Nous utilisons les témoins de navigation (cookies) afin d'opérer et d’améliorer nos services ainsi qu'à des fins publicitaires.
Le respect de votre vie privée est important pour nous. Si vous n'êtes pas à l'aise avec l'utilisation de ces informations,
veuillez revoir vos paramètres avant de poursuivre votre visite.Gérer vos témoins de navigationEn savoir plus
Quand la gastronomie participe à la préservation de la biodiversité
Oaxaca au Mexique
Publié le 21 juin 2019
L'État de Oaxaca possède la plus grande biodiversité mexicaine. Cette richesse animale et surtout végétale est toutefois menacée par la sécheresse, la migration et le libre-échange. Mais la gastronomie pourrait bien venir à son secours.
par Marie-France Abastado
Quand le chef cuisinier Rodolfo Castellanos vient faire ses courses au marché central de Oaxaca, il sait qu’il trouvera tous les ingrédients nécessaires à la fabrication des plats qu’il sert soir après soir aux clients de son restaurant Origen.
« Ça ce sont des jicamas », dit-il en prenant dans ses mains un tubercule qui ressemble à s’y méprendre à une pomme de terre. « Ça a une saveur différente et c’est plus croquant. On va l’utiliser pour faire une salade. »
Variétés de chiles (piments) au marché central de Oaxaca.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Des piments de Oaxaca
Les espèces de piments qui sont sous nos yeux sont de toutes les teintes, du rouge au noir. Certains d’entre eux ne se trouvent qu’à Oaxaca : les pasillas mixes, les chilhuacles, les costenos et les chiles moras. Et ils ont tous des saveurs distinctes.
En fait, le Mercado Central de Abastos regorge de variétés de fruits et de légumes qu’on ne trouve que dans l’État de Oaxaca, là où on observe la plus grande biodiversité du Mexique. Par exemple, des 59 sortes de maïs que compte le Mexique, 35 sont natives de Oaxaca.
« C’est très important pour notre culture qu’on continue à cultiver toutes ces espèces, dit le chef Castellanos. » Il explique qu’en matière de sauces par exemple, contrairement à la cuisine française, ce ne sont pas des réductions de veau ou de volailles qu’on utilise, mais bien des piments.
Boucherie au marché central de Oaxaca.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Au patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO
L’immense biodiversité de Oaxaca a sans doute contribué à faire de la cuisine oaxaquène le berceau de la cuisine mexicaine nommée en 2008 au Patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO. Et Rodolfo Castellanos se fait un devoir de mettre en valeur les produits locaux dans son restaurant Origen, qui veut dire origine en français.
« Le restaurant cherche à respecter les ingrédients endémiques de Oaxaca », dit le chef dont l’établissement propose des plats gastronomiques qui les mettent en valeur. Mais sa philosophie consiste aussi à faire en sorte que les petits agriculteurs avec lesquels il travaille soient payés un juste prix pour leurs produits.
Marchande de légumes au marché central de Oaxaca.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Mais pour ce chef formé en partie en France, utiliser les ingrédients locaux, ce n’est pas qu’un devoir, c’est également un plaisir qui l’amène à être plus créatif. « On utilise une dizaine d’espèces de maïs, surtout ceux qui sont autour de la ville de Oaxaca, du jaune, du noir, du rouge et du blanc bien sûr. »
Mortiers mexicains en pierre volcanique.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Des instruments typiques de la cuisine mexicaine
Le marché central, c’est aussi l’endroit où acheter des instruments typiques de la cuisine mexicaine. Ici, c’est le mortier de pierre volcanique qu’un marchand tente de vendre à une cliente potentielle. Il lui explique comment préparer son mortier lors de la première utilisation.
« Vous le lavez quatre fois avec de l’eau froide. Puis vous écrasez un peu de maïs cru et vous le relavez. Ensuite, vous pourrez préparer une sauce de la mort à votre mari, dit le vendeur. Avec un morceau de viande grillée et un petit oignon, il sera comme un champion! »
En fait, la pérennité de ce patrimoine immatériel qu’est la cuisine de Oaxaca tient à plusieurs éléments et à plusieurs groupes de personnes, pas seulement aux chefs, soutient Rodolfo Castellanos.
« Il y a un groupe de cuisiniers et d’agriculteurs qui est en train de changer la vision des choses. Si on n’est pas tous ensemble, ça ne marchera pas, soutient-il. C’est un effort d’un groupe qui doit aussi être partagé avec les consommateurs. »
Le gouvernement doit prendre en charge la préservation de la biodiversité et comprendre que la dignité des agriculteurs est d’une importance vitale.
Semences de maïs patrimoniales.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
La banque de semences ancestrales
Car les instruments, le savoir-faire, c’est bien, mais la clé, dit Rodolfo Castellanos, c’est vraiment la préservation de la biodiversité. Et c’est exactement un des objectifs que s’est donné l’Institut national de recherches forestières et agricoles : préserver l’incroyable biodiversité de l’État de Oaxaca.
Flavio Aragon Cuevas, agronome et chercheur en ressources génétiques, nous fait visiter la banque de semences patrimoniales de l’institut. Sur les étagères, des centaines de pots de plastique à travers lesquels on voit des graines de maïs de toutes les formes et de toutes les couleurs.
« Ici nous protégeons 2000 échantillons de maïs natifs de Oaxaca et chacun d’entre eux vient d’un producteur d’une communauté spécifique et représente une des 35 sortes de maïs que l’on retrouve ici. »
Pour les haricots, la banque conserve 800 échantillons, 300 de courges, 350 de piments et 150 échantillons de coton natif de fibre blanche, verte, et rouge. Toutes ces semences sont gardées dans cette banque de préservation à moyen terme. Mais c’est aussi une banque active où on fait des échanges de graines avec des producteurs, des scientifiques ou des étudiants.
Les différents types de maïs à la banque de semences de l’INIFAP.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
La plus grande biodiversité au Mexique
L’État de Oaxaca est celui qui a la plus grande diversité végétale et animale au Mexique. Dans le cas d’espèces comme le maïs, les haricots et les courges, il est même considéré comme un centre d’origine, car on y a trouvé les plus anciens restes archéologiques de maïs cultivé, vieux de 6500 ans, et pour la courge, de 10 000 ans
C’est à la fois une importante variété géographique et climatique et le nombre élevé de peuples indigènes qui ont permis à autant d’espèces végétales de se développer et de se perpétuer, souligne Flavio Aragon Cuevas.
« Il y a dans l’État de Oaxaca une énorme richesse culturelle. Nous avons plusieurs groupes indigènes qui ont sélectionné et conservé cette biodiversité et qui ont même généré des variétés. Il y a aussi une grande variation climatique qui va du niveau de la mer jusqu’à 3000 mètres. Et les anciens habitants comme les actuels ont dû s’adapter à ces variations climatiques en fonction de leurs goûts et aussi pour être en mesure d’élaborer leurs plats traditionnels. »
Spécimen de maïs rouge.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Les menaces à la biodiversité
C’est donc pour préserver cette biodiversité que l’Institut national de recherches forestières et agricoles a mis sur pied sa banque de semences ancestrales. Car les menaces sont nombreuses, surtout la sécheresse dans des terres où on cultive encore de façon traditionnelle avec la pluie, mais aussi la migration. De cet État, l’un des plus pauvres du Mexique, les habitants partent souvent en quête d’une vie meilleure.
« De nombreux jeunes partent surtout vers les États-Unis ou vers les grandes villes et cessent de cultiver. Ils quittent la campagne en laissant derrière eux les plus âgés, qui sont ceux qui pratiquent l’agriculture et qui préservent la biodiversité. Et c’est un problème parce qu’il n’y a pas de relève pour la campagne. Les gens sont trop vieux pour cultiver toutes les espèces qu’ils cultivaient par le passé. Ils ne peuvent plus marcher autant dans les montagnes, là où il y a une grande variété climatique », dit M. Cuevas.
Le journaliste-fixer Juan Calderon, l'agronome Flavio Aragon Cuevas et l'agricultrice Reina Torres.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Mais Reina Torres, elle, est restée dans son État natal. Son mari et elle cultivent leur champ dans la vallée centrale de Oaxaca. Par une matinée déjà chaude où on annonce 40 degrés, elle nous montre leurs cultures. « Nous semons du maïs varié, dit-elle. Quelques fois du blanc, d’autres fois du jaune ou du bleu et nous l’arrosons avec l’eau du puits, dit-elle. »
Ce sont les petits producteurs comme Dona Reina et son mari qui sont les gardiens de la biodiversité et l’agronome Flavio Aragon Cuevas croit que le gouvernement devrait les aider davantage si on veut s’assurer de la pérennité de ces semences ancestrales.
Les tlayudas de Doña Reina.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
« Malheureusement, les politiques publiques en place jusqu’à récemment ne répondent pas aux besoins des petits agriculteurs. Les montants ne sont pas suffisants et arrivent trop tard. J’espère que les politiques changeront avec le nouveau gouvernement et que l’appui sera plus adéquat, qu’il correspondra au cycle agricole et non au calendrier politique pour que ça ait vraiment un impact sur la production », soutient l’agronome.
C’est d’autant plus difficile de préserver la biodiversité que les pressions sur les petits agriculteurs sont énormes, en particulier à cause des bas prix du maïs américain qui inonde le marché. Car si par le passé le Mexique a déjà été autosuffisant en maïs, aujourd’hui, il en importe 12 à 16 millions de tonnes, en grande partie des États-Unis.
L'entrée du restaurant Origen.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Pendant ce temps chez Origen
Pendant que Dona Reina nous fait goûter ses tlayudas, ces grandes galettes fabriquées avec du maïs qu’on ne trouve qu’à Oaxaca, le chef Rodolfo Castellanos révise son menu pour la soirée. Il sait que sans les petits agriculteurs, la carte de son restaurant ne serait pas la même. Et ce qu’il apprécie le plus, c’est que ses clients mangent des choses typiques de Oaxaca qu’ils n’avaient jamais goûtées auparavant.
Risotto de maïs vert au restaurant Origen.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado
Mais au-delà de sa carte et de son propre succès comme chef, Rodolfo Castellanos est convaincu que la préservation de la biodiversité, c’est aussi une façon d’occuper le territoire en donnant de meilleures conditions de vie aux petits agriculteurs.
« Si les gens travaillent dans des conditions favorables, l’émigration va s'arrêter. » Le chef Rodolfo Castellanos se désole de voir les agriculteurs de Oaxaca quitter le Mexique en si grand nombre parce qu’ils n’arrivent pas à gagner leur vie honorablement. « Dans certains villages de Oaxaca, il ne reste que les femmes, soutient-il, parce que tous les hommes sont partis aux États-Unis. C’est un peu triste de penser qu’ils doivent partir pour avoir une meilleure vie. »
Le reportage de Marie-France Abastado est présenté le 23 juin à Désautels le dimanche sur ICI Première.
Le chef Rodolfo Castellanos au marché central de Oaxaca.Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado