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Mât totémique Nisga’a : « C’est comme ramener à la maison un membre de sa famille »

Le chef Earl Stephens (Sim’oogit Ni’isjoohl en langue Nisga'a).

La nation Nisga’a se prépare au retour à la maison de son mât totémique.

Photo : Nation Nisga'a

Francis Plourde est journaliste à Vancouver.
Francis Plourde

Dans le village de Laxgalts’ap, en plein cœur de la Première Nation Nisga’a, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique, des centaines d’invités célébreront vendredi le retour d’un mât commémoratif, près de 100 ans après qu’il a été volé et vendu au Musée national d’Écosse.

Je peine encore à y croire, s’exclame Amy Parent, ou Noxs Ts’aawit en langue nisga’a. Personne n’avait jamais réussi à ramener un mât totémique en provenance du Royaume-Uni. C’est une première pour nous!

Le rapatriement du totem Nisga’a, conservé au Musée national d’Écosse, est le fruit de quatre ans d’efforts de la part de la chercheuse, qui est titulaire de la chaire de recherche du Canada en gouvernance autochtone et en éducation à l’Université Simon Fraser, à Vancouver.

C'est comme ramener à la maison un membre de sa famille après une absence de près de 100 ans.
Une citation de Noxs Ts’aawit (Amy Parent)

Originaire de la vallée de Nass, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique, Amy Parent est la petite-fille de Joanna Moody, la matriarche qui avait commandé le mât totémique. C’est en l’honneur de cette tradition matriarcale que la chercheuse n’hésite pas à parler de ramatriement.

Le totem dans une salle devant un mur avec d'autres artéfacts.

Le totem était exposé au Musée national d'Écosse à Edinburgh depuis 1930.

Photo : National Museums Scotland

Le mât avait été érigé en 1860 en l’honneur d’un aïeul, Ts’aawit. Il décrit l'histoire de ce guerrier qui devait devenir le chef de sa communauté avant sa mort, survenue durant un conflit avec une nation voisine.

En 1929, l’ethnologue canadien-français Marius Barbeau s’en est emparé sans le consentement des Nisga’a pour le vendre au Musée national d’Écosse, où il était exposé depuis. Pour Amy Parent, le retour du mât, qu'elle considère comme une entité spirituelle, s'inscrivait dans un processus de réconciliation.

Il s’agit de corriger les erreurs du passé et de s’assurer que justice est faite pour nos ancêtres, dit-elle.

Un homme parle à deux soldats.

Le chef Earl Stephens (Sim’oogit Ni’isjoohl, en langue nisga'a) parle à des membres de Forces armées canadiennes qui ont aidé à coordonner le retour du mât totémique jusqu'à Terrace, en Colombie-Britannique, le 24 septembre 2023. (Photo offerte par la Maison de Ni'isjoohl et du Gouvernement Nisg̱a’a Lisims)

Photo : Gracieuseté : Matelot de 1re classe Erin Roberts

Lors d’une visite en Écosse, en août 2022, une délégation, dont faisaient partie Amy Parent et Earl Stevens, a plaidé sa cause et expliqué l’importance du mât commémoratif pour la famille Ni’isjouhl.

C'était un moment émouvant pour nous, et on pouvait sentir un souffle de soulagement de la part du totem lorsque nous sommes arrivés, raconte-t-elle. C’était la première fois que je pouvais sentir un mât totémique et j’avais l’impression que la salle bougeait avec nous.

À la suite de cette visite, le Musée national d’Écosse et le gouvernement écossais ont acquiescé à la demande de la délégation.

Une femme regarde des papiers.

La présidente élue de la nation Nisga'a, Eva Clayton.

Photo : Radio-Canada / Emilio Avales

La présidente élue de la nation Nisga’a, Eva Clayton, affirme que la décision du Musée national d’Écosse est sans précédent. D’habitude, ça prend des années pour négocier le retour d’artéfacts, dit-elle. Mais elle a fait ce qu’elle devait faire et je lui en suis reconnaissante.

Une délégation écossaise est d’ailleurs sur place pour assister à l’arrivée du totem en territoire nisga’a.

C'est un processus qui n'a duré qu'un an, mais nous avons appris énormément de choses en cours de route, explique Chanté St Clair Inglis, directrice du service des collections au Musée national d’Écosse. Le ramatriement d'objets est une façon pour nous de faire face au colonialisme.

  • 1 de 7 : Des employés du Musée national d'Écosse à Edinburgh préparent le mât commémoratif de la nation Nisga'a en vue de son retour à la maison. (Photo courtoisie de la Maison de Ni’isjoohl et du Gouvernement Nisg̱a’a Lisims)., Photo : Olga Tjukova
  • 2 de 7 : Des employés du Musée national d'Écosse à Edinburgh préparent le mât totémique de la nation Nisga'a pour son retour à la maison. (Photo Courtoisie de la maison de Ni'isjoohl et du Gouvernement Nisga'a Lisims), Photo : Olga Tjukova
  • 3 de 7 : Laura Nesbitt (membre de la nation métis et associée au centre d'apprentissage autochtone à l'Agence des services frontaliers du Canada) et Loretta Landmesser (membre de la nation Homalco et directrice du Secrétariat des affaires autochtones à l'Agence des services frontaliers du Canada), accueillent le mât avec du cèdre et un drapeau de la nation Nisga'a à Trenton, en Ontario. (Photo gracieuseté de la nation Ni’isjoohl et du Gouvernement Nisg̱a’a Lisims), Photo : Caporal-chef Ryan Moulton
  • 4 de 7 : Le mât totémique s'apprête à monter à bord d'un avion Hercules des Forces armées canadiennes le 23 septembre 2023 à Trenton, en Ontario. (Photo courtoisie de la Maison de Ni'isjoohl et du Gouvernement Nisga'a Lisims), Photo : sailor first class erin roberts / Matelot de 1re classe Erin Roberts
  • 5 de 7 : Le totem commémoratif est transporté par les Forces armées canadiennes avec un avion Hercules entre Trenton en Ontario et Victoria en Colombie-Britannique le 23 septembre 2023., Photo : Matelot de 1re classe Erin Roberts
  • 6 de 7 : Le chef Earl Stephens (Sim’oogit Ni’isjoohl en langue Nisga'a) parle à des membres de Forces armées canadiennes qui ont aidé à coordonner le retour du mât totémique jusqu'à Terrace, en Colombie-Britannique, le 24 septembre 2023. (Photo courtoisie de la Maison de Ni'isjoohl et du Gouvernement Nisg̱a’a Lisims), Photo : Matelot de 1re classe Erin Roberts
  • 7 de 7 : Au musée Nisga'a, des travailleurs se préparent le 27 septembre 2023 en vue de l'arrivée du mât totémique., Photo : Radio-Canada / Francis Plourde

Au musée Nisga’a, dans le village de Laxgalts’ap, une équipe s’affaire depuis plusieurs jours à faire de la place pour le nouvel arrivant, un mât de 11 mètres de haut et d’environ 1 tonne. Pour la curatrice du musée, Theresa Schober, c’est la fin d’un long marathon.

À partir du moment où le Musée national d’Écosse et le gouvernement écossais ont autorisé le rapatriement du mât commémoratif, nous avions environ 10 mois, ce qui représente un délai extrêmement serré pour déplacer un bien culturel aussi important, dit-elle.

Pour effectuer le voyage de près de 7000 kilomètres, Theresa Schober a rassemblé toute une équipe, avec des participants de Musée d’anthropologie de l’Université de la Colombie-Britannique, des ingénieurs, des spécialistes en déplacement d’objets lourds et importants sur le plan culturel, ainsi que des Forces armées canadiennes.

Le nombre de personnes associées à cette aventure d’Édimbourg à la vallée de Nass dépasse la centaine, dit-elle. Tout au long, nous avons fait participer la famille à la prise de décisions.

Des travailleurs avec des salopettes orange montent des échafaudages.

Des employés se préparent en vue de la cérémonie de vendredi au musée Nisga'a.

Photo : Radio-Canada / Francis Plourde

Le musée Nisga’a a été fondé en 2011, dans la foulée du traité ratifié par les Nisga’a en 2000 avec la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral. Il s’agissait à l’époque du premier traité territorial dans l’histoire moderne de la Colombie-Britannique.

Une des clauses du traité stipulait le rapatriement d’objets d'une grande importance culturelle exposés dans des musées canadiens à Ottawa et à Victoria.

Depuis l’inauguration du Musée, des centaines d’objets importants sur le plan culturel sont revenus en territoire nisga’a, notamment des coiffes, des masques, des objets d’art ainsi que des objets de la vie courante.

Un exemple pour d’autres

Il s’agit du deuxième totem rapatrié dans le nord de la province au cours de la dernière année.

En février, le Musée royal de la Colombie-Britannique a restitué à la Première Nation Nuxalk (nouvelle fenêtre) un mât totémique qui lui avait été dérobé il y a plus d’un siècle à Bella Coola.

Dans les années 1990, la nation Nisga’a avait déjà tenté d’obtenir le rapatriement du mât totémique exposé en Écosse, mais les autorités muséales s’y étaient opposées, invoquant la fragilité de l'œuvre.

Or, le rapatriement d’un totem de la nation Haisla exposé en Suède, en 2006, a démontré qu’une telle opération était possible.

Deux membres de la Première Nation Nisga'a près du totem de la maison Ni'isjoohl au Musée national d'Écosse.

Sim'oogit Ni'isjoohl (Earl Stephens) [à gauche] et Sigidimnak’ Nox Ts'aawit (Amy Parent) [à droite] lors de leur visite à Édimbourg en août 2022.

Photo : National Museums Scotland

Selon Amy Parent, la société a beaucoup évolué ces dernières années en matière de restitution de biens importants sur le plan culturel.

Notre conscience morale a évolué et j’en suis heureuse, dit-elle. Cela demande énormément de travail, cela prend des lois, cela demande aussi beaucoup de travail sur le plan émotionnel. Il a fallu traverser un génocide pour rendre ces changements possibles.

C’est pourquoi Amy Parent espère que le ramatriement du mât totémique de la nation Nisga’a ouvrira d’autres portes et incitera d’autres communautés autochtones à exiger le retour de leurs biens culturels.

J’espère que les peuples autochtones réaliseront qu'il est possible de réaliser l’impossible, mais aussi que les institutions coloniales y verront un modèle.


Francis Plourde est journaliste à Vancouver.
Francis Plourde

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