’analyse, une opération qui, au final, sera plus longue que le vol lui-même.
La nouvelle technologie que nous testons aujourd’hui nous permet de scanner la galerie avec sa géolocalisation. Cela nous permet d’avoir des données qui peuvent être utilisées immédiatement en sortant du souterrain, détaille Jamieson McCausland, vice-président technologies de SafeSight Exploration.
Le drone avec son numériseur a généré ce plan détaillé d'une galerie de la mine Rocmec 1 de Rouyn-Noranda.Photo : Radio-Canada / Avec l'autorisation de : SafeSight Exploration
Comme promis, après quelques minutes, l’écran illumine la cavité où l’équipe attend patiemment, et le dessin d’un long tube aux détails impressionnants apparaît sur la tablette.
Pour dessiner ce plan, pas moins de 2,5 millions de points à la seconde ont été captés par le numériseur du drone durant le vol à Rocmec 1.
Radio-Canada
Photo: Capture d'écran de la vidéo : Drone View Crédit: Radio-Canada
Radio-Canada
Photo: Un drone de l'entreprise Safe Sight vole dans une galerie de la mine Rocmec-1. Crédit: Radio-Canada
Frapper le mur des données
Selon le président de Némésis Intelligence, Jean Brassard, les technologies d'acquisition de données se multiplient dans le domaine minier. Les gens ne vont pas frapper un mur, mais ils vont rencontrer des difficultés énormes avec la gestion de ces données qui sont de plus en plus grandes, dit-il.
Il estime qu’afin de gérer ces données imposantes, les mines devront améliorer leurs technologies de l’information de façon importante. Il explique qu’il faut assurer un archivage complet des données et acquérir des ordinateurs assez puissants pour les gérer, d’où l’approche proposée par Nemesis Intelligence.
« La réunion d’une compagnie qui prend des données massives, avec une compagnie qui va prendre ces données massives et en sortir de l’information utilisable… C’est là qu’elle est vraiment, l’innovation. »
À terme, l’offre technologique du duo d’entreprises serait accessible sur une plateforme web, allant directement du numériseur lors de sa sortie de la mine à l’écran du gestionnaire, peu importe où ce dernier se trouve.
Cette fonctionnalité tombe à point à une époque où les propriétaires et gestionnaires de mines peuvent se trouver aussi loin qu’en Australie, comme c’est le cas des propriétaires de Rocmec 1, à Rouyn-Noranda.
L'équipe de SafeSight Exploration et Nemesis en compagnie de XXX qui a accompagné et guidé le groupe dans le mine Rocmec 1.Photo : Radio-Canada / Ezra Belotte-Cousineau
Retour à ciel ouvert
Bien que la séance de test ait eu lieu au mois d’octobre et qu’il fasse frais à la surface, c’est la sensation d’un vent chaud que les membres de l’équipe ressentent sur leur visage lorsque la lumière apparaît au bout du tunnel de la mine.
Alors que le petit véhicule de transport remonte peu à peu la passerelle, l’accablante humidité s’estompe, les rudes parois de la galerie s’élargissent petit à petit jusqu’à ce que finalement, le ciel apparaisse au-dessus de l’équipe d’aviation souterraine.
Durant l’entrevue, M. Brassard avait évoqué le commentaire d’un collègue affirmant qu'au niveau de l’utilisation des technologies, les mines à ciel ouvert sont en 2020, alors que les mines souterraines sont à peu près en 1980.
« C’est un peu idéaliste, mais j’aimerais contribuer à l’avancement de l’efficacité du travail dans les mines souterraines. Il y a encore beaucoup de défis à relever. »
Selon lui, les technologies existent, mais il faut que le domaine minier souterrain les apprivoise.
SafeSight Exploration et Nemesis Intelligence regardent cet avenir et cet objectif commun d’un bon œil. Chacun d’un côté de la frontière, chacun son talent, unis et à l’assaut du marché mondial et du ciel que l’on retrouve sous terre.