1. Accueil
  2. Économie
  3. Relations de travail

Travailleurs étrangers : la CNESST délivre 76 constats d’infraction à BRP

Installations de BRP à Valcourt, en Estrie.

La CNESST reproche à BRP d’avoir versé des salaires en deçà du minimum légal en vigueur au Québec. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

Thomas Deshaies, journaliste à Radio-Canada.
Thomas Deshaies

La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) reproche à Bombardier produits récréatifs (BRP) d’avoir versé des salaires en deçà du minimum légal en vigueur au Québec. Radio-Canada a appris que 76 constats d’infraction ont été remis en août à l’entreprise de Valcourt. 

Radio-Canada a obtenu par la Loi sur l’accès aux documents 76 constats datés du 28 août 2023 pour des infractions qui auraient eu lieu de décembre 2021 à novembre 2022. 

Selon la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, BRP n’aurait en outre pas majoré de 50 % le taux horaire pour des heures supplémentaires et aurait omis de remettre un bulletin de paie en même temps que le salaire.

Liste des 76 constats d’infraction

  • 25 constats pour non-respect du salaire minimum légal
  • 25 constats pour ne pas avoir majoré de 50 % le salaire pour les heures supplémentaires
  • 25 constats pour ne pas avoir remis de bulletin de paie
  • 1 constat pour ne pas avoir tenu de registre des travailleurs

Source : Documents transmis par la CNESST dans le cadre d’une demande d’accès

La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail reproche également à la multinationale de ne pas avoir tenu un registre de tous ses salariés pour une période d’un an, alors que la loi oblige les employeurs à posséder un registre avec des informations comme le nombre d’heures travaillées par période de paie pour tous les salariés.

Un constat d'infraction qui indique qu'un employé n'a pas reçu le salaire minimum légal.

Selon l’enquête de la CNESST, BRP aurait notamment versé des salaires sous le minimum légal en vigueur au Québec.

Photo : Radio-Canada

Le nombre de travailleurs étrangers temporaires concernés par les avis d’infraction est inconnu, puisque les noms dans les documents transmis à Radio-Canada ont été caviardés. La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail a refusé notre demande d’entrevue, le dossier étant toujours en cours.

BRP conteste 

Refusant elle aussi la demande d’entrevue de Radio-Canada, BRP se dit en désaccord avec les constats et demeure convaincue d’avoir payé de façon juste et équitable ses employés originaires du Mexique.

Nous comptons les contester si nous n’arrivons pas à une solution constructive avec la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, avec qui nous sommes toujours en discussion, a réagi l’entreprise par courriel.

BRP juge n’avoir rien à se reprocher au sujet du traitement offert à ses travailleurs mexicains. Nous les avons traités avec respect et dignité, comme nous le faisons pour nos 23 000 employés dans le monde , peut-on lire dans sa réponse écrite.

En février dernier, Radio-Canada révélait que des travailleurs mexicains des usines de BRP au Mexique venus prêter main-forte à l’usine de Valcourt recevaient un salaire beaucoup moins élevé que leurs collègues québécois. Selon des talons de paie fournis par trois travailleurs, le salaire horaire variait de 5,50 $ à 7,25 $. 

L’entreprise déclarait alors retrancher environ 60 % du salaire des travailleurs mexicains pour couvrir les frais de prise en charge, dont l’hébergement. Une question d’équité pour les travailleurs québécois qui assument leurs frais, justifiait le directeur des ressources humaines de l’usine de Valcourt.

Un message fort aux entreprises  

Selon les données fournies par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, BRP a reçu à elle seule cinq fois le total des constats remis en 2022 à des employeurs embauchant des travailleurs étrangers temporaires. 

Nombre de constats remis par la CNESST à des employeurs embauchant des travailleurs étrangers temporaires

  • 2022 : 14
  • 2023 (au 31 août) : 90

Source : CNESST

Le professeur de droit à l’Université de Sherbrooke Finn Makela précise que la remise d’infractions de nature pénale est distincte du processus d’indemnisation. Selon lui, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail a donc choisi cette voie pour passer un message fort aux entreprises qui bénéficient du programme des travailleurs étrangers temporaires.

Ça va envoyer le message aux autres employeurs qu'eux aussi peuvent être poursuivis.
Une citation de Finn Makela, professeur de droit, Université de Sherbrooke

M. Makela estime tout à fait probable que la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail délivre de nouveaux constats si BRP refuse de se conformer à la loi. Chaque jour où on ne paie pas le salaire minimum est une nouvelle infraction, explique-t-il. Théoriquement, l’employeur qui ne se conforme pas à la loi après une première condamnation pourrait recevoir une pluie de constats d’infraction.

BRP s’expose à des amendes de 600 $ à 1200 $ par infraction, puis de 6000 $ par récidive, selon Finn Makela.

Des organismes applaudissent

Ça prouve qu’il y avait quelque chose à revendiquer, puis que des droits ont été bafoués, s’exclame la chargée de projet à Illusion-Emploi de l’Estrie, Nellie Quane-Arsenault. Son organisme s’était inquiété publiquement de la situation à BRP.

Nellie Quane-Arsenault dans un bureau.

Nellie Quane-Arsenault se demande si les amendes auront réellement un effet dissuasif.

Photo : Radio-Canada / Thomas Deshaies

L’organisme se demande toutefois si les amendes auront réellement un effet dissuasif. Faut que les amendes soient plus importantes pour éviter que ça se reproduise ailleurs, croit Nellie Quane-Arsenault.

Le directeur général du Réseau d'aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ), Michel Pilon, avait aussi tiré la sonnette d’alarme au sujet de BRP. Il compte suivre la situation de près. On ne peut pas avoir des conditions de travail moins avantageuses que ce que les normes du travail indiquent, martèle-t-il. En ce sens, je pense que la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail a joué son rôle.

Michel Pilon.

Michel Pilon est le directeur général du Réseau d'aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles.

Photo : Radio-Canada / Thomas Deshaies

Je suis très heureux de voir que les travailleurs vont être traités justement face aux autres travailleurs ici, au Québec.
Une citation de Michel Pilon, directeur général, RATTMAQ

En février dernier, BRP avait déclaré à Radio-Canada avoir employé environ 160 travailleurs mexicains à son usine de Valcourt en 2022. 

Thomas Deshaies, journaliste à Radio-Canada.
Thomas Deshaies

À la une