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Ces femmes qui bousculent l’establishment autochtone masculin
Radio-Canada / Marie-Pier Mercier

Texte | Julie Marceau

Les centres d’amitié autochtones au Québec, dirigés en majorité par des femmes, sont la cible de pressions et parfois même d’intimidation de la part de certains chefs de conseils de bande. C’est ce que révèle une douzaine de témoignages recueillis par Espaces autochtones au cours des dernières semaines. Reportage au sein d’une société civile en plein essor qui bouscule l’establishment autochtone.

Vendredi 2 octobre 2020. Tous les grands médias ont envoyé un journaliste à Joliette. Carol Dubé, le conjoint de Joyce Echaquan, s’adresse pour la première fois au public, dans un point de presse formel, depuis que sa femme est morte dans des circonstances troubles à l'hôpital de Joliette.

« Je ne veux pas que sa mort soit inutile », dit-il la gorge nouée.

Carol Dubé reçoit du réconfort de son fils.
Le fils de Joyce Echaquan et Carol Dubé réconforte son père pendant une conférence de presse tenue quelques jours après la mort de sa mère.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

L’affaire Echaquan

La conférence de presse se déroule dans le stationnement du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière (CAAL). L’organisme communautaire de moins de 20 employés est au cœur des efforts logistiques pour soutenir la famille de Joyce Echaquan depuis le début de la tragédie.

Le jour de sa mort, le 28 septembre 2020, une équipe du CAAL s’est rendue d'urgence à l’hôpital de Joliette, après qu’une employée a vu la vidéo en direct sur Facebook.

Les jours suivants, les intervenants ont mis les bouchées doubles pour s’assurer que les proches et les membres de la famille élargie venus de Manawan soient nourris, logés et épaulés sur le plan psychologique.

Durant le point de presse, une journaliste demande ce qu'il est advenu des efforts du centre d’amitié, en 2019, pour mettre sur pied une formation sur les Autochtones pour le personnel médical.

Est-ce qu’il y avait une certaine résistance de la part de l’hôpital?, demande la journaliste.

Il y a eu des rencontres avec la direction de l’hôpital et puis c’était pas nécessairement au beau fixe, les discussions qu’on a eues. [...] Pour le reste, j’ai été absent pendant une période de quatre ans, répond Paul-Émile Ottawa, chef du Conseil des Atikamekw de Manawan.

Paul-Émile Ottawa, chef du Conseil des Atikamekw de Manawan, s'exprime lors de la conférence de presse du 2 octobre 2020, dans le stationnement du Centre d'amitié autochtone de Lanaudière.
Paul-Émile Ottawa, chef du Conseil des Atikamekw de Manawan, s'exprime lors de la conférence de presse du 2 octobre 2020, dans le stationnement du Centre d'amitié autochtone de Lanaudière. À la table des intervenants se trouvent également Carol Dubé, le conjoint de Joyce Echequan, et l’avocat de la famille, Me Jean-François Bertrand.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Aucun représentant du centre d’amitié n’est là pour répondre. Ses gestionnaires auraient pourtant pu expliquer leurs tentatives répétées de mettre sur pied une formation sur la sécurisation culturelle à la suite d’autres incidents et exposer leur point de vue, selon lequel les autorités de la santé publique n’étaient pas intéressées à l’époque.

Québec rendra finalement ce type de formation obligatoire après l’affaire Echaquan.

Si les employés du centre d’amitié brillent par leur absence, ce n’est pas par choix. Les jours précédents, des élus et des employés du conseil de bande de Manawan se sont rendus au centre d’amitié pour leur demander explicitement de ne pas parler aux médias et de ne pas être présents à la conférence de presse.

C’est quelque chose de se faire dire de se taire. Ils nous ont demandé de nous effacer. Ils voulaient être les seuls porte-parole de la famille, explique une source travaillant au centre d’amitié qui a demandé de ne pas être identifiée.

C’était vraiment frustrant, ajoute une autre personne travaillant pour l’organisme. Le CAAL a été complètement écarté.

On a couru comme des fous. On a organisé la conférence de presse, trouvé de l’équipement, servi le café… et après tout ça, c’est comme si on nous disait "fermez-la", décrit une troisième source, qui craint elle aussi des représailles si elle s’identifie publiquement.

L’affaire Val-d’Or

Octobre 2015. Les allégations d'abus de pouvoir et d'agressions sexuelles lancées par des femmes autochtones contre des policiers de la Sûreté du Québec ébranlent tout le Québec. C’est par l’entremise du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or qu’elles s'expriment.

Josée Dupuis entourée de femmes autochtones qui livrent leurs témoignages.
Des disparitions et des assassinats : des femmes autochtones témoignent à Val-d'Or.Photo : Radio-Canada

Le 4 novembre, deux semaines après la diffusion du reportage d’Enquête, le premier ministre Philippe Couillard rencontre les chefs autochtones de l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) à Montréal. La réunion vise à faire le point sur les mesures prises par Québec à la suite de la crise de Val-d’Or.

Le gouvernement Couillard annonce alors l’octroi de plus de 6 millions de dollars au Centre d’amitié autochtone pour bonifier ses services. La majorité de cette somme sera investie dans la construction de logements sociaux pour les familles autochtones. Un projet sur lequel l’organisme travaillait depuis... 2009.

La rencontre du 4 novembre 2015, à la suite de la crise de Val-d'Or, entre le premier ministre Philippe Couillard et les chefs autochtones de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) à Montréal.
Une rencontre est organisée le 4 novembre 2015 entre le premier ministre Philippe Couillard et les chefs autochtones de l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) à Montréal, à la suite de la crise de Val-d'Or. Photo : The Canadian Press / Paul Chiasson

Chez les chefs des Premières Nations, l’annonce est accueillie comme une petite bombe. Ils auraient souhaité une enveloppe financière allant aux conseils de bande plutôt qu’uniquement au Centre d’amitié de Val d’Or. 

Ça a comme backlashé… les gens [les chefs autochtones] disaient "c’est tout allé en milieu urbain", raconte la directrice générale du centre d’amitié, Édith Cloutier.

Quelques heures auparavant, Édith Cloutier avait également prévenu les chefs des conseils de bande que le Centre d’amitié autochtone réagirait à l’annonce.

Il y a un chef qui était devant moi. Devant tous les chefs, il m’a dit : "y a personne qui se prononce, sauf les chefs", en voulant dire : "t’as pas à émettre de communiqué de presse, la voix officielle, c’est la table des chefs, pis c’est nous autres qui parlons au nom des membres."

La directrice du Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or, Édith Cloutier.
La directrice générale du Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or, Édith Cloutier.Photo : Radio-Canada / Julie Marceau

Ces femmes qui bousculent l’establishment autochtone

Au Québec, il existe 14 centres d’amitié. Seuls deux (à Montréal) sont dirigés par des hommes. La relation entre les centres d’amitié et les conseils de bande varie dans les différentes régions du Québec : passant de rares mains tendues à de l'indifférence, jusqu’au climat d’intimidation.

Tous les gestionnaires ou les employés à qui nous avons parlé soutiennent par ailleurs que le rôle des centres d’amitié, présents depuis une cinquantaine d’années, est encore mal compris et qu’ils sont souvent mal perçus par les conseils de bande.

La professeure Carole Lévesque, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui se consacre depuis près de 50 ans aux questions autochtones, estime qu’il s’agit d’une société civile autochtone en plein essor, dont la voix résonne de plus en plus fort depuis la crise de Val-d’Or.

Les dirigeantes des centres d'amitié ne se sont jamais présentées en opposition aux communautés dirigées par les conseils de bande. Mais ça amène d’autres joueurs dans l’arène politique autochtone, et lorsque vous avez un establishment, il est possible que ça vienne perturber les modes de fonctionnement, précise la professeure.

Carole Lévesque, professeure à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS). Elle est fondatrice et directrice du Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones (DIALOG).
Carole Lévesque, professeure à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS). Elle est fondatrice et directrice du Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones (DIALOG).Photo : Gracieuseté de l'Institut national de la recherche scientifique

Les centres d’amitié, c’est un mouvement de femmes qui a voulu se doter d’une infrastructure où il n’y avait pas de politicaillerie. Nous, ce n'est pas le développement économique qui nous importe, mais le développement social, souligne pour sa part Tanya Sirois, directrice générale du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ), qui représente 11 des 14 centres existants au Québec.

« Oui, on a été victimes d’intimidation autour de tables qui réunissaient des chefs. »

— Une citation de  Tanya Sirois, directrice générale du Regroupement des centres d’amitié du Québec (RCAAQ)

Tanya Sirois dénonce les nombreuses critiques et les pressions parfois si fortes qu’elles sont vécues comme de l'intimidation, contre les dirigeantes des centres d’amitié. Elle préfère toutefois ne pas montrer du doigt un chef en particulier. Plus les centres d’amitié se développent, plus ils dérangent, dit-elle.

D’après certains, on ne devrait pas s’asseoir avec le gouvernement du Québec et on ne devrait pas avoir une voix pour s’exprimer. On m’a déjà dit que les centres d’amitié devraient être sous l’autorité des chefs, raconte-t-elle.

La directrice générale du regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec, Tanya Sirois, est membre de la Première Nation des Innus de Pessamit.
La directrice générale du Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec (RCAAQ), Tanya Sirois, est membre de la Première Nation des Innus de Pessamit.Photo : Crédit : RCAAQ

De plus en plus d’Autochtones dans les villes québécoises

Selon un portrait démographique publié en 2019 par le Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones (DIALOG), la population des Premières Nations en ville croît deux fois plus rapidement que celle qui réside à l’intérieur des communautés territoriales (réserves).

Cela explique notamment pourquoi de nombreux conseils de bande se sentent menacés, selon Tanya Sirois.

« Le point de vue politique des Premières Nations au Québec et au Canada, c’est que tout doit découler de l’autorité des chefs. »

— Une citation de  Tanya Sirois, directrice générale du Regroupement des centres d’amitié du Québec (RCAAQ)

J’ai déjà entendu dire que si les centres d’amitié offraient trop de bons services, les gens quitteraient les communautés. Et je me disais, ben voyons! Ils devraient être contents de dire "ma fille a déménagé à Trois-Rivières" ou "elle va au Cégep de Joliette", "une chance que le centre d’amitié est là pour elle et ses enfants, et qu’on y offre de bons services!" donne en exemple la directrice innue.

Les centres d’amitié ont également obtenu, au fil des ans, de plus en plus de financement, souvent après d’importants événements médiatiques.

Le Centre d’amitié autochtone de Lanaudière a, par exemple, reçu 3,1 millions de dollars à la suite de l’affaire Joyce Echaquan. Des investissements qui, comme pour le Centre d’amitié de Val-d’Or en 2015, faisaient l’objet de négociations depuis plusieurs années déjà.

Des membres de la famille de Joyce Echaquan et Carol Dubé montent des marches pour entrer au Centre d'amitié autochtone de Lanaudière, juste avant la conférence de presse du 2 octobre.
Des membres de la famille de Joyce Echaquan et Carol Dubé entrent au Centre d'amitié autochtone de Lanaudière, à Joliette, juste avant la conférence de presse du 2 octobre.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Une société civile autochtone qui réclame sa place

Des dirigeantes de centres d’amitié rappellent toutefois que les conseils de bande sont un système de gouvernance imposé par la Loi sur les Indiens. Actuellement, sur 43 conseils de bande que représente l’APNQL, seulement 7 sont dirigés par des femmes.

« Le monde autochtone a aussi son boys' club. »

— Une citation de  Édith Cloutier, directrice générale du Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or

On ne peut plus, en 2020, se cacher derrière les impacts de la Loi sur les Indiens – les effets délétères du colonialisme sur nos systèmes de gouvernance – pour justifier le machisme et le sexisme des hommes autochtones en pouvoir envers les femmes autochtones, particulièrement celles en position d’influence et de pouvoir, renchérit Édith Cloutier.

L’un des rares hommes à la tête d’un centre d’amitié autochtone au Québec (Montréal Autochtone), Philippe Meilleur, aussi président du RCAAQ, souligne que les conseils de bande, contrairement aux partis politiques québécois et canadiens, ne font pas face à des élus de l’opposition et sont donc moins habitués, selon lui, à la critique sociale.

Un homme témoigne lors d'une commission d'enquête.
Philippe Meilleur, président du Regroupement des Centres d'amitié autochtones du Québec (RCAAQ), témoigne lors de la commission Viens.Photo : Radio-Canada / Mélanie Picard

C’est très autocratique. Certains chefs ne tolèrent pas bien la diversité des voix. Ils nous traitent [les centres d’amitié] comme si on était externes [au milieu autochtone]. Mais on a le droit comme citoyens de s’organiser, de militer en faveur d’enjeux, fait valoir le directeur de Montréal Autochtone.

On n'a jamais eu d’appui officiel [des chefs des conseils de bande] en 50 ans. Jamais un seul appui en 50 ans, insiste-t-il.

Des services gérés par les conseils de bande en milieu urbain

Les centres d’amitié sont des pôles de services en milieu urbain depuis les années 1970 au Québec (au moment où la migration des Autochtones vers les villes s’est accentuée).

Les conseils de bande, par l'entremise de l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), ont commencé à développer des mécanismes pour aider les Autochtones en milieu urbain, dans les années 2000. La création de centres de services en emploi et en formation est un exemple.

Photo des bureaux de l'un des centres de service en emploi et formation (CSEF) au Québec, quatre sont en milieu urbain, notamment à Val-d'Or.
Par l'entremise de sa Commission de développement des ressources humaines des Premières Nations du Québec (CDRHPNQ), l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) gère 31 centres de service en emploi et formation (CSEF) au Québec, quatre sont en milieu urbain, dont un à Val-d'Or.Photo : Radio-Canada / Julie Marceau

Il faut dire que leur financement est notamment relatif au nombre de membres de chaque communauté, qu’ils habitent sur réserve ou hors réserve.

Des événements comme le jugement Corbière, en 1999, portant sur le droit de vote des Indiens statués vivant hors réserve, y sont également pour beaucoup, selon Édith Cloutier.

Les chefs des communautés ont tout à coup souhaité devenir les représentants de leurs membres en milieu urbain, affirme-t-elle.

En matière de réinsertion professionnelle, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador gère, par exemple, quatre centres d’emploi à Montréal, Québec, Val-d’Or et Sept-Îles.

Si un Anichinabé de Val-d’Or originaire de la communauté de Lac-Simon souhaite, par exemple, obtenir une formation professionnelle pour retourner sur le marché du travail, il peut faire appel à ce service.

Jamie Houle est coordonnatrice au Centre de service en emploi et formation (CSEF) de Val-d'Or, géré par la Commission de développement des ressources humaines des Premières Nations du Québec (CDRHPNQ).
Jamie Houle est coordonnatrice au Centre de service en emploi et formation de Val-d'Or (CSEF) géré par la Commission de développement des ressources humaines des Premières Nations du Québec (CDRHPNQ).Photo : Radio-Canada / Julie Marceau

On fait une demande de financement qu’on va déposer à la communauté pour approbation. Si la communauté l’approuve, nous on entre ça dans le système pour savoir quand faire les paiements et à quel fournisseur, explique Jamie Houle, coordonnatrice au Centre de service en emploi et formation (CSEF) de Val-d'Or, qui a accepté de nous ouvrir les portes de ses locaux.

Deux types de services différents

Les services gérés par l’APNQL nécessitent donc de posséder et de présenter une carte de son statut d’Indien précisant sa communauté d’origine, ce qui n’est pas requis par les centres d’amitié, qui se définissent comme étant multi-nations. Une autre source d'irritation pour les conseils de bande, selon plusieurs dirigeantes de centres d’amitié.

On a déjà essayé de nous discréditer par rapport à ça, affirme Tanya Sirois. Je comprends que les communautés [conseils de bande] fonctionnent comme ça, mais nous, on fonctionne autrement et on estime que ça n’a plus sa place en milieu urbain.

Dans tous les centres d’amitié au Canada, on parle de "politique portes ouvertes" qui veut dire un accueil sans distinction à ta nation d’appartenance, ton statut, ton lieu de résidence, etc., ajoute Édith Cloutier.

Ainsi, le Centre d’amitié de Val-d’Or offre des services à des Anichinabés, mais également à des Atikamekw, des Cris ou des Inuit. À Montréal, les membres du centre d’amitié peuvent être mohawks, cris, innus et inuit. Ils côtoient également des Cris, des Ojibwés, ou des Inuit originaires de l’Ontario, du Manitoba ou même de la Colombie-Britannique.

Des enfants de la garderie Abinodjic-Miguam à Val-d’Or.
La garderie Abinodjic-Miguam à Val-d’Or, qui signifie « La maison des enfants » en anichinabé, est un CPE mixte pour Autochtones et non-Autochtones. Il a été fondé il y a près de 20 ans par des gestionnaires du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. Ce centre de la petite enfance est installé dans le même immeuble que le centre d'amitié.Photo : Radio-Canada / Julie Marceau

Autre différence : les services offerts par les centres d'emploi de l'APNQL fonctionnent de façon individuelle, alors que les centres d’amitié ont la latitude d’offrir à leurs membres un cheminement en groupe via différents programmes. Les centres d’amitié sont également des points d’ancrage physiques offrant des espaces d’échanges, alors que les centres d’emploi de l’APNQL sont des bureaux pour les employés.

Une mère anichinabée qui souhaite retourner sur le marché du travail peut, par exemple, suivre un atelier au Centre d’amitié de Val-d’Or, tout en envoyant ses enfants à la garderie située dans le même immeuble et discuter avec d’autres membres à la cafétéria sur l’heure du midi.

La peur d’alimenter les préjugés

Si les personnes interrogées pour ce reportage, dont les représentants de centres d'amitié, estiment qu’il est temps pour les conseils de bande et l'APNQL de faire un examen de conscience sur leurs relations avec les centres d’amitié, elles estiment toutes que le sujet est délicat et craignent d’alimenter les préjugés envers les Premières Nations en témoignant.

La directrice générale du Centre d'amitié autochtone de Lanaudière à Joliette, Jennifer Brazeau.
La directrice générale du Centre d'amitié autochtone de Lanaudière à Joliette, Jennifer Brazeau.Photo : Crédit : RCAAQ

Si on dit qu’on a un problème avec des hommes qui sont chauvins, patriarcaux, on ajoute à un malaise. On ne veut pas critiquer nos confrères qui ont déjà du mal. C’est pas comme si on était tous [toutes les communautés autochtones] en train de s’épanouir..., souligne avec une pointe d’inquiétude la directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière, Jennifer Brazeau.

« Dans le monde autochtone, on a de la misère à faire de la critique à l’interne, parce qu'on ne veut pas ajouter aux préjugés que les gens ont déjà. »

— Une citation de  Jennifer Brazeau

Cette dernière n’a d’ailleurs pas souhaité commenter les informations d’Espaces autochtones concernant l’affaire Joyce Echaquan ni montrer du doigt le conseil de bande de Manawan.

Oui, il y a des tensions entre l’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador et le Regroupement des centres d’amitié du Québec. Il y a énormément d'incompréhension concernant notre rôle, convient-elle. Au lieu d’ouvrir des lignes de communication, ils tentent de nous abaisser. Certains souhaitent même qu’on disparaisse.

La plus grande bataille des Autochtones, c'est notre autodétermination. Ça peut être sur réserve ou hors réserve ou à l’échelle internationale. Nos élus, et tous ceux qui sont techniquement au-dessus de nous, ils devraient être en appui, affirme le président du RCAAQ.

Tanya Sirois et Philippe Meilleur, respectivement directrice générale et président du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ), à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'organisme. Philippe Meilleur est également directeur général de Montréal Autochtone.
Tanya Sirois et Philippe Meilleur, respectivement directrice générale et président du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ), à l'occasion du 50e anniversaire de l'organisme. Philippe Meilleur est également directeur général de Montréal Autochtone.Photo : Crédit : RCAAQ / Marc Antoine Hallé

Si on est en train de s’organiser, pis c’est des femmes qui organisent des services pour les gens en milieu urbain, ben punch up avec nous autres, don’t punch down!, conclut-il.

Les femmes représentent 50 % de la société autochtone. En rétablissant l’équilibre hommes-femmes, on se donnerait le pouvoir collectif d’agir concrètement sur notre avenir comme peuple, soutient Édith Cloutier.

Je pense que l’ego, il faut mettre ça de côté. Ce sont les gens, les Autochtones, qui doivent être au coeur de nos revendications. Il ne faut pas qu’ils tombent dans des craques de services. Il y a encore un plafond de verre. Moi, je compte sur la jeunesse autochtone pour cette ouverture d’esprit. Tout est possible, conclut Tanya Sirois.

Les centres d’amitié, des partenaires importants, assure l’APNQL

L'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador a décliné notre demande d’entrevue, mais dans une déclaration écrite, son chef, Ghislain Picard, assure que les centres d’amitié sont des partenaires importants.

Plusieurs de ces centres ont une relation directe et concrète avec un ou des gouvernements locaux des Premières Nations, assure-t-il.

Gros plan du chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), Ghislain Picard.
Le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), Ghislain Picard.Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Sans se prononcer sur la pression indue ou les actes d’intimidation posés par des membres de conseils de bande à l’endroit de dirigeantes de centres d’amitié, l’APNQL affirme avoir à cœur d’améliorer la relation entre les centres d’amitié et les conseils de bande.

Il faut sans doute encourager cette relation de proximité qui est tout à l'avantage de la clientèle. La relation entre les centres d’amitié et nos gouvernements locaux gagnerait à être axée sur des enjeux de services plutôt que politiques, à se situer le plus près possible de la clientèle qui bénéficie de ces services, indique-t-il.

« Ces centres contribuent à développer [...] et à maintenir la complémentarité et la continuité des services que nos gouvernements locaux recherchent pour leur population. »

— Une citation de  Ghislain Picard, chef de l'APNQL

L’organisation représentant 43 conseils de bande souligne également que ses membres sont tenus, depuis une résolution adoptée en 2005, de collaborer avec les organisations non gouvernementales, telles que le Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec et Femmes autochtones du Québec, sur l'ensemble des enjeux, incluant l'amélioration des programmes et services offerts aux citoyens de Premières Nations hors réserve/hors communauté.

En se ralliant tous autour des besoins de notre population, ces partenaires pourront certainement améliorer la continuité et la complémentarité des services qui est une priorité pour nos chefs, conclut Ghislain Picard.

Il n'a pas été possible de joindre un des représentants du Conseil des Atikamekw de Manawan avant la diffusion de ce reportage.

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