Cette année-là, un groupuscule afro-américain clandestin avait planifié le dynamitage des grands symboles des États-Unis : la cloche de la Liberté de Philadelphie, l'obélisque de Washington et rien de moins que la statue de la Liberté!
Pour obtenir des explosifs, le Black Liberation Front s’était tourné vers un groupe qui faisait parler de lui au Canada : le Front de libération du Québec (FLQ)...
L’action terroriste du FLQ avait débuté deux ans auparavant, en 1963, avec le dynamitage de boîtes aux lettres dans la très anglophone municipalité de Westmount, et par des attaques contre des symboles du colonialisme britannique, comme la statue de la reine Victoria. Au fil des attentats, le FLQ avait constitué un arsenal composé de bâtons de dynamite volés sur des chantiers de construction, notamment ceux du métro de Montréal.
Deux jeunes Québécoises ont servi d’intermédiaires entre le groupe du Québec et celui des États-Unis.
L’une d’elles, Michelle Duclos, était présentatrice au Canal 10, la chaîne de télévision privée de Montréal. Militante du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), elle avait été adjointe de son chef, Pierre Bourgault. Duclos s’était rendue en Algérie, pays tout juste affranchi de la colonisation de la France en 1962 et dont la lutte armée avait inspiré des mouvements semblables ailleurs dans le monde. Michelle Duclos avait confié à son retour rêver d’une « lutte québécoise sur un mode algérien ».
L’autre Québécoise, Michèle Saunier, amie de la première, était aussi une militante du RIN. Séduite par la révolution qui avait porté Fidel Castro au pouvoir à Cuba en 1959, elle avait visité ce pays où elle avait fait la connaissance de Robert Collier, fondateur et chef du Black Liberation Front. C’est par Saunier que Collier avait appris que le FLQ pouvait se procurer de la dynamite. Ce dernier devait rappliquer à Montréal quelques mois plus tard pour demander l’aide des deux femmes.
Grâce à Duclos et à Saunier, proches du FLQ, les conspirateurs ont réuni 68 bâtons de dynamite. C’est Michelle Duclos qui serait chargée de les transporter à New York dans sa voiture.
Or, un agent de la police de New York était infiltré dans le groupe afro-américain et Michelle Duclos a été suivie durant tout son trajet vers la métropole américaine. Les arrestations ont suivi de part et d’autre de la frontière.
« C’était gros », mais « complètement insensé », se souvient avec dépit Jacqueline Hébert, la veuve de Gilles Legault, celui qui avait fourni la dynamite et qui s'était fait arrêter. Malgré les mises en garde de Jacqueline Hébert à son mari, celui-ci avait décidé d’aller de l’avant, comptant obtenir des armes en échange des explosifs.
Cet épisode quelque peu rocambolesque marque l’entrée du terrorisme québécois sur la scène internationale. Au-delà de l’anecdote, il montre que, dès le début, le FLQ s’est inspiré d’un mouvement de « libération » qui s'est déployé sur une grande partie de la planète et dont les victoires, à Cuba (1959) et en Algérie (1962), ont galvanisé une partie de la jeunesse mondiale.
Le sentiment d’une cause commune apparaît, ce qui n’est guère surprenant, dit le sociologue Jean-Philippe Warren, qui a étudié ce mouvement des années 1960.
« Lorsque ces jeunes se rencontrent à Alger, à Paris, à La Havane, à New York, à San Francisco, ils se disent : "nous partageons beaucoup de choses, nous avons beaucoup de valeurs en commun. Pourquoi ne pas s'unir?" »
Un « nationalisme internationaliste »?
On associe avec raison le FLQ à la lutte pour l'indépendance du Québec et beaucoup moins à une action d’inspiration internationale.
Pourtant, l'histoire de ce mouvement est constamment traversée par les courants venus d’ailleurs, et par un désir très fort d’inscrire la lutte des Québécois dans quelque chose de beaucoup plus grand.
« Pour faire avancer l'indépendance, on a cru qu'il était bon de faire quelque chose pour que ça ait une portée nationale et internationale », disait déjà un des premiers felquistes, Mario Bachand, à propos des bombes de la première vague, en 1963.
« Le FLQ est un mouvement farouchement nationaliste, dit le sociologue Jean-Philippe Warren. Mais il est en solidarité avec d'autres nationalismes partout sur la planète. Il n'y a pas de contradiction entre le fait d'être nationaliste et le fait d'être internationaliste. »
Tous les militants du FLQ n’ont certes pas été motivés au même degré par le rêve internationaliste. Par exemple, les deux cellules responsables de la crise d’Octobre 1970 sont très différentes, observe notre collègue, le journaliste Marc Laurendeau.
« La cellule Libération de Jacques Lanctôt est animée par cet idéal de révolution mondiale, explique-t-il. Par contre, la cellule Chénier des frères [Paul et Jacques] Rose était beaucoup moins portée là-dessus et sa motivation était plus locale, inspirée par l'action des comités de citoyens, ancrée dans les luttes ouvrières et porteuse d'un nationalisme se réclamant des patriotes de 1837. »
Nègres blancs d’Amérique dans son contexte
Cette solidarité internationale dans la lutte révolutionnaire armée va s’épanouir au milieu des années 1960 avec l’entrée en scène de deux intellectuels, véritables leaders idéologiques du FLQ, Pierre Vallières et Charles Gagnon. Tous deux vont prêcher de manière systématique pour une internationalisation de leur mouvement.
Selon Charles Gagnon : « Le mouvement de libération du Québec s’inscrit dans la pensée la plus mondiale qui puisse s’imaginer à l'heure actuelle. Il n’y a pas de distinction véritable entre le mouvement de libération de la Palestine, ou du Vietnam, ou des mouvements latino-américains, ou du mouvement des Black Panthers et le mouvement de libération québécois. »
Pierre Vallières, lui, écrit en 1966 un livre emblématique : Nègres blancs d’Amérique. Il s’agit d’un récit partiellement autobiographique dans lequel il raconte son enfance à ville Jacques-Cartier, faubourg très défavorisé de la Rive-Sud de Montréal (depuis annexé par Longueuil). Les Canadiens français y vivent dans la misère, au bas de l’échelle socio-économique, et Vallières voit leur salut dans une solidarité avec tous les opprimés.
« N’attendons pas d’un messie de solution magique à nos problèmes. [...] Ce mot d’ordre ne peut venir que de nous, les nègres blancs, rouges, noirs, jaunes… les crottés de la Terre! »
Si l’adéquation entre la condition des Canadiens français de l’époque et celle des Noirs américains peut faire débat un demi-siècle plus tard, elle est à l’époque reçue favorablement par plusieurs militants de la cause noire, rappelle Philippe Fils-Aimé, un Américain d’origine haïtienne qui s’était établi à Montréal en 1968 pour éviter l’enrôlement militaire et la guerre du Vietnam. Il s'était lié avec plusieurs membres du FLQ.
« Nègres blancs d'Amérique, pour moi, c'est une façon pour les Québécois de reconnaître que les Noirs sont maltraités. [Une façon de dire :] Nous aussi [Québécois francophones] sommes maltraités. Au-delà de la couleur, il y a une solidarité d'opprimés », raconte Philippe Fils-Aimé.
Pierre Vallières avait écrit son livre alors qu’il se trouvait en prison, à Brooklyn, entouré de détenus afro-américains.
Il est aussi intéressant de rappeler qu’avant leur arrestation aux États-Unis, Vallières et Gagnon s’étaient rendus à New York dans le but de développer des relations entre le FLQ et les militants les plus radicaux du Black Power, un mouvement d’expression du nationalisme et de l’identité noire en pleine effervescence. Le militant Stokely Carmichael, qui a popularisé l’idéologie du Black Power, a d'ailleurs écrit des messages de solidarité à Vallières et à Gagnon alors qu’ils se trouvaient en prison.
Les deux Québécois étaient d’avis que, partageant une condition d’opprimés, les Canadiens français et les Noirs des États-Unis devaient prendre la tête du combat révolutionnaire en Amérique du Nord.
« L’histoire aura voulu que les Afro-Américains et les Québécois soient à l’avant-garde de la lutte anti-impérialiste sur ce continent. »
Black Panthers et FLQ : l’union dans la radicalisation
Lorsqu’il s'est rendu à l’aéroport de Dorval, début 1970, pour accueillir une délégation du mouvement américain des Black Panthers, le chauffeur, un étudiant, fut surpris de s’entendre demander : « How are our friends from the FLQ? »
À l’image de la convergence révolutionnaire de cette époque, ces militants américains venaient alors au Québec participer à une Semaine Québec-Palestine, en compagnie de différents mouvements et militants de gauche. Parmi ceux-ci, Charles Gagnon, tout juste sorti de prison.
Il serait exagéré de décrire les relations entre les Black Panthers et le FLQ comme assidues, mais les échanges entre les deux groupes étaient tout de même fréquents.
Le Black Panthers Party, créé en 1966, prônait l’autodéfense armée des populations noires. Son action, parfois sociale, parfois violente, dans les ghettos des grandes villes américaines suscitait l’admiration de bien des groupes révolutionnaires étrangers.
La collaboration concrète entre le FLQ et l’organisation américaine serait née à Montréal, en 1968, lors de la Conférence hémisphérique. Cet événement réunissait des délégations des deux Amériques venues promouvoir la paix au Vietnam, le conflit de l’heure dans lequel les États-Unis s’étaient engagés pour stopper l’avancée du communisme en Asie.
Partageant la tribune avec Jacques Larue-Langlois, un proche du FLQ, le chef et fondateur des Black Panthers, Bobby Seale, dénonçait l’impérialisme, le capitalisme et le racisme. Le felquiste Mario Bachand a profité de l’événement pour discuter d’une aide mutuelle : des militants américains en fuite pourraient trouver où se cacher à Montréal et ceux du FLQ pourraient se réfugier à Harlem.
Cet échange allait servir plus tôt que prévu…
La grande escapade de Pierre Charette et d’Alain Allard
De fait, quelques mois plus tard, début 1969, deux membres du FLQ aux abois réussissaient in extremis à monter dans un train à la gare Centrale de Montréal pour se réfugier à New York alors que la police était sur leur trace. Il s’agissait de Pierre Charette et d’Alain Allard.
Une fois parvenus chez leurs contacts des Black Panthers à Harlem, ils ont vu que leur présence dans le ghetto noir new-yorkais posait problème, raconte Pierre Charette à Radio-Canada.
« Ils nous ont dit : "Vous ne pouvez pas rester dans Harlem, Blancs comme vous êtes, vous allez tout de suite être identifiés!” »
Les Black Panthers ont donc dirigé Charette et Allard vers un groupe de militants d’extrême gauche (blancs, ceux-là) qui allaient bientôt se faire connaître comme les Weathermen, le plus important réseau de poseurs de bombes des années 1970 aux États-Unis. Charette et Allard découvrent alors une commune plutôt libertaire…
« Moi, je n’avais jamais touché à un joint de ma vie. Eux autres, ils étaient gelés pratiquement du matin au soir. T'arrivais dans l'appartement, les filles te recevaient toutes nues. C’était l’orgie totale. Nous, prudes! D’une pudeur... incroyable! J’ai même eu la sensation d’être un peu attardé mental », raconte Pierre Charette.
Les Québécois sont par contre « en avance » sur les Américains en matière d’action violente… Leur séjour de quelques mois à New York a d'ailleurs eu une influence importante sur le leader du groupe, Sam Melville. Celui-ci est en effet inspiré par le FLQ et ses méthodes. Il connaît le climat qui règne à Montréal pour avoir participé à la Conférence hémisphérique l’année précédente.
Pierre Charette devient en quelque sorte son mentor révolutionnaire, passant le soir de longues heures à discuter avec lui de moyens d’action et de fabrication de bombes.
« Je leur avais dit : "La société, arrêtez de la condamner. Démolissez-la! Faites quelque chose!" Ils ont compris. »
De fait, Sam Melville est passé à l’action et a posé tant de bombes à New York en 1970 qu’on l'a surnommé The Mad Bomber.
À ce moment-là, Pierre Charette et Alain Allard étaient déjà loin...
Leurs camarades Weathermen leur avaient fourni faux papiers, argent et armes. Ils avaient pris un vol New York-Miami, se faisant passer pour des installateurs de piscines. En plein ciel, ils sont passés à l’action.
« J’ai dit à Alain : "On se lève!" On était armés. Lui avait son couteau et moi, mon revolver », explique Pierre Charette.
Une fois dans la cabine de pilotage, Charette donne l’ordre à l’équipage de mettre le cap vers La Havane, la capitale de la Révolution socialiste!
Les deux hommes ont passé les 10 années suivantes en exil à Cuba.
Che Guevara, héros mythique
La révolution cubaine avait été une puissante source d’inspiration pour beaucoup de jeunes. Aux côtés du leader Fidel Castro, la figure du « Che » – Ernesto Guevara – s’imposait comme un modèle.
Guevara se faisait l’apôtre d’une révolution socialiste mondiale. Après la « libération » de Cuba, il a combattu au Congo, puis en Bolivie, où il a trouvé la mort.
« C’était un héros. Un héros mythique », confiait l’ex-felquiste Jacques Lanctôt à notre collègue Guy Gendron en 2010.
« Il avait affronté la mort. On se disait comme disait le Che : "Bienvenido la muerte donde sea", pourvu qu'elle nous trouve en train de combattre contre les injustices. »
Guevara prônait la multiplication des fronts révolutionnaires partout sur la planète, affirmant qu'il fallait créer « d’autres Cuba » et « d’autres Vietnam ».
« Pour moi, ça a eu une grosse influence », nous dit Pierre-Paul Geoffroy, leader du plus important réseau du FLQ en 1969. À son arrestation, la police a trouvé sur son mur une affiche du Che.
La mouvance Guevara avait entraîné la création de groupes terroristes dans de nombreux pays : Brigades rouges en Italie, Action directe en France, Bande Baader-Meinhoff en Allemagne, Tupamaros en Uruguay…
« Les Tupamaros, c'était un peu notre modèle, dit Jacques Lanctôt. C'étaient des gens qui faisaient des actions assez spectaculaires, sans trop de bavures. »
D’ailleurs, en octobre 1970, l’enlèvement du diplomate britannique James Richard Cross par la cellule dirigée par Lanctôt était, sur le plan stratégique, un copier-coller des actions des Tupamaros survenues quelques mois plus tôt : enlèvements de diplomates étrangers, suivis d'une demande de la lecture publique de leur manifeste et de la libération de leurs camarades emprisonnés.
Les membres du FLQ étaient aussi nombreux à posséder un exemplaire du Manuel de guérillero urbain écrit en 1969 par un révolutionnaire brésilien, Carlos Marighella.
Incidemment, les écrits de chacun de ces groupes voyageaient passablement d’un continent à l'autre à travers les maisons d’édition et les librairies d’extrême gauche. En 1969, trois ans après sa publication, Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières avait été édité en France et traduit en allemand, en espagnol, en anglais et en italien!
Selim et Salem au Moyen-Orient
À l’été 1970, deux mois avant que n'éclate la crise d’Octobre, le journaliste Pierre Nadeau publie dans le magazine Perspectives un texte qui a l’effet d’une bombe. Le texte s’intitule « Deux terroristes montréalais à l’entraînement chez les commandos palestiniens »!
Lors d’un tournage sur la résistance palestinienne destiné au réseau anglais de Radio-Canada, Nadeau a en effet rencontré en Jordanie deux membres du FLQ qui suivent un entraînement militaire avec des fedayins, membres de l’organisation marxiste du Front démocratique et populaire de libération de la Palestine.
On ne les connaît alors que sous leurs noms de guerre : Selim et Salem. (Non sans ironie, compte tenu du contexte, Salem révèle que son nom veut dire « paix » en arabe!)
L’autre, surnommé Selim, annonce que le FLQ va changer son mode d'action. Après les bombes, ils ont l’intention de passer aux « assassinats sélectifs » de « certains leaders au Québec ».
Il s’agit en effet d’un changement de stratégie notable. Après des années marquées par des dynamitages de biens matériels – boîtes aux lettres, statues ou édifices –, le FLQ passe au ciblage d’individus que l’on entend désormais kidnapper, comme on le verra en octobre, et possiblement tuer.
L’identité de Selim et de Salem restera longtemps énigmatique. Aucun des membres de l’équipe de tournage de Pierre Nadeau n’a pu voir leurs visages. On découvrira par la suite qu’il s’agissait de deux membres du réseau de Pierre-Paul Geoffroy : Michel Lambert et Normand Roy.
Notre équipe les a retrouvés tous les deux. Michel Lambert a refusé de nous parler. Normand Roy nous a ouvert sa porte tout en refusant de donner une entrevue à la caméra...
Il dit ne rien regretter. Les membres du FLQ étaient « des patriotes ».
« [Les felquistes] faisaient des choses qui devaient être faites. Ils l'ont fait avec dévotion. Quasiment dévotion… »
Cette année 1970 marquait aussi l’éveil du FLQ à la cause palestinienne. Une cellule du FLQ a même tenté à l'époque d’enlever le consul d'Israël à Montréal. Ce coup d’éclat, avorté à cause d’une intervention policière, devait coïncider avec la tenue de la Semaine Québec-Palestine de Montréal, dont certains membres de l’organisation étaient proches du FLQ et de groupes palestiniens au Moyen-Orient.
En plus de l'entraînement qu’il a reçu en Jordanie, Normand Roy nous révèle avoir aussi combattu contre Israël avec les Palestiniens, sans donner de détails, si ce n’est qu’il avait écrit à l'intérieur de son casque : « Je suis Québécois! », avec une fleur de lys et les lettres « FLQ ».
À cette époque, les militants d’un peu partout dans le monde se donnaient rendez-vous dans les camps d’entraînement palestiniens. Il y avait autour des deux Québécois des Allemands, des Turcs et des sandinistes du Nicaragua. L’atmosphère évoquait, aux yeux de Roy, celle des Brigades internationales, ce grand mouvement de volontaires de nombreux pays qui s’en étaient allés combattre le fascisme pendant la guerre civile espagnole, en 1936. « J’aurais aimé que ça puisse se refaire… », laisse-t-il tomber, avouant avoir trouvé cette idée « romantique ».
Normand Roy (Selim) et Michel Lambert (Salem) avaient fui le Québec en 1969. Avec d’autres membres du FLQ en exil, ils ont créé en Algérie une « Délégation extérieure ». Alger était alors un havre pour des révolutionnaires en fuite d’un peu partout dans le monde. Cette petite antenne felquiste recevait même un financement du Front de libération nationale, le parti au pouvoir en Algérie. « C’était beaucoup d'argent », dit Normand Roy, sans préciser combien. Les membres du groupe d’Alger semblent en tout cas avoir eu les moyens de se déplacer assez librement, voyageant en Jordanie, en Belgique ou en France...
Règlement de compte à Paris
Ce groupe d’Alger s’est retrouvé associé à un règlement de compte interne du FLQ, survenu en 1971, à Saint-Ouen, en banlieue de Paris. Le felquiste des premières heures, Mario Bachand, y a été retrouvé assassiné dans son appartement.
La mort de Mario Bachand a fait depuis l’objet de nombreuses théories. L’une d’elles veut que derrière ses assassins se soit cachée la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Elle peut aussi être le résultat d’une lutte de pouvoir dans le FLQ. Un ex-felquiste à qui nous avons parlé utilise d’ailleurs toujours le terme « exécution » pour qualifier l’événement.
En 1997, Radio-Canada révélait que la police française considérait que ce meurtre avait été l’oeuvre du groupe du FLQ à Alger. Un texte émanant de ce groupe, rédigé un mois avant le meurtre, parle de la nécessité d’une « épuration ».
Normand Roy, alias Selim, faisait partie de ce groupe d’Alger.
Je lui demande carrément s’il a participé à l’exécution de Bachand. « Je ne peux pas répondre à ces questions. »
Et lorsque je lui dis que des gens l'associent à un règlement de compte au FLQ, il affirme n’avoir été qu'un « soldat » qui a « fait ce qui devait être fait ».
« L’histoire jugera », conclut-il.
L’histoire d’un échec
L’histoire retient surtout que la mort du ministre québécois Pierre Laporte aux mains du FLQ, en octobre 1970, a marqué le début de la fin pour le FLQ. Cette mort a choqué la population au point où les quelques sympathies qu’avaient pu avoir des Québécois pour l’action du groupe se sont rapidement évanouies.
Après 1970, le FLQ est infiltré par la police et ses membres les plus notoires sont en prison ou en exil. Malgré quelques soubresauts, il ne reste rien du FLQ après 1972.
Les idéologues de la révolution mondiale, Pierre Vallières et Charles Gagnon, ont tourné le dos au FLQ, Vallières choisissant de militer au Parti québécois et Gagnon renonçant même à l’indépendance du Québec pour former En lutte!, un groupe marxiste-léniniste.
La désillusion des exilés est aussi présente. Pierre Charette, de retour de 10 années à Cuba, a écrit des pages dures sur le régime et parle du pays comme d’un « immense camp de concentration ». Normand Roy n’est pas plus tendre pour les révolutionnaires d’Algérie qui ont, selon lui, « massacré plus d’Algériens que de Français ».
À leur sortie de prison ou de retour d’exil, les anciens felquistes se feront généralement discrets et, au cours de notre enquête, nous avons constaté que plusieurs d’entre eux avaient coupé tout contact avec leurs anciens camarades.
« Quand on sort de prison, dit Pierre-Paul Geoffroy, il faut retrouver nos moyens, se libérer vraiment, essayer d’oublier la prison. Après ça, on va chacun de notre côté… »
Pierre Charette souligne un autre facteur qui a incité les anciens à tourner la page : la défaite.
« L’échec, ça sépare les gens. »
Le reportage de Luc Chartrand, Benoit Giasson et Alain Abel sera diffusé dans le cadre de l'émission Enquête à ICI Télé le jeudi 1er octobre à 21 h et en reprise le samedi à 13 h. À ICI RDI, ce sera le dimanche à 18 h 30.