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« Mohawks? C’est pas une coupe de cheveux, ça? » : une éducation sans préjugé mais limitée
Depuis 2020, Québec a répété son engagement à améliorer le traitement des questions autochtones à l'école, convenant que la réconciliation passe par l'enseignement de la vérité. Dans le cadre de la Journée de la vérité et de la réconciliation, Espaces autochtones est allé voir comment les choses se déroulent dans les salles de classe.

Scène emblématique de la crise d'Oka : le face-à-face du soldat Patrick Cloutier et du warrior anishinabe Brad Laroque, le 1er septembre 1990.
Photo : La Presse canadienne / Shaney Komulainen
Matin typique à la Cité étudiante de Roberval. La cloche sonne, les élèves se rendent en discutant vers leur classe. Dans l'un de ces locaux, la discussion s'anime autour de l'enseignement des questions autochtones. Située à quelques kilomètres seulement de la communauté innue de Mashteuiatsh, cette école secondaire du Lac-Saint-Jean a tout pour offrir un point de vue intéressant sur la question.
Espaces autochtones a rencontré deux groupes d'élèves de quatrième secondaire pour comprendre l'état de leurs connaissances sur les questions autochtones
Le premier se prête au jeu timidement, le second avec un peu plus d'enthousiasme. Au fil de la discussion, les élèves répondent du mieux qu'ils peuvent, avec bonne volonté. Ensemble, ils parviennent à identifier quatre Premières Nations : les Innus, les Atikamekw, les Algonquins (Anishinaabeg) et les Cris.
Abénakis
sonne une cloche. Mi'kmaw? Ah, oui, on en a déjà parlé
. Mohawks? C'est pas une coupe de cheveux, ça?

Un des deux groupes de Marco Dello Sbarba, à la Cité étudiante de Roberval, auxquels les questions ont été posées.
Photo : Radio-Canada / Jérôme Gill-Couture
Personne ne se souvient d'avoir entendu parler de la crise d'Oka, dont la seule mention dans les 75 pages du programme du cours d'histoire du Québec et du Canada (nouvelle fenêtre) en parle comme d'un conflit à Oka entre les Mohawks et les autorités fédérales et provinciales
.
Plusieurs Atikamekw résident à Roberval et fréquentent la Cité étudiante. Pourtant, seulement environ la moitié des élèves présents au cours ont entendu parler du décès de Joyce Echaquan (nouvelle fenêtre) à l'hôpital de Joliette, il y a trois ans. Ils apprennent et savent cependant qu'il existe beaucoup de problèmes sociaux dans les communautés, sombre héritage du colonialisme.
Cultures folkloriques et problèmes sociaux
Valérie Pellerin donne le cours d'Éthique et culture religieuse ainsi que le nouveau cours de Culture et citoyenneté québécoise (CCQ) dans une école privée de la Rive-Sud de Montréal. En entrevue, elle ne s'est montrée aucunement étonnée des réponses des élèves de Roberval. Ses propres élèves auraient sans doute donné des réponses semblables.
En général, le programme du ministère vise un enseignement plus axé sur le fait d'acquérir des compétences que des connaissances. On compte sur le fait que de permettre aux jeunes d'avoir une réflexion critique sur les inégalités sociales leur permet d'avoir une conscience sociale suffisante face aux questions autochtones et autres enjeux sociaux.
Si cette approche possède des avantages évidents, elle a aussi ses limites.
Pour qu'un apprentissage s'ancre efficacement chez les élèves, il faut que celui-ci soit signifiant. Puisque les Autochtones sont abordés tout au long du parcours scolaire, mais que l'on n'aborde pas vraiment leur place concrète dans la société d'aujourd'hui, les jeunes se demandent souvent pourquoi on en parle. Ils trouvent ça redondant.

Valérie Pellerin donne le cours d'Éthique et culture religieuse depuis six ans. Elle poursuit actuellement une maîtrise, dont le sujet gravite autour de la décolonisation de sa posture d'enseignante.
Photo : Gracieuseté : Valérie Pellerin
Observations qui semblent se vérifier auprès des élèves de Roberval. Moi, j'aimerais en apprendre plus sur la langue et la culture atikamekw. Il y en a plusieurs à l'école, mais je ne sais rien d'eux, à part le mal qui leur a été fait dans les pensionnats alors qu'eux en savent plein sur nous!
souligne une élève.
On apprend comment les Autochtones étaient dans le temps, mais pas maintenant. Aujourd'hui, on a tout le temps l'idée que ça va mal. Si on inclut l'histoire des nations autochtones au Québec, on ne connaît même pas un cinquième de notre histoire.
Au fil des échanges, un paradoxe se dégage : les élèves, bien que fatigués de parler des Autochtones, trouvent qu'ils n'en savent pas assez.
Selon Valérie Pellerin, le manque de proximité envers le sujet et l'impression de redondance dans le système scolaire actuel ne touchent pas que les élèves, mais également bien des enseignants.
Il faut déconstruire, selon l'enseignante, un réflexe unilatéral [...] conséquence de notre rapport au savoir
qui place les Autochtones comme un sujet d'étude. Il faut plutôt les définir comme faisant partie intégrante de la société.
Pistes de solution
Le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville.
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
Dans une réponse écrite à une demande d'entrevue, le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, a réitéré l'engagement de son prédécesseur, Jean-François Roberge, à travailler en partenariat pour améliorer les relations avec les communautés autochtones, pour aujourd'hui et pour les générations futures
.
Une table nationale sur la réussite éducative des élèves autochtones, à laquelle le ministère de l'Éducation participe, a été mise sur pied. Cette table a également pour mandat de participer à l'élaboration de nouveaux cours ainsi qu'à la révision des manuels scolaires.
Le programme du nouveau cours sur la Culture et la citoyenneté québécoise [implanté progressivement à partir de cette année, NDLR], est le premier à avoir été élaboré en continu avec les partenaires autochtones en éducation
, a indiqué M. Drainville.
Parmi ces partenaires autochtones, on compte le Conseil en éducation des Premières Nations (CEPN). Pour le nouveau cours de Culture et citoyenneté québécoise, nous sommes venus préciser certains thèmes,
qui nécessitaient une plus grande expertise, explique la directrice des services éducatifs au CEPN, Annie Gros-Louis. Pour ce qui est de la révision des manuels scolaires, elle ne s'effectue que ponctuellement pour l'instant.

Les manuels des programmes du ministère de l'Éducation présentent toujours des imprécisions, telles que cette définition d'un territoire autochtone dans ce manuel de géographie de 2e secondaire, qui est fausse. Un territoire autochtone n'a pas à être reconnu par le gouvernement d'un pays. Cette carte laisse croire que seules les nations ayant signé un traité moderne ont un territoire.
Photo : Radio-Canada / Éditions CEC
Le programme du nouveau cours (nouvelle fenêtre) montre effectivement l'adoption d'une nouvelle approche qui tient davantage compte de la manière autochtone de voir les choses.
Il indique aux enseignants que toutes les classes au Québec sont susceptibles d'accueillir des élèves autochtones et que ces jeunes ne souhaitent pas nécessairement s'exprimer à ce sujet.
Le programme recommande même la venue d'une personne autochtone dans la classe.
CCQ et ses limites
Le cours représente une avancée intéressante, selon Valérie Pellerin, mais il ne peut pas porter à lui seul le poids du rapprochement avec les Autochtones en éducation.
CCQ aborde certaines perspectives autochtones, mais n'est pas un cours qui est centré sur celles-ci. Et on revient quand même avec quelque chose qui apprend au jeune à avoir une pensée critique sur les questions autochtones sans avoir l'occasion de s'exercer avec du concret
, explique-t-elle.
Il reste également à voir comment les enseignants seront outillés pour livrer la matière. Leur regard, héritage de leur éducation, doit lui aussi être décolonisé afin d'aborder les perspectives autochtones.
Des cours de mises à niveau ont été offerts, mais rien n'est obligatoire. Dans les faits, un enseignant pourrait avoir appris à l'université le programme de morale [qui existait avant ECR, jusqu'en 2008, NDLR] et jamais ne s'être mis à jour. Imaginez le décalage
, explique-t-elle.
Si ces mises à niveau ne sont pas obligatoires et rémunérées, avec la charge de travail qui est déjà trop élevée, la plupart des enseignants ne vont pas s'y inscrire. Ne pas prendre ça en compte montre à quel point l'engagement réel du gouvernement est limité.
Pratique de réflexion critique

Des aînées de Mashteuiatsh ont bloqué l'accès à une route forestière. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada
De retour à Roberval, comme la discussion s'est déroulée dans un cours d'éthique, il allait de soi d'aborder des questions plus complexes qui sortent des simples connaissances générales.
La plupart des jeunes étaient surpris d'apprendre qu'à l'exception des Cris et des Naskapis, les droits des Premières Nations du Québec sur leurs territoires ancestraux ne sont pas clairement définis. Il n'y a pas de traité, de lois ou de conquête; seulement une reconnaissance un peu abstraite depuis 1982 par l'article 35 de la Constitution.
Moi, je pensais qu'ils pouvaient dire non à une forestière ou une minière qui souhaitait exploiter leur territoire. Il me semble que ce serait normal, c'est leur territoire et ils sont là depuis des millénaires
, fait valoir une élève. Le sentiment semble partagé pour la majorité de la classe.
La question est éminemment complexe (nouvelle fenêtre). Même si elles n'ont pas de droit de veto, les Premières Nations affirment de plus en plus leur pouvoir sur leurs territoires, comme en témoigne le recul récent d'une minière (nouvelle fenêtre) à la suite des demandes du conseil de bande de Uashat mak Mani-utenam.
Les besoins en ressources – minières, forestières ou énergétiques – ne diminuent pas cependant, et une part importante est située sur les territoires ancestraux des communautés autochtones. Que faire alors?
On doit trouver le moyen de s'entendre avec eux, on ne peut pas prendre possession d'un territoire ou des ressources alors qu'ils sont là depuis bien plus longtemps que nous. Et il faut prendre ça en compte aussi dans nos accords
, analyse un élève.
C'est créer des rapports sains avec les Autochtones, travailler ensemble en les respectant. C'est ça, la réconciliation
, s'entendent les élèves.