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Le mal banalisé qui nous déchire le ventre

La dure réalité de l’endométriose

Texte : Julie Landry | Illustrations : Émilie Robert

Publié le 20 janvier 2021

Je pleurais dans son bureau et je lui ai dit, en m’excusant : “Tu dois voir ça tous les jours.” Elle m’a dit “Oui, 20 fois par jour.”

Marie-Lou n’oubliera jamais le moment où la spécialiste a mis la main sur son bras et l’a crue. C’était la première fois que quelqu’un, au niveau médical, était avec moi et me disait : “Non seulement je te crois, mais j’ai fait des interventions sur d’autres patientes qui ont fonctionné. On va l’essayer sur toi. Et si ça ne fonctionne pas, on ne te lâchera pas, on va continuer.”

Cela fait 17 ans que Marie-Lou a mal, atrocement mal, tous les mois, avec des douleurs qui ne font souvent qu’augmenter. La source du problème : l’endométriose.

« C’est comme si quelqu’un te rentrait un couteau dans le vagin et qu’il y avait un autre couteau à l’intérieur, où il y a l’utérus et les ovaires, puis qu’il se promenait dedans, puis qu’il te “stabbait. »

— Une citation de   Marie-Lou

La douleur vive tombe ensuite dans ses hanches et peut descendre jusqu’aux chevilles, l’empêchant même de marcher. Parfois, son ventre se met à gonfler comme si elle était enceinte de sept mois.

Je côtoie Marie-Lou depuis une dizaine d'années et, jamais, je n’aurais deviné qu’elle souffrait autant. Marie-Lou est une personne du genre solide, qui n’a pas peur de dire ce qu’elle pense. Elle travaille majoritairement avec des hommes. Quand elle a accepté de m’accueillir chez elle pour me raconter son histoire, elle m’a ouvert une porte sur un pan de sa vie qu’elle tente par tous les moyens de cacher. Pourquoi? Parce qu’elle a eu honte, parce qu’elle ne veut pas paraître faible, parce que sa maladie prend déjà toute la place. D’ailleurs, Marie-Lou n’est pas son vrai prénom.

Marie-Lou souffre d’une maladie taboue, entre autres parce qu’elle est liée aux menstruations. Pourtant, l’endométriose touche une femme sur dix.

Une femme tient son ventre gonflé.
L’endométriose se manifeste lorsque l’endomètre, la muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’utérus, n’est pas complètement évacué pendant les menstruations. Des tissus se retrouvent donc à l’extérieur de l’utérus et peuvent causer des douleurs atroces. Chez Marie-Lou, outre les douleurs, cela se manifeste aussi par un gonflement du ventre.Photo : Fournie par Marie-Lou

Un fardeau pour la vie

Le problème avec l’endométriose, c’est que chaque cas est différent. On ne peut pas en guérir; on apprend à vivre avec la maladie.

Le bureau de la Dre Catherine Allaire est dépourvu d’artifice, ce qui donne l’impression qu’elle n’a pas le temps de faire autre chose que de s’attarder à l’importante mission que poursuit sa clinique.

La directrice médicale de la clinique d’endométriose et de douleurs pelviennes au BC Women’s Hospital gère un centre unique au Canada. Outre des interventions chirurgicales pour retirer le tissu endométrial, celui-ci offre en effet une approche multidisciplinaire qui touche à toutes les facettes de la maladie, de la gestion de la douleur chronique aux problèmes d’infertilité, en passant par la dépression et l’anxiété. Parce que l’endométriose peut être tout ça.

Dre Catherine Allaire.
Catherine Allaire dirige la clinique d’endométriose et de douleurs pelviennes au BC Women’s Hospital.Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

C’est complexe parce qu’il y a beaucoup de questions sans réponses. On ne comprend pas tout à fait encore pourquoi l’endométriose commence. On a quand même une idée de certaines choses qui influencent le développement de l’endométriose, mais on n'a vraiment pas la réponse complète, explique la Dre Allaire.

L’endométriose est une maladie chronique inflammatoire qui se manifeste lorsque des tissus similaires à l’endomètre, la muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’utérus, se retrouvent à l’extérieur de l’utérus. Ils peuvent causer des douleurs insupportables. Mais il ne suffit pas de retirer ces tissus pour régler le problème puisqu’il n’y a pas de lien direct entre la quantité de tissus trouvée (à l’extérieur et à l’intérieur de l’utérus) et la gravité de la douleur.

Avec des informations d'Endométriose Québec

Les combinaisons de traitements sont presque aussi multiples que le nombre de femmes atteintes. Il y a des traitements médicaux, des traitements chirurgicaux, il y a aussi le fait que ça peut devenir un problème d’infertilité, un problème de douleur chronique. Alors, tout ça demande une approche différente, selon les priorités et les symptômes de la femme.

Illustration montrant une bouillote et des comprimés.
On ne peut pas guérir de l'endométriose, on apprend à vivre avec. Marie-Lou a aménagé son appartement de façon à avoir à portée de main ses antidouleurs. Photo : Radio-Canada / Émilie Robert

Une maladie qui prend toute la place

Quand je suis entrée dans l’appartement de Marie-Lou, un rez-de jardin, j’ai tout de suite remarqué tout le soin qu’elle avait mis pour le rendre beau, chaleureux et personnel. Ce que je n’avais pas constaté d’entrée de jeu, c’est qu’il est aménagé pour gérer sa vie en fonction de l’endométriose. Parce que celle-ci prend toute la place dans sa vie, depuis qu’elle a 13 ans.

Marie-Lou a pensé pendant 10 ans que ses douleurs menstruelles étaient normales. Pourtant, dès ses premières règles, et les trois fois suivantes, elle s’est retrouvée à l’hôpital à cause de la douleur qui lui donnait des nausées et lui faisait perdre connaissance.

Cela a été le début d’une interminable série de visites chez les médecins pour tenter chaque fois de leur faire comprendre sa réalité, l’ampleur de ses douleurs, auxquelles ils ne croyaient pas. Un chemin rempli d’innombrables culs-de-sac. Elle a tout essayé, de la pilule contraceptive aux antidouleurs de plus en plus puissants, en passant par les hormones et les opioïdes.

Les médecins ne savent pas c’est quoi, l’endométriose, alors ils te reçoivent et disent : "Tu es une femme, tu as mal, c’est normal. Donc, voici des médicaments." Mais je les ai pris quand j’avais 13 ans, ça ne marche pas. Ils te renvoient chez toi et ne veulent pas te revoir. Puis, tu leur dis : "Mais j’ai vraiment mal." Ils ne te croient pas, ils ne t’écoutent pas, ils ne te suivent pas, ils ne te prennent pas au sérieux.

En 25 ans de journalisme, j’ai souvent ressenti de l’indignation pendant la production de mes reportages, mais, rarement, dans une entrevue, ai-je autant eu envie de crier à maintes reprises : Ç’a n’a pas de bon sens! ou un Tu me niaises! bien senti. J’avais déjà lu des articles sur l'endométriose, mais je n’avais pas compris la réalité d’une femme qui en souffre.

Cela a été le cas quand Marie-Lou a raconté l’année où elle a eu mal tous les jours, sans interruption. Ou la fois où un médecin, un gynécologue de surcroît, lui a simplement conseillé d’avoir un enfant parce qu’il paraît que ça peut diminuer les douleurs. Really? Je fais quoi avec l’enfant, après, lui a-t-elle demandé. Ou le jour où, se sentant trop mal à l’aise de rater une deuxième journée de travail, elle a pris plus d’antidouleurs avant de monter dans l’autobus, où elle a perdu connaissance.

L’entrevue est interrompue par une alarme. Ah, ça c’est pour mes pilules. Si je ne les prends pas à la même heure, elles ne sont pas aussi efficaces, explique Marie-Lou, qui ne semble même plus se rendre compte que sa normalité n’a rien de conforme avec le quotidien des femmes qui ne vivent pas avec l’endométriose.

Dans son joli appartement, les antidouleurs qu’elle prend maintenant sont placés stratégiquement dans l’entrée, dans le salon, dans la salle de bain et sur la table de chevet pour qu’elle puisse y accéder sans avoir trop à se déplacer en cas de crise. Son canapé est placé de manière à accéder facilement au coussin chauffant, aux serviettes et au système d’enveloppement du ventre à l’huile de ricin pour calmer les douleurs. Elle tente le plus possible de faire en sorte que son frigo et son congélateur soient assez remplis pour tenir une semaine, si jamais une grosse crise frappe.

La gestion de l’endométriose est dans ses pensées sans arrêt.

« Moi, quand je sors de ma maison, je peux oublier mon cellulaire, mais mes médicaments, non. Je ne sors jamais sans mes antidouleurs. »

— Une citation de   Marie-Lou
Macali Higgins et Anaïs Miners.
Macali Higgins et Anaïs Miners, élèves de 12e année à l’École Jules-Verne de Vancouver, déplorent le fait que les menstruations sont encore aujourd'hui un sujet tabou.Photo : Radio-Canada / Monia Blanchet

L’endo… quoi?

Maman! Maman! Ma fille de 12 ans descend les escaliers en trombe, son magazine Julie à la main. Savais-tu qu’il existe une maladie qui donne vraiment des douleurs pendant les règles et qui touche une femme sur 10? Je la sens indignée. En plus, il y a plein de médecins qui ne savent même pas que ça existe s’écrie-t-elle. Je lui demande si elle est en train de parler d’endométriose, ce qui l’impressionne (un point pour moi) et je tente de la rassurer en disant que le fait de savoir à un jeune âge que cela existe donne de meilleures chances de mieux gérer les douleurs chroniques. Je ne veux pas l’alarmer, mais, au fond de moi, j'espère de tout mon cœur de mère que sa soeur et elle ne feront pas partie des statistiques de l’endométriose. Et je me fais la réflexion que je n’avais jamais rien lu sur l’endométriose dans mon Filles d’aujourd’hui d’antan.

Cette histoire ravirait la Dre Catherine Allaire. Elle en a fait sa nouvelle mission : sensibiliser les jeunes filles aux menstruations anormalement douloureuses. Le but est qu’elles aillent tout de suite consulter pour essayer de contrôler les douleurs et éviter d’entrer dans la spirale infernale qui mènera aux douleurs chroniques.

Macalli Higgins et Anaïs Miners sont en 12e année à l’École Jules-Verne de Vancouver. Elles ont tout de suite accepté de me parler de menstruations, dans une démarche féministe. Elles s’insurgent contre le fait que les menstruations demeurent, aujourd’hui, un sujet tabou.

Dans la classe, quand on a dit qu’on allait faire une entrevue à propos des menstruations, le gars à côté a dit : “Oh je ne veux pas entendre parler de ça.”, raconte Macalli. C’est fou comment les gars sont hyper inconfortables et ne veulent pas en entendre parler.

Anaïs Miners.
Anaïs Miners, en 12e année, déplore le fait que les menstruations sont encore un sujet tabou.Photo : Radio-Canada / Monia Blanchet

Anaïs constate que beaucoup de filles continuent de cacher leurs tampons dans leurs manches, comme si c'était honteux. C’est pour ça que je veux faire comprendre aux personnes que c’est normal et que ça fait partie de la vie. Imaginez, alors, de parler en plus des douleurs!

« ll y a des filles pour qui c’est vraiment douloureux et elles ont de la nausée et il faut passer à travers la journée avec ces sortes de douleurs. »

— Une citation de   Anaïs Miners

Macalli croit que même les hommes d’âge mûr ne comprennent pas la réalité des menstruations, comme les enseignants qui demandent à une fille dont les saignements ont commencé d’attendre 10 minutes avant d’aller aux toilettes.

Macalli Higgins.
Macalli Higgins remarque que les garçons sont mal à l'aise quand on parle de menstruations.Photo : Radio-Canada / Monia Blanchet

« Ce serait bien aussi que les hommes, surtout les profs et les personnes qui déterminent ce que les jeunes filles font en salle de cours, soient plus éduqués à ce dont elles ont besoin. »

— Une citation de   Macalli Higgins

Macalli et Anaïs sont des filles dégourdies, allumées, engagées. Quand je leur demande si elles ont déjà entendu parler d’endométriose, c’est le silence complet. Jamais.

C’est pour informer les jeunes comme Macalli et Anaïs que la clinique de la Dre Allaire travaille sur plusieurs fronts. Ce printemps, des vidéos ludiques (d’abord en anglais seulement) sur ce que sont des menstruations normales seront lancées sur les réseaux sociaux.

Ce que je dis en général, c’est que tes menstruations ne devraient pas t’empêcher de fonctionner. Ça se peut que tu doives prendre un analgésique comme de l'ibuprofène, mais avec ça, tu devrais être capable d’aller à l’école, de faire tes activités.

« Tu ne devrais pas avoir à planifier ta vie autour de tes menstruations. Quand ça interfère avec ta façon de fonctionner comme devoir manquer l’école ou le travail pendant ton cycle, ce n’est pas normal. »

— Une citation de   Dre Catherine Allaire

La Dre Allaire constate, en côtoyant les femmes au bout de leur parcours médical, que l’endométriose se répercute sur le cours de leur vie. Elles ont raté beaucoup de cours, n’ont pas eu des notes aussi bonnes, n’ont pas toutes pu faire la carrière de leur choix.

Plus tard dans leur vie, elles ont pu avoir des douleurs sexuelles ou des problèmes d’infertilité et, le plus dévastateur, ce sont les douleurs chroniques. Donc, il y a vraiment beaucoup d’effets à long terme et j’aurais aimé revenir dans le passé et voir leurs symptômes traités plus tôt, dit la spécialiste. Le premier pas, c’est l’éducation.

La Dre Allaire mène d’ailleurs un projet pilote à l’école secondaire de New Westminster (qui a été mis en veilleuse à cause de la pandémie) dont l’objectif est d’informer les filles et les garçons au sujet des douleurs menstruelles normales et anormales, et de l’endométriose.

Dre Catherine Allaire.
La Dre Allaire considère qu'il faut aider les jeunes à reconnaître les douleurs anormales reliées à l'endométriose.Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Déjà au printemps dernier, des données préliminaires réjouissaient l’équipe de la clinique d’endométriose.

Les garçons ont été plus sensibilisés qu’on ne le pensait. C’était intéressant de les voir plus instruits et plus sensibles à la question de l’endométriose, dit la Dre Allaire. Cela lui donne bon espoir que, à l’avenir, parler des menstruations sera moins tabou et que les douleurs menstruelles intenses ne seront pas sous-estimées.

L’endométriose et la douleur chronique, ça n’affecte pas juste la femme, ça affecte tout le monde autour d’elle.(...) Si on sensibilise les hommes plus tôt, à l’âge du secondaire, il y a des chances qu’un jour, quand ils vont avoir une collègue ou une copine, ou leur femme ou leur fille qui auront des problèmes comme ça, ils vont réaliser que ce n’est pas normal, puis qu’il faut faire quelque chose et qu’il faut croire la femme, ajoute la Dre Allaire.

Illustration montrant des femmes assises en cercle se donnant du réconfort.
Dans les groupes de soutien pour femmes souffrant d'endométriose, chaque histoire est unique, mais il y a une constante : elles ont toutes vécu de ne pas se faire croire.Photo : Radio-Canada / Émilie Robert

Une constante : elles n’ont pas été crues

Sa propre mère ne la croyait pas! Marie-Lou fond en larmes quand elle raconte la fois où elle s’est rendue dans un groupe de soutien pour femmes qui souffrent d’endométriose, les endo-sisters. Une adolescente de 16 ans était à la recherche de réconfort. Ça, ça m’a jetée à terre parce que je me suis dit que, moi au moins, ma mère me croyait, raconte-t-elle. Elle parle souvent de sa mère et de sa sœur qui sont ses piliers sur le plan psychologique.

Dans ce groupe de soutien, chaque histoire était unique, mais il y avait une constante. On avait toutes des douleurs d’une intensité différente, des vécus différents, des symptômes différents, des expériences différentes, mais la seule chose qui était commune à tout le monde, c’est qu’on a toutes vécu de ne pas se faire croire, constate Marie-Lou, la rage au ventre. Selon elle, son endométriose aurait été plus gérable, sur le plan psychologique notamment, si elle n’avait pas eu à se battre contre le système de santé durant plus d’une quinzaine d'années. 

Chaque histoire est unique, mais en même temps, si semblable. 

Jessica Langedyk, de Kelowna, me demande de l’excuser d’avoir mis trois jours à répondre à mon courriel. La gestion de ma douleur est un travail à temps plein ces temps-ci. Elle a 26 ans, et mal depuis ses premières règles, à 10 ans. Son diagnostic d’endométriose est tombé à 14 ans. La solution qui lui a été proposée : avoir un bébé ou subir une hystérectomie. J’avais 14 ans! Je ne voulais pas faire un bébé, raconte-t-elle en avouant y avoir quand même songé. Tout était bon pour faire cesser la douleur. Elle ne se souvient pas de la dernière journée où elle n’a pas eu mal : Cela fait des années.

Marie-Lou en était venue elle-même à douter de ses propres douleurs. Elle a eu une révélation  quand elle a été prise en charge par la clinique de douleurs chroniques et d’endométriose du BC Women’s Hospital. Elle a choisi de subir une laparoscopie, une intervention chirurgicale qui est le seul moyen à ce jour de confirmer la présence d’endométriose. La chirurgienne en profitera pour retirer certains tissus fibreux, avec l’espoir de faire disparaître les douleurs.

Un monstre qu'il ne faut pas réveiller

La gestion de la douleur chronique est l’une des plus importantes difficultés dans la vie de certaines femmes qui souffrent d’endométriose.

Jessica Langedyk a beau avoir subi une laparascopie il y a 12 ans, à Kelowna, et avoir consulté à distance la clinique de douleurs pelviennes et d'endométriose du BC Women's Hospital en 2020, elle continue d'avoir des douleurs insupportables. Elle consacre chaque jour à passer au travers de son mal. Pour décrire ses pires douleurs, elle utilise l’image d’un énorme ballon, entouré de fil de fer barbelé, qui gratte l’intérieur de son ventre et lance des éclairs.

À 26 ans, la quantité de médicaments, allant jusqu’aux opioïdes, qu’elle a dû ingérer est ahurissante. Mais elle ne sait pas ce qu’elle peut faire d’autre et a du mal à voir la lumière au bout du tunnel.

Jessica Langedyk et son conjoint s'embrassent.
Jessica Langedyk, 26 ans, a mal depuis ses premières menstruations, à 10 ans.Photo : Rachel Campbell Photography

Les solutions proposées lors de la rencontre en ligne avec la clinique l’ont déçue : d’autres médicaments, des séances de physiothérapie et des séances de pleine conscience.

« Parfois, quand on ressent des douleurs si fortes et si invalidantes, le fait de se faire dire d’être davantage dans la pleine conscience est un peu insultant. »

— Une citation de   Jessica Langedyk

En effet, l’endométriose est comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des femmes qui en souffrent. Quand tout semble aller bien, elles savent que ce n’est probablement que temporaire.

Marie-Lou essaie d’augmenter ses chances en ayant une hygiène de vie plus équilibrée. Faire du sport, profiter d’une phase sans douleur pour mieux dormir et essayer de ne pas travailler 50 heures par semaine. Parce qu’elle s’en vient, la prochaine vague, quand les hormones ne fonctionneront plus, par exemple.

La Dre Allaire constate que l’approche interdisciplinaire de sa clinique peut donner de bons résultats pour calmer la douleur chronique. La douleur chronique, c’est un problème de système nerveux. Ça devient un problème de sensibilisation centrale. Le système nerveux devient hyperactif.

Les rencontres avec la physiothérapeute, la psychologue et l’infirmière de la clinique peuvent aider la patiente à calmer son système nerveux. Les patientes sont mieux, elles ont beaucoup moins d’anxiété et de dépression. Les symptômes sont améliorés. Ils ne sont pas à zéro, mais les femmes ont une meilleure qualité de vie, se réjouit Catherine Allaire.

Illustration montrant une femme pleurer devant son médecin.
Dans la clinique d’endométriose de la Dre Catherine Allaire, 60 % des patientes font de l’anxiété ou de la dépression.Photo : Radio-Canada / Émilie Robert

Un autre espoir déçu

Au moment de se faire opérer, Marie-Lou était déjà en dépression. Une dépression née de l’obligation d’avoir à gérer cette douleur chronique et de la cacher aux personnes autour d’elle. Sauf qu’à la longue, à travers les années, il y a quatre ans, j’ai frappé mon mur.

L’opération représentait un rare espoir, pour la première fois en 18 ans. À son réveil, la chirurgienne lui a confirmé officiellement ce qu’elle soupçonnait déjà : elle souffrait d’endométriose. À ce moment-là, juste ça, c’était un méga fuck you à la vie.

« Juste d’avoir un diagnostic, d’avoir un papier qui confirme qu’il y a eu une biopsie pour quelque chose que personne ne voit. Check! Je l’ai, mon certificat, je ne suis pas folle. Pour moi, ça a beaucoup changé. Ça aide vraiment parce que je ne me questionne plus si c’est dans ma tête. »

— Une citation de   Marie-Lou

Ensuite, l’espoir était de voir ses douleurs disparaître ou, à tout le moins, diminuer. 

Malheureusement, les premières règles qui ont suivi l'opération ont été plus douloureuses que jamais. Ça a vraiment été le plus gros coup de pelle dans la face. Marie-Lou ne regrette pas de l’avoir fait, pour son diagnostic officiel, mais la dépression qui s’en est suivie était la pire à ce jour pour elle. J’étais rendue au bout. Si ça n’a pas fonctionné, qu’est-ce tu fais?

Quand je rencontre Marie-Lou, elle est dans une bonne phase, mais elle sait qu’elle est et sera toujours fragile. 

La jeune trentenaire ne fait pas exception à la règle. Dans la clinique d’endométriose de la Dre Allaire, 60 % des patientes souffrent d'anxiété ou de dépression. Toutefois, la spécialiste me demande de faire attention à la façon dont je vais présenter cette statistique. Elle rappelle qu’elles ne voient que les femmes qui sont au bout de leur parcours médical. Les femmes qui souffrent  d’endométriose ne souffrent pas toutes de douleur chronique ou de dépression. Cette distinction est importante, selon elle.

Elle admet que, si certaines patientes ont trouvé certains bons côtés à la pandémie, comme la flexibilité liée au télétravail ou la création des consultations en ligne, celles qui ont vu leurs interventions chirurgicales retardées ou qui se sont retrouvées sans réseau social à cause du confinement, ont souffert encore plus. 

Jessica navigue aussi dans les eaux noires de la dépression, et c’est pire pendant la pandémie. Elle a du mal à voir la lumière au bout du tunnel et déplore le manque de connaissances par rapport à l’endométriose.

« Les gens ne comprennent pas qu’avec l’endométriose, c’est tout le corps qui souffre. Il y a si peu de connaissance et, pourtant, 10 % des femmes en souffrent. »

— Une citation de   Jessica Langedyk

Elle se sent abandonnée. Il y a très peu d’options et nous sommes  laissées à nous-mêmes pour trouver une solution . Elle n’en peut plus de se faire dire que c’est normal, qu’il suffit de passer au travers. Nous sommes invisibles, déplore-t-elle.

Ce cri du cœur, un groupe d’experts canadiens veut le faire entendre haut et fort. C’est pourquoi ils ont lancé le site web EndoAct (Nouvelle fenêtre). En dévoilant le cas des femmes qui souffrent, ils espèrent qu’Ottawa les entendra et mettra sur pied une stratégie nationale sur l’endométriose. 

Catherine Allaire croit qu’il est temps que l’on consacre plus d’argent à la sensibilisation, au traitement et à la recherche liés à l’endométriose. Elle a constaté que, depuis 20 ans, seulement 7 millions de dollars ont été octroyés à la recherche sur l’endométriose au Canada. C’est pénible, ce n’est rien. À titre de comparaison, une autre maladie chronique, le diabète, a reçu pendant la même période 150 fois plus de financement public. 

Pourquoi, selon elle? L’endométriose est une maladie qui touche les femmes et une maladie qui ne tue pas. Je lui pose la question : et si l’endométriose était une maladie d’hommes?

Dre Catherine Allaire rit.
La Dre Allaire souhaite qu'on accorde plus de financement au traitement et à la recherche liés à l’endométriose, ainsi qu’à la sensibilisation du public à ce phénomène.Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Catherine Allaire éclate de rire. Oh mon dieu! je pense qu’on aurait eu une cure il y a 50 ans à peu près. Son rire ne dure pas. Je suis pas mal certaine.

Elle craint que, à cause des dépenses liées à la pandémie, il ne reste plus rien pour son champ d’expertise, mais continue d’espérer parce que la société change et que c’est le bon moment, d’après elle.

« Ça ne va pas, ces expériences de vie là, il faut faire quelque chose pour changer ça. »

— Une citation de   Dre Catherine Allaire

Mais la Dre Allaire veut aussi rassurer les plus jeunes qui entament le long parcours du chemin de la douleur liée à l’endométriose. Les symptômes sont variables et traitables. Elle a bon espoir que, même si l’endométriose est une maladie chronique, les femmes qui en sont atteintes peuvent avoir une bonne qualité de vie. 

En attendant, Marie-Lou et Jessica, elles, peuvent s’accrocher à l’espoir que tout changera à la ménopause, parce que les femmes ménopausées ont moins de symptômes dans la majorité des cas. Le ventre sera moins déchiré, donc, quand il tournera au ralenti.

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