En 2018, les affaires de Mike Wiesel vont vraiment bien.
L'entrepreneur de Knowlton, en Estrie, vend des trousses de fabrication de bombes de bain, de baumes à lèvres et de savons pour enfants.
En quelques années, il a vu bondir son chiffre d'affaires en offrant ses produits sur Amazon. Entre 70 % et 80 % des profits de l'entreprise proviennent des ventes faites sur la plateforme. Mais la lune de miel se termine abruptement lorsque Mike découvre qu’Amazon achète ses produits chez son distributeur américain et les vend moins cher que lui… sur Amazon.
« Amazon me faisait directement concurrence sur la fiche produit que j’avais créée. Nos ventes ont chuté de 75 %, 80 %. »
Il faut savoir qu’Amazon est un géant à deux têtes. Elle est l’opératrice de la plateforme de vente en ligne, mais elle est aussi un détaillant qui vend ses propres produits ou des produits qu’elle achète, en gros, à des fournisseurs.
Selon certaines estimations, Amazon aurait créé depuis ses débuts quelque 400 marques de produits, dont la populaire Amazon Basics.
« Ma seule option, c’était de vendre encore moins cher qu’eux. C’est ça qu’ils veulent; ils veulent les prix les plus bas pour les consommateurs. »
L’entreprise que Mike avait fondée en 2007 est passée à deux doigts de la faillite. L’affaire s'est réglée quand Mike a exigé de son fournisseur qu’il cesse de vendre à Amazon.
Relation amour haine
Aux États-Unis, un sous-comité du gouvernement vient de mener une enquête sur les pratiques anticoncurrentielles des GAFA : Google, Apple, Facebook et Amazon. Il a été mis en lumière qu’Amazon abusait de sa position dominante pour maltraiter ses vendeurs.
Amazon est en position de force parce qu’elle accapare 40 % des ventes en ligne aux États-Unis contre 5 % seulement pour Walmart, son principal concurrent. Beaucoup d’entrepreneurs perçoivent qu’Amazon est devenue une vitrine incontournable.
« Si je lance une marque en 2021, je n’ai presque pas le choix d'au moins faire un bout sur Amazon. »
Carl Boutet est un expert en stratégie de commerce de détail. Ce qu’il ressent face à Amazon est un mélange d’admiration et d’appréhension. Il dénonce particulièrement le fait qu’Amazon utilise sa position pour repérer, reproduire et vendre à bas prix les produits les plus rentables des entrepreneurs qui vendent sur sa plateforme.
« Ils vont dire qu’ils font ça pour les consommateurs, qu’ils utilisent leur position pour offrir des produits moins chers, mais ça étouffe ceux qui amènent les nouvelles idées. »
À la fin de 2020, Peak Design, une petite compagnie américaine qui fabrique des sacs pour appareils photo, se rend compte qu’Amazon offre un produit très semblable au sien. Même nom, même design, logo presque identique. Mais l'Everyday Sling
d'Amazon Basics est offert à 22 $ contre 79 $ pour l'Everyday Sling
de Peak Design.
« Je me suis dit, les salauds! C’est vraiment effronté! »
Plutôt que de courber l’échine devant Amazon, Peter Dering, le fondateur de Peak Design, décide de répliquer par une vidéo dans laquelle il tourne en dérision les pratiques d’Amazon (Nouvelle fenêtre) (en anglais).
La vidéo est devenue virale. Elle a été un coup de publicité incroyablement puissant pour Peak Design et, selon Peter Dering, Amazon s’est inclinée en cessant discrètement de vendre son produit.
Toutes les histoires ne se terminent pas aussi bien pour les commerçants. Au cours de l’enquête américaine sur les pratiques anticoncurrentielles des GAFA, plusieurs petits entrepreneurs ont raconté aux représentants comment Amazon les avait poussés à la faillite en s'emparant de leurs meilleurs produits.
Le jeune loup de Saint-Sauveur
Marco Leroux, jeune entrepreneur de Saint-Sauveur dans les Laurentides, ne s’étonne pas des histoires de Mike Wiesel et de Peter Dering.
« Il faut avoir les reins solides pour vendre sur Amazon, sinon on peut vraiment s’arracher les cheveux. »
Vendre sur Amazon, ce n’est pas fait pour tout le monde, mais certains, comme Marco Leroux, y tirent extrêmement bien leur épingle du jeu.
En 2019, selon les chiffres les plus récents fournis par Amazon, les vendeurs basés au Canada ont réalisé un chiffre de ventes de plus d’un milliard de dollars sur Amazon.ca, soit 40 % de plus qu’en 2018.
Marco a 32 ans et un simple diplôme de cinquième secondaire. En 2020, il a vendu pour 3 millions de dollars de produits sur Amazon pour un profit net de près de 700 000 $. Je remercie Jeff Bezos d’avoir mis Amazon sur mon chemin
, déclare le jeune homme d’affaires en rigolant.
Le modèle Amazon permet à Marco de très bien gagner sa vie sans sortir de chez lui. Il n’a pas d’entrepôt, à part un petit cabanon dans son jardin, et pas d’employé. Pour repérer les produits qui pourraient avoir un bon potentiel de vente, Marco utilise les données publiques qu’Amazon met à la disposition de ses vendeurs : nombre d’exemplaires vendus par mois, nombre de vendeurs qui offrent le produit, commentaires des consommateurs.
Marco recherche les produits qui se vendent beaucoup, mais pour lesquels le marché n’est pas saturé. Il privilégie les produits qui récoltent des commentaires négatifs parce que ces commentaires lui indiquent comment se démarquer en faisant une version améliorée des produits. Pour ce faire, Marco collabore avec des manufacturiers basés en Chine qui lui garantissent un bon rapport qualité-prix.
Les manufacturiers envoient les produits directement dans les entrepôts d'Amazon et Amazon s’occupe de les expédier aux consommateurs et de gérer les retours. Bref, Amazon se charge de toutes les tâches ingrates.
Cette infrastructure offerte aux vendeurs par Amazon est un des nombreux traits de génie de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon. Aucune autre place de marché en ligne n’est capable de la concurrencer.
L’an dernier, plus de 40 % des revenus de vente de Marco se sont retrouvés dans les poches d’Amazon. Commission de 15 %, frais d’entreposage, d’expédition, de publicité, etc.
« C’est sûr qu’Amazon, ce sont les grands gagnants de tout cela, mais il faut voir le côté positif. Il me reste quand même environ 25 % de profits. »