Nous utilisons les témoins de navigation (cookies) afin d'opérer et d’améliorer nos services ainsi qu'à des fins publicitaires.
Le respect de votre vie privée est important pour nous. Si vous n'êtes pas à l'aise avec l'utilisation de ces informations,
veuillez revoir vos paramètres avant de poursuivre votre visite.Gérer vos témoins de navigationEn savoir plus
Un texte de Pascal Michaud Illustrations par Marie-Pier Mercier
Publié le 16 avril 2021
La dépression, c’est vraiment un killer : ça va tuer toute inspiration, croit le chef réputé Antonin Mousseau-Rivard. L’état dépressif, l’homme de 37 ans connaît ça : il compose avec ce trouble depuis des années.
Alors qu’un sondage commandé par Radio-Canada révèle que près d’une personne sur cinq dit ressentir de la déprime dans le contexte pandémique, le restaurateur aborde, avec d’autres personnes, son parcours tortueux et les stratégies qu’il a développées pour vaincre la dépression et retrouver la lumière.
À un moment donné, ça m’a frappé en pleine gueule. [...] J’ai fondu en larmes, raconte Antonin Mousseau-Rivard au micro de Catherine Perrin, en évoquant ses souvenirs de l’instant précis où il a craqué. Tout ça est survenu il y a quelques années. Boum, comme ça, dans la chambre froide du restaurant, résume-t-il.
L'hiver dernier, la firme SOM a sondé pour le compte de Radio-Canada la population canadienne à propos des répercussions de la pandémie sur sa santé mentale. Voici le troisième d'une série de cinq textes sur le sujet, qui accompagnent une série de cinq émissions spéciales diffusées sur ICI Première à l’émission Le calendrier de l’après traitant du bien-être des Canadiens.
Le restaurateur n’a rien vu venir. Ses nombreuses années passées à travailler à fond de train, pendant lesquelles il n’était pas question de faire part de ses états d’âme et de sa vulnérabilité à ses collègues, ont finalement eu raison de lui.
Il y a une culture [...] en cuisine qui est de toujours travailler et de montrer qu’on est là, qu’on est capable. Mais un moment donné, ça te rattrape , révèle Antonin Mousseau-Rivard.
« Je pense qu’à un moment donné, on se met tellement à se mentir à soi-même que, des fois, ça devient aussi une grosse partie de ce qui va créer la dépression. »
Ce sentiment dépressif dont parle l'entrepreneur en restauration s'observe, à certains égards, parmi la population depuis le début de la pandémie.
Cacher sa détresse
L’histoire du restaurateur montréalais est presque en tout point similaire à celle de Linda Sabourin, une conseillère en orientation organisationnelle. Un jour, elle aussi s’est effondrée, alors qu’elle travaillait à la maison.
Depuis un moment, Linda Sabourin vivait sa détresse psychologique à l’abri du regard de ses enfants et de son conjoint. Jusqu’à l’inéluctable éclatement.
Je mettais beaucoup d’énergie à jouer mon rôle d’actrice, si on peut dire. Le matin, quand ma petite famille partait, je pouvais rester dans les escaliers avec mon chien pendant plusieurs heures à pleurer. Et quand mes enfants et mon chum revenaient du travail, je faisais comme si tout allait bien, raconte-t-elle.
Ce n’est pas sans raison si Antonin Mousseau-Rivard et Linda Sabourin ont vécu leur détresse en cachette. Si tu ne files pas, si t’es malade, t’es un faible, observe le restaurateur. La conseillère en orientation organisationnelle est du même avis. Celle-ci explique qu’il lui a fallu beaucoup de temps pour accepter la médication visant à l’aider à soigner sa dépression majeure. Je résistais, parce que pour moi, c’était associé un peu à de la faiblesse, avoue-t-elle.
Visiblement, la dépression est marquée d’un sceau péjoratif et honteux, ce que la psychologue Stéphanie Léonard trouve désolant. J’entends des gens dire, à tort, qu’une personne en dépression a juste à se donner un bon coup de pied dans le derrière, comme si c’était juste une question de se secouer, déplore-t-elle.
« L’idée que la personne soit faible, moins courageuse, moins motivée et moins en contrôle d’elle-même comparativement aux autres est totalement fausse. »
Le sociologue Frédéric Boisrond abonde dans le même sens, et va même plus loin en mettant en cause les fondements mêmes de notre société.
Il y a, dans une société capitaliste, l’idée que chaque personne doit contribuer en devenant productive, en devenant efficace, efficiente. Une pression sociale est mise sur chacun de nous pour être à ce niveau-là. Donc, toute personne aux prises avec un problème de santé mentale est présentée comme quelqu’un qui est incapable de faire face à la réalité sociale, fait-il remarquer.
La quête de la vitalité
Si la dépression est le trouble psychologique le plus courant dans notre société – touchant 16 % des femmes et 11 % des hommes, selon la psychologue Stéphanie Léonard – il est possible de s’en sortir. Antonin Mousseau-Rivard en est un exemple éloquent : pour lui, le détachement par rapport au travail a été essentiel.
« Il faut décrocher. Tu ne peux pas décrocher quand tu as un restaurant, mais il a fallu, à un moment donné, que je le fasse obligatoirement. »
La création artistique, le dessin et la poésie aident aussi le restaurateur à passer au travers de ses moments les plus sombres.
Pour Linda Sabourin, c’est le travail sur soi et l’indulgence envers elle-même qui ont été salvateurs. Mon métier m’amenait à être bienveillante envers les autres, mais [...] il fallait d’abord et avant tout que je le sois envers moi-même, affirme-t-elle.
Certes, il n’y a pas de solution miracle pour sortir de la dépression. Nous ne sommes pas tous égaux dans notre capacité à ressentir la vitalité. Certaines personnes, de par leur tempérament, vont avoir une plus grande facilité à le faire – on utilise souvent la fameuse expression ''avoir le bonheur facile''. Il reste que c’est une réalité, indique Stéphanie Léonard.
Le psychiatre et chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas Gustavo Turecki pense un peu la même chose. Il souligne que la dépression revêt plusieurs formes et atteint différents types de personnes. Il ajoute aussi que la médication peut donner des résultats différents d’une personne à l’autre.
Il y a des formes de dépression qui répondent beaucoup mieux au traitement pharmacologique, mentionne le spécialiste.
L’important est de casser le sentiment honteux, profondément ancré dans notre société, qui accompagne l’idée de prendre des médicaments pour soigner un problème de santé mentale, selon Ludvic Moquin-Beaudry, professeur de philosophie. Et de ne pas hésiter à aller chercher de l'aide au besoin.
On observe d'ailleurs qu'une bonne partie de la population a cherché cette aide durant la pandémie, ou encore s'est inquiété pour le bien-être d'un proche.
« La honte socialement imposée aux gens qui consomment des antidépresseurs [...] et la honte que la société impose aux gens qui sont en dépression ont la même origine : c’est la mesure de l’individu par rapport aux standards de productivité qu’on nous impose. »
Chose certaine, Antonin Mousseau-Rivard et Linda Sabourin n’ont pas peur de parler ouvertement de leur maladie et des moyens qu’ils ont mis en œuvre pour la surmonter –notamment la médication.
À partir du moment où j’ai eu un médecin qui a pris le temps de m’expliquer l’ensemble des facteurs [liés à la médication], à partir du moment où j’ai accepté de prendre des médicaments, je suis obligée de dire que ç’a vraiment changé ma vie, révèle Linda Sabourin.
Le quotidien du chef propriétaire des restaurants Le Mousso et Le petit Mousso a également changé pour le mieux. Et celui-ci ne regrette rien : Je n’ai plus envie de retourner en arrière.
Méthodologie:
Le sondage commandé par Radio-Canada a été réalisé du 18 au 25 février 2021 par courriel auprès de 1348 adultes francophones du Canada, soit 1074 au Québec et 274 hors Québec. Nous avons pondéré les données pour nous assurer d’une bonne représentativité de la population adulte francophone au Canada selon l’âge, le sexe et la proportion de personnes dont la langue parlée le plus souvent à la maison est le français.