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Inquiétudes au sein de la communauté sikhe du Canada

Le temple sikh de La Salle à Montréal est aussi un centre communautaire.
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois

Depuis l’assassinat de l’un de leurs leaders en juin dernier à Surrey, en Colombie-Britannique, des sikhs d'un peu partout au pays craignent pour leur sécurité et pour celle de leur famille, ici même au Canada. Ils appuient le projet d’un État sikh indépendant en Inde, mais ils n’osent plus le dire publiquement, de peur d’être étiquetés comme terroristes et d’être ciblés par les autorités indiennes.
Le Gurdwara Nanak Darbar, le temple sikh de LaSalle, à Montréal, affiche clairement son appui à la création d’un État sikh au Pendjab, la région du nord de l’Inde où les sikhs sont majoritairement concentrés.
Le nom de ce pays rêvé : le Khalistan. On le voit sur les drapeaux et les affiches un peu partout dans ce lieu de prière, qui est aussi un centre communautaire.
À l’entrée du temple, nous rencontrons Angad Singh, membre de la section québécoise de l’Organisation mondiale des sikhs du Canada. Il nous explique que le mot sikh
veut dire apprenant ou apprenti.
Notre enseignant est notre gourou, nous sommes en apprentissage toute notre vie. Le voyage spirituel d’un sikh, c’est la transformation d’une perspective égoïste, individuelle, vers une reconnaissance de l’unité, de la totalité. Nous sommes un tout. Une des principales valeurs des sikhs, c’est l’aide aux autres
, affirme Angad Singh.
Ce principe est incarné dans la grande cuisine du temple. Des femmes habillées de robes traditionnelles colorées préparent trois repas végétariens par jour, sept jours par semaine.
Dans chaque temple sikh, il y a une cuisine et tout le monde a le droit de venir, peu importe sa religion. Tout le monde mange assis sur des tapis, par terre. Tout le monde est égal, à terre, c’est une forme d’humilité.

Angad Singh
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
Pendant que les enfants courent en riant entre les tapis et les plateaux de nourriture, Angad explique l’histoire des tensions entre sikhs et hindous en Inde, son pays d’origine.
Au 19e siècle, les sikhs ont eu un grand royaume pendant des décennies dans le nord de l’Inde, qui s’étendait de la Chine à l’Afghanistan. Puis les Britanniques sont arrivés pour coloniser le continent indien. Quand ils sont partis, en 1947, ils ont divisé le Pendjab en deux. Une partie est allée au Pakistan, l’autre à l’Inde
, explique-t-il.

De plus en plus de Canadiens sikhs disent craindre pour leur sécurité et celle de leur famille, ici même au Canada. Le reportage de Sophie Langlois.
En quête d’un État souverain
Depuis que leur territoire est coupé en deux, des sikhs aspirent à retrouver un État souverain. C’est la seule façon de protéger notre nation
, estime Resham Singh Bolina, qui vit au Canada depuis 50 ans.
Pour sauvegarder notre langue et notre religion, nous avons besoin de notre État.
Pendant notre tournage de cinq heures au temple, nous avons parlé à une vingtaine de sikhs. M. Bolina est le seul à avoir accepté de parler du Khalistan face à la caméra.

Resham Singh Bolina
Photo : Radio-Canada
Ils peuvent tuer n’importe qui, dit-il, faisant référence aux hindous extrémistes, mais ils ne réussiront jamais à tuer notre philosophie. Le sikhisme est un mode de vie
, déclare avec fougue l’homme qui porte fièrement un turban orange et un kirpan, comme les hommes sikhs doivent le faire.
Beaucoup d’hommes ne portent qu’un fichu sur la tête, le temps de prier. Ils l’enlèvent dès qu’ils sortent du temple. L’un d’eux s'approche et vient nous parler. Il tient à dire que la majorité des sikhs, selon lui, n'est pas favorable au Khalistan.
Même ceux qui appuient le projet d’un État sikh indépendant sont rarement militants. Ce n’est pas une préoccupation pour nous, ici à Montréal. Même en Inde. C’est une toute petite minorité de sikhs qui milite activement pour la création du Khalistan
, soutient-il.

Des femmes dans le temple sikh de LaSalle
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
La genèse des violences
Il faut dire que le mouvement séparatiste sikh est interdit en Inde. Ceux qui sont soupçonnés d’en faire partie sont considérés comme des terroristes et activement recherchés. Pour comprendre la cristallisation du conflit entre hindous et sikhs, il faut reculer dans le temps.
En juin 1984, la première ministre indienne Indira Gandhi ordonne l’attaque du Temple d’Or, le siège des plus hautes autorités sikhes, un lieu sacré qu’on pourrait comparer au Vatican.
Elle veut forcer le départ des sikhs séparatistes du temple par tous les moyens. Les sikhs représentent moins de 2 % de la population indienne. Ils sont discriminés, ostracisés et, parfois, massacrés.
Environ 1500 sikhs sont tués dans cette attaque. Quatre mois plus tard, Indira Gandhi est assassinée par deux de ses gardes du corps sikhs. Les émeutes qui suivent virent aux massacres. Plus de 3000 sikhs sont tués en seulement trois jours. Résultat : le mouvement séparatiste sikh prend de l’ampleur et une partie se radicalise.

Une banderole réclamant la création de l'État du Khalistan.
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
Le mouvement Khalistan est aussi présent au Canada, mais s’il y a eu une branche plus radicale dans les années 1980, elle est désormais bien discrète.
Quoi qu'il en soit, le militantisme des sikhs canadiens, même pacifique, dérange beaucoup le premier ministre indien actuel Narendra Modi, qui accuse le Canada d’abriter des terroristes sikhs.
Une crainte ancrée dans la vague d’attentats perpétrés par des extrémistes sikhs en Inde au cours des années 1980. L’explosion en 1985 d’un vol d’Air India parti de Toronto avait fait 329 victimes (nouvelle fenêtre).
Il y a près de 800 000 sikhs au Canada; ils représentent 2,1 % de la population. Au Québec, ils sont un peu plus de 23 000, un nombre qui a grimpé de 150 % depuis 2011.
En quête de liberté d’expression
Angad Singh, qui étudie en sciences informatiques à l’Université Concordia, affirme qu’il n’y a pas de terroristes au Canada. Il a été très choqué par l’assassinat en juin d’Hardeep Singh Nijar (nouvelle fenêtre), qui dirigeait le plus grand temple sikh au pays.
C’était aussi un des leaders du mouvement séparatiste sikh au Canada. Il était donc considéré par New Delhi comme un terroriste qui menaçait la sécurité de l’Inde. Selon Ottawa, l’Inde serait responsable de son assassinat.

Des femmes préparent du pain dans le temple sikh de LaSalle.
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
Plusieurs Canadiens sikhs qui soutiennent le Khalistan craignent maintenant de le dire publiquement. On est venus ici, dit Angad, pour avoir la liberté d’expression et la liberté de religion. Quand on voit qu’elles sont supprimées, qu’on n’a plus le droit de parler sans craindre pour nos vies, c’est inquiétant.
Quand le jeune homme se fait interroger au sujet du Khalistan, il devient très nerveux. Il ne veut pas exprimer son opinion sur le sujet, craignant que cela mette en péril la sécurité de sa famille.
Croit-il que l’Inde persécute des sikhs ici même au Canada? Je ne peux pas me prononcer, je n’ai pas d’informations, mais plusieurs dans notre communauté croient que oui
, se limite-t-il à dire.
Angad insiste pour préciser qu’il n’y a pas de consensus au sein des sikhs à propos du Khalistan. C’est comme les Québécois : certains sont en faveur d’un État indépendant, d’autres s’y opposent. On voudrait, comme vous, pouvoir exprimer librement nos opinions politiques
, affirme-t-il.
