Obligatoire depuis 2014 en Alberta, la garantie pour maison neuve est censée protéger les personnes qui acquièrent une maison nouvellement construite contre les vices de conception et de construction. Pourtant, des centaines de propriétaires à travers l’Alberta, dont les maisons ont été mal construites, soutiennent avoir été abandonnés par leur fournisseur de garantie qui refuse de faire les réparations nécessaires.
Votre garantie pour maison neuve vous protège-t-elle vraiment?
Texte : Andréane Williams Illustrations : Sophie Leclerc
John McKale, le fondateur de Home Warranty Advocates, est un homme occupé. Entre son téléphone portable qui sonne sans arrêt et les milliers de kilomètres qu'il parcourt chaque mois pour rencontrer ses clients, ses journées se terminent souvent très tard.
Depuis 2018, cet ancien employé de Progressive Home Warranty, une entreprise qui vend des garanties pour maisons neuves en Alberta, vient en aide aux propriétaires qui n’arrivent pas à obtenir gain de cause auprès de leur fournisseur de garantie.
Aujourd’hui, il affirme avoir près de 400 clients en Alberta.
Un propriétaire sur deux ici, si vous alliez cogner à sa porte, vous pourriez avoir une discussion de 15 minutes à propos de tous les problèmes de sa maison
, affirme John McKale tout en conduisant sa voiture pour aller rencontrer ses clients, Nicole et Olivier Favreau.
Le couple installé à Morinville, à une trentaine de kilomètres au nord d’Edmonton, y a fait construire sa maison en 2016.
Depuis, leur maison de rêve s’est transformée en cauchemar. Quelques mois seulement après avoir emménagé, ils ont constaté que l’eau a commencé à s’infiltrer à travers le toit. Le plancher a ensuite commencé à bouger. Les problèmes n’ont cessé de s’accumuler.
On se demande toujours quand quelque chose d’autre va briser
, confie Nicole Favreau.
En février 2021, c’est le plafond qui a été inondé, en raison de l’accumulation de condensation dans les combles.
Son fournisseur de garantie, l’Alberta New Home Warranty Program (ANHWP), lui a d’abord conseillé de contacter sa compagnie d’assurance, sous prétexte qu’il ne pouvait pas envoyer d’inspecteur avant quelques semaines en raison de la pandémie.
Nicole Favreau et son mari ont dû payer environ 1200 $ de leur poche pour la remise en état de la maison. Ils ont ensuite fait une réclamation auprès de l’ANHWP pour faire corriger les problèmes dans les combles.
Dans son rapport d’inspection, l’ANHWP indique que des réparations devront être effectuées lorsque la température le permettra, sans toutefois donner de date.
Cela fait huit mois et aucune réparation n’a été faite. Il n’y a pas de plan d’action
, déplore John McKale.
L'expert voit fréquemment ce genre de situation, avec les fournisseurs de garantie. Dans certains cas, dit-il, les propriétaires doivent attendre des années avant que leur maison soit réparée.
J’ai moi-même de la difficulté à comprendre [leurs rapports] tellement ils portent à confusion. Les propriétaires n’ont aucune chance
, dit-il.

À l’origine de la garantie
C’est pour éviter des situations comme celle des Favreau que le système de garanties pour maisons neuves a été mis sur pied, avec l’adoption de la Loi sur la protection des acheteurs de maisons neuves.
L’ancien vice-premier ministre de l’Alberta et député progressiste-conservateur Thomas Lukaszuk est à l’origine du projet.
J’ai fait des recherches pour savoir à quel point ce problème était répandu. [...] Plus je creusais, plus je me rendais compte qu’il était assez répandu pour causer beaucoup de tort aux familles et même les mener à la faillite
, explique-t-il.

Un système « inefficace »
Depuis 2014, les constructeurs résidentiels sont donc obligés de souscrire à une garantie de maison auprès de l’un des six fournisseurs de garantie de la province pour obtenir un permis de construction.
Le prix de la garantie est ensuite inclus dans le prix total de la maison. En fin de compte, ce sont donc les acheteurs qui payent la garantie.
Avec ce système, la province espérait mieux protéger les consommateurs en rendant les constructeurs responsables, explique Thomas Lukaszuk.
Les fournisseurs de garanties sont, par exemple, censés filtrer les constructeurs qu’ils assurent en leur demandant notamment des garanties financières, pour s’assurer qu’ils sont solvables. Lorsqu’une réclamation est approuvée, ils doivent également s’assurer que le constructeur répare le défaut de fabrication.
Le ministère des Affaires municipales explique qu’en général, les fournisseurs de garanties refusent de travailler avec les constructeurs qui ne répondent pas à ces exigences.
John McKale affirme cependant que la réalité est parfois bien différente.
Il explique d’abord que tous les fournisseurs de garanties, sauf l’ANHWP, sont des entreprises à but lucratif, dont les profits dépendent du nombre de garanties qu’ils vendent.
Quand [le fournisseur de garanties] demande à son client d’aller réparer quelque chose, il lui demande de dépenser de l’argent. Si le constructeur ne veut pas le faire, il a des options, puisqu’il y a six fournisseurs de garanties en Alberta avec lesquels il peut faire affaire. Pour garder leurs clients, les fournisseurs de garanties rejettent donc les réclamations
, affirme John McKale en comparant la pratique à un conflit d’intérêts.
Plus de la moitié de mes clients ont des problèmes similaires [aux Favreau] et, dans 90 % des cas, leurs réclamations sont refusées
, déplore-t-il.
C’est d’ailleurs pour cela qu’il a décidé de quitter son poste de directeur du contrôle de la qualité à Progressive Home Warranty.
Il y a eu des discussions de couloir durant lesquelles on nous a dit : “Ce constructeur va enregistrer 25 autres maisons durant la prochaine année. On ne veut pas [le perdre]”
, affirme John McKale.
Registre des constructeurs
L’autre problème, selon John McKale, est la difficulté de s’informer sur les antécédents d’un constructeur. Il est actuellement impossible pour les consommateurs d’évaluer de manière efficace les constructeurs
, déplore-t-il.
Pour remédier au problème, la province a créé, en 2014, un registre public des constructeurs accrédités accessible en ligne, puis, en 2017, un programme d’octroi de licences.
Dans le registre public des constructeurs, les consommateurs peuvent notamment trouver de l’information concernant les pénalités imposées par la province aux constructeurs qui n’ont pas respecté leurs obligations.
John McKale affirme que très peu de consommateurs sont au courant de l’existence du registre et que l’information qu’on y trouve est insuffisante.
Il ajoute que certains constructeurs font faillite ou ferment, puis rouvrent une nouvelle entreprise et changent de fournisseur de garantie, ce qui est impossible à savoir en consultant le registre des constructeurs.
C’est le cas de l’entreprise Lenaco Homes Masterbuilder Inc., qui a construit la maison de Nicole et Olivier Favreau et d’au moins deux autres familles vivant dans leur quartier. Toutes ont des problèmes avec leur maison.
Peu de temps après avoir fait faillite, en 2017, l’entreprise a rouvert sous le nom de Conna Homes Master Builder Inc. Le constructeur fait maintenant affaire avec Progressive Home Warranty.
« Le fait qu’un constructeur soit accrédité ne veut rien dire, je le sais maintenant. »
J’aimerais qu’il y ait un registre centralisé me permettant, lorsqu’un nouveau constructeur nous approche, de contacter les autres fournisseurs de garanties pour leur demander s’ils ont déjà fait affaire avec cet individu
, affirme le vice-président de WBI Home Warranty, Gordon Houston.
Conna Homes Master Builder Inc. n’a pas répondu à notre demande d’entrevue et Progressive Home Warranty a refusé de répondre à nos questions.
Selon la province, le registre des constructeurs fera l’objet d’une révision en 2021-2022.

Un problème à grande échelle?
Selon John McKale, il n’existe aucune base de données permettant d’avoir une réelle vue d’ensemble des problèmes liés aux constructions résidentielles dans la province.
Nous n’avons tout simplement pas ces données
, confirme Brian Alford qui, de 2009 à 2020, a été président-directeur général du Safety Code Council, un organisme qui forme entre autres les inspecteurs municipaux chargés d’inspecter les maisons en construction.
Selon le président-directeur général de l’ANHWP, Scott Hamilton, la compagnie compte près de 100 000 maisons couvertes par ses garanties. Seulement 2 % d’entre elles font l’objet de réclamations.
Il est compliqué de déterminer la proportion de réclamations approuvées ou rejetées puisque les propriétaires peuvent soumettre des réclamations pour presque n’importe quoi
, précise-t-il.
John McKale affirme avoir contacté le gouvernement albertain au sujet des problèmes de ses clients avec leur fournisseur de garanties à plus d’une reprise.
Cela fait quatre ans qu’on essaie d’attirer son attention
, explique-t-il.
En 2019, il a même fait parvenir les dossiers d’une vingtaine de ses clients au ministre des Affaires municipales de l’époque, dans l’espoir de faire avancer les choses, mais sans succès.
Le ministère albertain des Affaires municipales a refusé notre demande d’entrevue, et le Bureau du surintendant des assurances n’a pas répondu à nos demandes.
Économies en péril
Nicole et Olivier Favreau ont mis toutes leurs économies dans leur maison. Aujourd’hui, elle est une source d’inquiétude constante.
Des gens nous ont fait des promesses, mais ils n’ont fait que prendre notre argent
, raconte Nicole Favreau.
De son côté, l’ANHWP affirme que dans 80 % des cas, lorsqu’une réclamation est approuvée et que des réparations sont nécessaires, ces dernières sont effectuées dans un délai de trois mois en précisant que les problèmes de condensation dans les combles, comme ceux de Nicole Favreau, sont traités en priorité.
Parfois, il y a des retards en raison de la disponibilité des propriétaires ou des ouvriers. Évidemment, la COVID-19 a eu un effet. [...] Le conseil que je donnerais aux propriétaires est de toujours nous contacter en premier
, explique Scott Hamilton.
Nicole Favreau confirme que l’ANHWP a repris contact avec elle en juillet pour lui annoncer que des réparations seraient faites afin d’éviter une nouvelle inondation. Elle a reçu la visite de deux inspecteurs en octobre et attend la réponse du fournisseur de garantie en ce qui concerne la suite des choses.
John McKale croit pour sa part que le système de garantie pour maisons neuves devrait être aboli.
Un système de contrôle de la qualité qui permet de garder la trace des défauts [de construction] doit être mis sur pied. Cette information doit ensuite être publiée dans toutes les régions parce qu’il n’y a aucune visibilité sur l’état de l’industrie de la construction
, explique-t-il.
Il ajoute qu'entre-temps il continuera à défendre les consommateurs.
J’ai vu beaucoup de gens souffrir, je n’arrêterai pas [de me battre pour eux]
, dit-il.