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Des plantes autour d'une source d'eau thermale.
Radio-Canada / Camille Vernet

Des Premières Nations à l’avant-garde de l’énergie géothermique

Un texte de Camille Vernet

C’est au cœur d’une région dépendante de l’industrie pétrolière et gazière que la Première Nation de Fort Nelson s’est lancée dans un ambitieux projet de construction de centrale géothermique.

C’est la première du genre en Colombie-Britannique – et la seconde d’une telle envergure au pays –, et elle sera en pleine production d’ici 2025 dans ce que l’on surnomme le Serengeti du Nord en raison de la beauté de la nature et de la vie sauvage qu’on y trouve.

La centrale Tu Deh-Kah ouvre ainsi la voie à l’énergie renouvelable en fournissant une source d’électricité propre aux communautés des Rocheuses du nord, qui dépendent présentement seulement de l’électricité produite par les énergies fossiles, et en permettant, à plus long terme, une production surprenante de nourriture, dont peut-être même la culture de mangues.

Un troupeau de bisons proche d'une route.
Un troupeau de bisons proche d'une route.
Radio-Canada / Camille Vernet
Photo: Un troupeau de bisons près de la route de l’Alaska, dans les Rocheuses du nord, en Colombie-Britannique.  Crédit: Radio-Canada / Camille Vernet

Révolutionner le Nord

L’état sauvage du décor qui entoure la Première Nation de Fort Nelson, dans les Rocheuses du nord, en Colombie-Britannique, émerveille les visiteurs. La région accueille, entre autres, caribous, castors, ours, loups et bisons.

Cette richesse naturelle, qui fait partie des nombreuses ressources dont dispose ce territoire, est une source de fierté pour la cheffe de la Première Nation de Fort Nelson et présidente du conseil d'administration de la Deh Tai Corporation, Sharleen Gale.

Sharleen Gale devant un puit de la centrale géothermique.
Sharleen Gale est la cheffe de la Première Nation de Fort Nelson qui est à l’origine d’un projet de centrale géothermique en Colombie-Britannique.Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Nous avons beaucoup de chance de posséder un territoire aussi vaste que la Suisse. Nous assumons donc une énorme responsabilité, précise-t-elle.

Dans ces terres magnifiques se trouve la deuxième réserve de gaz connue de la province, ce qui fait que les puits d’hydrocarbures y sont nombreux.

Carte de la région en transparence sur une photo de la route et de la rivière.
Dans les Rocheuses du nord, en Colombie-Britannique, la route en direction de l’Alaska longe la rivière Toad.Photo : Radio-Canada

La situation géographique comporte aussi son lot de défis pour la communauté autochtone, située à quelques kilomètres de la ville de Fort Nelson, puisqu’elle subit les hauts et les bas de l’industrie gazière.

C’est d'ailleurs pendant un ralentissement économique, en 2017, que le projet de centrale géothermique a vu le jour.

Une enseigne commerciale vide.
Les possibilités économiques dans la ville de Fort Nelson sont liées aux aléas de l'exploitation de l’industrie gazière, pétrolière et forestière.Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

L’idée semblait presque impossible, c’était impossible de rêver aussi grand. Mais nous l'avons fait, raconte Lana Lowe, membre de la Première Nation de Fort Nelson et directrice du Service des terres de Fort Nelson.

Après quelques hésitations initiales, la communauté autochtone, qui était active dans l’extraction de pétrole et de gaz depuis 50 ans, a choisi de foncer dans ce projet d’énergie renouvelable à grande échelle.

Lana Lowe devant un lieu de rassemblement en bois.
Lana Lowe se trouve devant le Moose camp, un lieu de rassemblement et de partage. Son travail consiste à protéger les droits accordés par le traité 8 et à restaurer le milieu de vie des caribous.Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

« Les gens ont compris qu'il pouvait y avoir quelque chose de mieux pour notre communauté et notre territoire que le pétrole, le gaz et la foresterie. [...] Nous avons senti qu'il y avait quelque chose ici qui pourrait révolutionner le Nord. »

— Une citation de  Lana Lowe, directrice du Service des terres de la Première Nation de Fort Nelson
Un membre de la Première Nation Fort Nelson devant un public.
Un membre de la Première Nation Fort Nelson devant un public.
Radio-Canada / Ryan Dickie
Photo: La cérémonie de bénédiction autochtone de l’usine Tu Deh-Kah a eu lieu le 31 août 2021.   Crédit: Radio-Canada / Ryan Dickie

Un projet appartenant à la communauté

La Première Nation de Fort Nelson est sans aucun doute à l'avant-garde de la géothermie au Canada, explique Sharleen Gale.

Le projet, dont le coût s'élève à 100 millions de dollars, appartient à 100 % à la Première Nation de Fort Nelson par l'intermédiaire de sa société de développement économique, Deh Tai Corporation.

« Ce projet représente pour nous la possibilité de montrer aux Canadiens que nous pouvons aller de l'avant avec des projets d'énergie renouvelable et aussi de montrer aux Premières Nations qu'elles peuvent être propriétaires de projets comme celui-ci et contribuer à travailler efficacement pour le climat. »

— Une citation de  Sharleen Gale, cheffe de la Première Nation de Fort Nelson
Un groupe de personne devant un chantier de construction.
La Première Nation de Fort Nelson étant propriétaire du projet, la communauté en fait partie intégrante et participe aux prises de décision.Photo : Ryan Dickie

Sur la somme prévue pour cette centrale géothermique, 40 millions de dollars proviennent du gouvernement fédéral, alors que la province a offert un financement de 1 million.

D’ici 2025, la centrale Tu Deh-Kah (dont le nom est composé de Tu, eau, et Deh-Kah, à l’état de vapeur), alimentera environ 10 000 maisons en électricité, selon John Ebell, le responsable des programmes géothermiques et directeur de Barkley Project Group.

La communauté ne comptant que 400 habitants, le surplus d’électricité sera ensuite redistribué à la municipalité des Rocheuses du nord, non reliée au réseau de BC Hydro, et permettra d’éliminer l’utilisation de carburants fossiles.

L’énergie géothermique est l'une des énergies les plus propres que les êtres humains sont capables de produire, affirme John Ebell dont la compagnie, située à Nanaimo, se spécialise dans le développement des énergies renouvelables.

Son empreinte écologique est faible, puisqu’elle ne nécessite pas l’utilisation de grands espaces, selon Jasmin Raymond, professeur au Centre Eau Terre Environnement, à l’Institut national de recherche scientifique (INRS-ETE). La quantité d’infrastructure en surface est très limitée comparativement [par exemple] à un parc de panneaux solaires, explique-t-il.

Bien qu’il s’agisse d’une source disponible en tout temps, les centrales de ce type restent encore rares parce que les puits doivent être profonds et que le coût des installations est élevé.

C’est ce qui représente le plus gros défi en géothermie, estime Jasmin Raymond. Mais, sur toute la durée de vie du système, le coût de production de l'électricité ou de la chaleur va être généralement plus petit que le coût de production avec des combustibles fossiles, précise-t-il.

Des ouvriers sur un site en construction.
La première phase de la construction, durant l’été 2021, a permis de forer les puits à une profondeur de 1500 mètres pour atteindre les réservoirs d’eau chaude souterraine.Photo : Ryan Dickie

La construction de la centrale offre également aux jeunes travailleurs de l’industrie des hydrocarbures la possibilité de continuer de conserver leur emploi dans la région. La centrale offrira des emplois durables à nos membres et aux communautés voisines. Et beaucoup d’emplois du secteur du pétrole et du gaz peuvent être transférés vers elle, confirme la cheffe de la Première Nation de Fort Nelson.

S’engager dans une industrie d’extraction comme le gaz de schiste est un compromis très difficile pour notre communauté, explique pour sa part Lana Lowe. La géothermie qui a un impact réduit sur l'environnement est une meilleure voie à suivre.

Sharleen Gale entre les deux puits de la centrale géothermique.
Les deux puits rouges qui constituent le début de la construction de la centrale Tu Deh-Kah ont beau avoir l’air banal, il s’agit d’une étape qui a demandé un investissement de 10 millions de dollars.Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Un autre avantage économique de la centrale est la réutilisation de puits inactifs, nombreux dans la région.

C’est le cas du site Tu Deh-Kah, où le gaz a déjà été complètement exploité, mais l’eau chaude sera toujours là, selon John Ebell. Si la centrale est conçue correctement, cela ne va pas s'arrêter, c'est durable.

De la vapeur s'échappe d'une piscine d'eau chaude dans laquelle des touristes se baignent.
De la vapeur s'échappe d'une piscine d'eau chaude dans laquelle des touristes se baignent.
Radio-Canada / Camille Vernet
Photo: Avec des températures qui grimpent jusqu’à 52 degrés Celsius, les eaux thermales de Liard sont les secondes en importance au Canada.  Crédit: Radio-Canada / Camille Vernet

Exploiter la ceinture de feu du Pacifique

La ceinture de feu du Pacifique est de loin la plus grande plaque tectonique terrestre. Combinée aux roches poreuses de la région, elle forme la recette idéale pour la géothermie.

C’est une source d’énergie durable qui s’alimente à même la puissance des eaux souterraines qui seraient, quant à elles, chauffées naturellement par le centre de la Terre, un phénomène géologique encore mal compris.

« Nous ne sommes pas sûrs à 100 % de l'origine de cette chaleur sur le terrain. Il s'agit en fait d'un casse-tête scientifique très intéressant pour les universitaires. Nous savons simplement que cette chaleur est présente en abondance. »

— Une citation de  John Ebell, responsable des programmes géothermiques, Barkley Project Group
Source thermale à Fort Nelson.
La région était anciennement connue sous le nom de « Vallée tropicale » en raison de la végétation luxuriante qui y pousse grâce à la chaleur des sources d’eau locales.Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Ces eaux, qui se cachent dans les profondeurs souterraines, sont rarement visibles, mais dans de rares endroits, la pression tellurique les pousse vers la surface.

À Liard Hot Springs, sur le territoire de la Première Nation de Fort Nelson, les touristes peuvent se baigner dans des sources d’eau qui atteignent 43 degrés Celsius.

Ces piscines d’eaux chaudes pourraient être intégrées au plan de l’usine Tu Deh-Kah, tout comme le Lagon bleu, situé près de Reykjavik, en Islande, un pays où le quart de la production d’électricité provient de la géothermie.

Serre avec des plants de tomates.
Serre avec des plants de tomates.
getty images/istockphoto / IAM-photography
Photo: Les légumes poussant dans les serres, comme dans celles-ci de la ville de Reykholt, en Islande, ne pourraient y être cultivés sans l’utilisation de la géothermie.  Crédit: getty images/istockphoto / IAM-photography

Une énergie source d’espoir

Outre la production d'électricité, les surplus de chaleur peuvent avoir d’autres utilisations : créer un centre de soins thermal, permettre de chauffer des routes et des trottoirs pendant l’hiver ou instaurer une centaine de serres agricoles.

Ce sont ces serres qui inspirent le plus la cheffe de la Première Nation de Fort Nelson, qui rêve de pouvoir cueillir une banane fraîche, un avocat ou une belle laitue qui poussent traditionnellement plus au sud, ailleurs dans le monde, et d’en faire profiter les communautés plus au nord, comme la sienne.

Une autre facette de ce projet dont les retombées se feront sentir sur plusieurs générations.

« La centrale Tu Deh-Kah va contribuer à la sécurité alimentaire dans le Nord, car il est généralement difficile de se procurer des produits frais dans cette région. »

— Une citation de  Sharleen Gale, cheffe de la Première Nation Fort Nelson
Sharleen Gale regarde un des puits de l'usine géothermique.
Devant les débuts de l’usine géothermique, Sharleen Gale, cheffe de la Première Nation de Fort Nelson est souriante : « Nous y travaillons depuis 2017. Alors, en être à ce stade, c’est comme un rêve devenu réalité. »Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Nous avons déjà des universitaires prêts à faire de la recherche afin de mieux comprendre les technologies, de les apprendre et de les améliorer, mentionne John Ebell.

Au Canada, on tire un peu la patte pour ce qui est du développement de nos ressources géothermiques, affirme Jasmin Raymond. Ce premier banc d’essai favoriserait donc les échanges internationaux. On a beaucoup à apprendre des expériences d'autres pays qui sont plus avancés que nous en termes de production d'électricité et de chaleur géothermique, ajoute le professeur.

Même si la centrale Tu Deh-Kah n’en est encore qu’à ses débuts, les attentes envers ce projet précurseur sont élevées. Cette centrale représente l’occasion non seulement d’être autonome sur les plans énergétique et alimentaire dans les régions nordiques, mais également d’atteindre la carboneutralité au Canada d'ici 2050.

NDLR : L’empreinte écologique de cet article a été évaluée à 0,93 tonne de CO2 (selon un calcul fait sur le site goodplanet.org (Nouvelle fenêtre)).

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