Placer les relations entre Autochtones et non-Autochtones au coeur de la réconciliation, c'est la proposition originale qui se répand dans l'ouest du pays depuis deux ans. Les cercles de réconciliation font le pari de transformer les relations qu'entretiennent les peuples fondateurs, une rencontre à la fois, une personne après l'autre.
La réconciliation, un cercle à la fois
10 rencontres, 10 personnes, une occasion de mieux se comprendre entre Autochtones et non-Autochtones.
Un texte de Rémi Authier
La première rencontre
Ils sont neuf à braver le froid en cette journée de février pour se rendre à l'église unie de Selkirk, au Manitoba. La plupart arrivent en groupe de deux et échangent des sourires polis avec les autres inconnus, en attendant le début de la rencontre. Ces personnes sont ici pour prendre part à la première séance du cercle de réconciliation dans lequel elles se sont inscrites.
Au cours de 10 rencontres, elles vont apprendre à se connaître en discutant de questions qui touchent les Autochtones au Canada. Rafle des années 60, spiritualité ou pensionnats autochtones, autant de sujets susceptibles d’être abordés chaque lundi soir pendant plus de deux mois.
Qu’est-ce que la réconciliation?
Depuis la conclusion de la Commission de vérité et réconciliation en 2015, cette notion de rapprochement entre les Autochtones et les non-Autochtones occupe une place de plus en plus grande dans la conscience canadienne. Pour plusieurs, il est toutefois difficile de dire exactement ce qu’est la réconciliation et comment y prendre part. Les cercles de réconciliation offrent un moyen de participer à ce projet de société, en proposant de tisser des liens entre Autochtones et non-Autochtones.
Dans l'église unie de Selkirk, les participants s'assoient en rond et s'observent. Les deux animatrices qui vont guider le groupe prennent la parole et décrivent le processus. La parité est un élément fondamental des cercles, et une des deux animatrices est Autochtone. Les deux femmes, qui en sont chacune à leur quatrième cercle de réconciliation, expliquent que les participants vont tour à tour recevoir le bâton de parole qui leur donne le droit de s'exprimer.
Lorsqu'un cercle s'amorce, chaque personne se présente et dit pourquoi elle veut y prendre part. L'émotion est déjà grande dans cette première rencontre, quand une participante autochtone raconte son histoire et les défis auxquels elle a dû faire face dans la vie. La voix tremblante et les yeux embués, elle confie qu’elle a trouvé difficile d’entendre les excuses officielles du gouvernement fédéral.
Un jeune homme raconte son parcours pour découvrir et revendiquer ses racines autochtones. « J’ai commencé ce parcours après la mort de ma grand-mère. C’était une survivante des pensionnats autochtones, dit-il. Elle me parlait de sa culture et m’enseignait sa langue, mais elle n’en disait pas beaucoup. Maintenant, je retrouve mes origines et je réapprends qui je suis. »
Par moments, le contraste est fort entre la douleur ressentie et le désir enthousiaste de contribuer à la réconciliation, démontré par d’autres participants non Autochtones. Les silences sont nombreux durant certains témoignages, mais chacun à tour de rôle prend le bâton de parole et dévoile ses appréhensions et ses espoirs aux inconnus qui l’entourent.
Les neuf prochaines rencontres s'annoncent chargées et émotionnelles. Le chemin de la réconciliation ne sera pas facile, tous en sont conscients.
Exprimer sa souffrance
En quittant les cercles de réconciliation, Dorothy Monkman emprunte l'autoroute 59 Nord pour rentrer chez elle. Elle tourne à gauche lorsque apparaît sur sa droite une construction art déco aux motifs tropicaux et aux couleurs criardes, le casino South Beach. Elle s'engage alors sur les chemins de terre de la Première Nation des Brokenhead Ojibwé où elle habite.
Le long de la route, les maisons sont souvent en mauvais état, mais pas celle de Dorothy. À l'intérieur, des jouets pour ses petits-enfants sont éparpillés sur le sol du salon. Sur une petite table se trouve un tambour traditionnel décoré d’une inscription biblique et de symboles autochtones. Aux murs, des œuvres d’art autochtone et plusieurs photos de famille.
Lorsqu’elle nous reçoit chez elle, Dorothy Monkman dit qu’elle croit en la réconciliation même si elle est un peu sceptique à l’égard de ce long processus. Elle en entend parler de plus en plus souvent, sans toutefois voir de changements autour d'elle. Elle continue à observer des différences de traitement entre les Autochtones et les non-Autochtones.
Étant à moitié Autochtone, elle se voit comme un pont entre les différents peuples. C'est toutefois la première fois qu'elle participe à un cercle de réconciliation. Elle trouve l'exercice particulièrement émotif parce que les blessures vécues par les Autochtones sont encore vives.
« Le père de mes enfants est un survivant des pensionnats autochtones. Certaines personnes pensent que cela s'est déroulé il y a longtemps, il y a plusieurs générations. Mais nous sommes la première génération sortie de l’ère des pensionnats autochtones. »
Après quelques rencontres, Dorothy reconnaît que les cercles ont un effet positif et qu'elle y trouve une certaine source de guérison. Toutefois, certains jours, elle dort mal en raison des traumatismes qui y sont abordés.
« Je me suis demandé : est-ce qu'ils [les non-Autochtones] retournent à la maison et dorment mieux que nous? »
Vouloir apprendre et comprendre
Sheri Stoesz et son mari prennent aussi la route 59, mais ils se dirigent vers le sud pour rejoindre leur maison à St. Andrews, en banlieue de Winnipeg. La maison, construite sur mesure, se dresse dans un quartier cossu récent.
Sheri est une enseignante spécialisée en littératie pour les jeunes Autochtones. Loin d'être ignorante en ce qui a trait à l'histoire et aux conditions de vie des Premières Nations, des Métis et des Inuits, elle a quand même senti le besoin de prendre part à un cercle de réconciliation.
« Je participe parce que nous devons jouer un rôle. Nous avons un rôle à jouer et nous voulons jouer ce rôle. »
Pour elle, les cercles sont utiles et permettent de maintenir un dialogue entre les peuples. Elle est toutefois consciente du fait que l'engagement envers la réconciliation doit aller au-delà de la participation aux cercles.
Pour Sheri, la réconciliation est avant tout une question de relations : relations entre les Autochtones et les non-Autochtones. Elle reconnaît que le rôle d'une personne non Autochtone est particulier dans un cercle de réconciliation, puisqu'il faut avant tout écouter ceux qui ont vécu ces traumatismes et en gardent des séquelles.
Le fait de participer à un cercle de réconciliation devrait lui permettre d'avoir des discussions sur la réconciliation à la maison, estime Sheri.
« Je veux que nos enfants comprennent que les Autochtones ont fait de grandes contributions et que nous sommes où nous sommes en raison de ces contributions », dit-elle.
La création des cercles : le désir d'aider
Comment améliorer les choses au pays? Comment faire sa part en faveur de la réconciliation entre les peuples qui forment le Canada? Ces questions ont poussé le Winnipégois Raymond Currie à mettre sur pied les cercles de réconciliation avec des partenaires autochtones.
L'homme de 85 ans a l'esprit alerte et aime raconter l’origine de ce projet. « En 2015, j'ai lu le rapport intermédiaire [de la Commission de vérité et réconciliation] en ligne. Le dernier paragraphe commençait avec une phrase en caractères gras qui disait : "Si quelqu'un veut faire quelque chose à propos de la réconciliation, il n'est pas nécessaire d'attendre le rapport final.” Ça fait que j'ai décidé que je voulais faire quelque chose. »
Raymond Currie s’est alors mis à consulter les organisations autochtones pour tenter de voir ce qu’il pouvait faire. Pendant neuf mois, il a rencontré près de 50 groupes et membres de la communauté sans trouver de réponse. C’est alors qu’il est tombé sur Ko'ona Cochrane, une Autochtone qui lui a proposé de collaborer avec elle. Le comité consultatif qui mènera à la création des cercles de réconciliation en 2017 a alors été mis sur pied.
« Nous avons décidé dès le début que ce serait un partenariat complet. Donc, la moitié de notre comité consultatif, des participants, des animateurs et de notre équipe sont des Autochtones. »
Il reconnaît avoir été critiqué par certaines personnes pour son travail en faveur de la réconciliation. « La première fois que je suis allé à l’Aboriginal Council of Winnipeg, il y a une femme qui disait : "Pourquoi ce vieux gars blanc vient-il nous sauver?” »
Il lui a répondu : « Je suis certainement Blanc et je suis certainement vieux, mais je ne suis pas ici pour vous sauver. »
Raymond Currie dit que son passé de prêtre franciscain lui a appris que sa vie devait être placée au service des autres. Ancien professeur de sociologie et doyen de la Faculté des arts de l'Université du Manitoba, il croit que les cercles de réconciliation sont en quelque sorte la somme de toutes ses expériences. L’idée des cercles de réconciliation vient en partie du fait que sa femme et lui ont adopté deux enfants autochtones, qui ont fait partie de la rafle des années 60. Il en a tiré des apprentissages.
Raymond Currie croit que le format des cercles explique l'engouement qu’ils suscitent.
« On a une structure. On donne de l'information. On donne l'opportunité aux gens de partager et on crée des relations, dit-il. C'est tout simple. »
La fin du cercle, le début de la réconciliation
Lundi 13 mai. Les choses ont bien changé depuis la première rencontre. Dehors, la neige et le froid ne sont plus que des souvenirs. À l'intérieur, ceux qui étaient des inconnus se saluent chaleureusement en arrivant à l'église.
Cette dixième et dernière rencontre est un peu différente des autres.
Au lieu d'aborder un sujet de l'histoire ou de la culture autochtone, les participants tournent leur regard sur l'avenir et discutent des moyens de favoriser la réconciliation en dehors du cercle.
Tous sont visiblement heureux d'avoir consacré une dizaine de soirs à cette initiative.
Certains, comme Dorothy Monkman, envisagent de participer à nouveau à des cercles de réconciliation pour continuer le travail amorcé au cours des derniers mois. Elle dit avoir vu des changements chez elle et chez les autres participants au fil des semaines.
« Je vois la vie et les gens différemment, dit-elle. Je vois les personnes non Autochtones sous un jour différent. Je vois qu’elles souffrent tout autant que nous et que nous avons souvent hérité cela de nos ancêtres. »
Dorothy encourage les gens à prendre part à un cercle. Elle aimerait voir des cercles sur les terres autochtones et non seulement dans les communautés où les Blancs sont majoritaires.
« Je crois que, jusqu'à maintenant, nous, les Autochtones, étions les seuls dans le cercle et nous avons trouvé des façons de guérir. Maintenant, nous faisons cela avec les non-Autochtones. C'est une évolution. Ça semble plus complet maintenant. »
Les choses ont a été différentes pour Sheri, qui n'en ressort pas moins profondément changée. Elle trouve que cela n’a pas toujours été facile d'entendre les histoires des participants autochtones, mais elle dit qu’elle est chanceuse d'avoir vécu ces moments puissants.
« Les cercles sont organisés de façon que tous participent et s’expriment, dit-elle. Mais il y a vraiment des moments où les non-Autochtones doivent s’asseoir et écouter les histoires plutôt que d’avoir un rôle actif. »
L'enseignante dit que sa vision de la réconciliation n'est plus la même Elle la voit comme un processus plutôt qu'un but à atteindre. Elle note que chaque personne a une approche de la réconciliation qui lui est propre et que, pour elle, ce sera le travail de toute une vie.
« Il y a des jours où, en revenant à la maison, je ressentais de la tristesse. Parfois, c'était de l'espoir. C'était vraiment différent de ce à quoi je m'attendais. »
Cela fait plus de deux ans que l'organisme Circle of reconciliation organise ces rencontres. Plus de 1500 personnes y ont déjà pris part, et l'engouement est tel qu'il y a en permanence quatre ou cinq cercles en cours dans différentes communautés.
Déjà, cette façon de favoriser la réconciliation suscite un grand intérêt. Au Manitoba, il y a des cercles de réconciliation à Winnipeg, à Selkirk, à Flin Flon et à Thompson ainsi qu'à Thunder Bay, à Lloydminster et à Olds, dans les provinces avoisinantes. Des groupes ont aussi manifesté leur intérêt pour la création de ces cercles en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et à Toronto.
C'est un long et difficile chemin qu'entament les Canadiens afin de guérir les plaies d'un passé souvent sombre et violent, longtemps ignoré. Loin des grandes déclarations politiques et des ententes de Nation à Nation, chaque cercle constitue un petit pas vers la réconciliation.
Même si personne ne voit les cercles comme une panacée, les créateurs et les participants aux cercles font le pari que c'est en rapprochant les peuples une personne à la fois qu'il sera possible d'établir des relations respectueuses.
Équipe
Journaliste
Rémi Authier
Édimestre
Martin Bruyère
Réalisatrice, contenu numérique
Sylviane Lanthier