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[Reportage] Permis de travail fermés des travailleurs temporaires : une action en justice « historique » en cours

La page principale du recours collectif.

Au Canada, des travailleurs saisonniers sont soumis à des lois qui les empêchent de démissionner ou de changer d'employeur. L'Association canadienne pour les droits des travailleuses.rs de maison et de ferme a lancé un recours collectif devant la Cour supérieure du Québec pour contester la constitutionnalité des permis de travail fermés ou à employeur unique.

Photo : Radio-Canada / Montaje: Paloma Martínez Méndez

Paloma Martínez Méndez

L'Association canadienne pour les droits des travailleuses.rs de maison et de ferme (DTMF) a intenté un recours collectif devant la Cour supérieure du Québec pour contester la constitutionnalité des permis de travail « fermés » ou « exclusifs ».

Il s'agit d'un recours historique. On cherche à inscrire dans la Constitution canadienne la protection des travailleurs migrants agricoles, saisonniers et temporaires. Récemment, le rapporteur des Nations unies a publié son rapport après avoir visité le Canada et a mentionné l'existence de systèmes d'esclavage moderne au Canada. C’est inacceptable.
Une citation de Carlos Rojas, directeur des opérations à la DTMF et directeur général de Conseil Migrant
Il est à l'extérieur.

Carlos Rojas

Photo : Cortesía

Selon le représentant, accorder aux travailleurs migrants le droit fondamental de changer d'employeur lorsque les conditions de travail ne leur conviennent pas est un moyen de compenser les déséquilibres qui existent dans les programmes de travailleurs saisonniers au pays.

À l'issue de sa visite du 23 août au 6 septembre dernier, l'envoyé spécial de l'Organisation des Nations unies Tomoya Obokata a décrété que le programme des travailleurs étrangers temporaires était un terreau propice à une forme contemporaine d'esclavage.

Dans la foulée de ce rapport, la DTMF, qui défend les droits de ces personnes, a jugé important de porter le combat qu'elle mène depuis des années sur le terrain juridique et constitutionnel.

Un permis ouvert aurait changé la vie de 70 travailleurs

Noé Arteaga, un ancien travailleur agricole guatémaltèque, estime qu'un permis ouvert permettant aux personnes de travailler dans différents endroits avec différents employeurs serait bénéfique pour les étrangers. Selon lui, ils ne seraient plus liés à un seul employeur qui pourrait faire ce qu'il veut avec eux.

M. Arteaga est venu au Canada en tant que travailleur temporaire. Comme beaucoup d'autres avant lui, il n'a pas été facile pour lui de s'adapter à sa nouvelle situation et au pays. Il a travaillé dans une serre de tomates, mais a fait l'objet d'un licenciement abusif.

Son cas a été porté devant la Commission des relations du travail du Québec, qui lui a donné raison.

Il participe à une manifestation.

Noé Arteaga, un manifestant et immigrant guatémaltèque

Photo : Radio-Canada

Si j'avais eu un permis ouvert, j'aurais changé d'employeur. Dès le premier jour, en voyant le traitement [des employés] et ce que nous devions faire, je serais allé dans une autre ferme bien meilleure. On donnait [aux travailleurs] un téléphone, un moyen de transport [...] Je pense que cela aurait changé la vie des 70 travailleurs qui étaient là, si nous avions pu choisir une autre ferme.
Une citation de Noé Arteaga, ancien travailleur saisonnier

Ce citoyen canadien et militant des droits de la personne souligne que les programmes créés par le Canada varient en fonction du pays d'origine des travailleurs journaliers.

Selon M. Arteaga, le programme du Canada avec le Mexique, qui est mis en œuvre de gouvernement à gouvernement, protège mieux les travailleurs migrants. En revanche, l'accord avec le Guatemala, qui est mis en œuvre par l'intermédiaire d'agences, est moins avantageux pour ses ressortissants.

Le directeur des opérations de la Association pour les droits des travailleuses.rs de maison et de ferme Carlos Rojas affirme néanmoins que les travailleurs agricoles saisonniers, quel que soit leur pays d'origine, sont soumis à des situations équivalentes à de l'esclavage.

Un homme de face et un autre de dos, debout, vêtus de combinaisons bleues, de masques et de bonnets pour les cheveux, devant un étalage plein de crabes.

Des travailleurs d'usine transforment du crabe à St. Mary's, à Terre-Neuve-et-Labrador.

Photo : Radio-Canada

Dès 2017, le gouvernement mexicain a été informé des violations des droits des travailleurs dans certaines fermes et ranchs canadiens en particulier, affirme M. Rojas.

En fait, les membres des chambres haute et basse du Congrès mexicain ont émis une proposition dans laquelle ils s'engageaient à remédier à la situation des travailleurs migrants au Canada en novembre 2021, souligne le directeur des opérations et des affaires internationales de la Association canadienne pour les droits des travailleuses.rs de maison et de ferme.

Malheureusement, après 2017, alors que nous étions engagés dans cet effort et pendant la pandémie, même s'il y a eu de nombreux cas, il n'y a pas eu de réponse.
Une citation de Carlos Rojas, directeur des opérations à la DMTF et directeur général de Conseil Migrant

Plus d'un demi-million de personnes par an

Selon les chiffres du gouvernement canadien, environ 550 000 travailleurs étrangers temporaires résident chaque année au pays pendant plusieurs mois afin de répondre aux besoins de main-d'œuvre dans divers secteurs de l'économie. Parmi eux, 24 % travaillent dans le secteur agricole et 10 % dans les services domestiques (garde d'enfants ou nettoyage).

Depuis plusieurs décennies, le Canada gère des programmes qui facilitent la venue de travailleurs étrangers temporaires dans l'agriculture et d'autres secteurs en provenance de plusieurs pays des Amériques, principalement (mais pas exclusivement) du Mexique, du Guatemala et de la Jamaïque.

Des travailleurs accroupis dans un champ.

Environ 550 000 travailleurs étrangers temporaires viennent au Canada chaque année.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Diverses organisations de la société civile canadienne et les travailleurs eux-mêmes dénoncent et documentent depuis plusieurs années des conditions de vie déplorables et des cas d'abus physiques et psychologiques de la part de certains employeurs.

Surtout, il est reconnu que l'impossibilité de quitter un employeur afin de trouver de meilleures conditions de travail et les menaces d'expulsion mises ensemble peuvent créer des situations d'assujettissement qui mettent en péril la santé et la sécurité des travailleurs.

En août 2022, des travailleurs agricoles jamaïcains de la région de Niagara ont adressé une lettre ouverte au ministère du Travail de la Jamaïque pour demander plus de soutien face à ce qu'ils considèrent comme de l'esclavage systématique. Cette lettre a été envoyée quelques jours avant le décès d'un travailleur migrant dans le comté de Norfolk, en Ontario.

Garvin Yapp, 57 ans, originaire de St. James, en Jamaïque, est mort dans un accident de travail avec une récolteuse de tabac dans la ferme Berlo's Best, dans le comté de Norfolk, à deux heures au sud-ouest de Toronto.

Le panneau pour la ferme Berlo's Best sweet potatoes à côté d'un camion.

Garvin Yapp a été tué dans un accident concernant une récolteuse de tabac à la ferme Berlo's Best Farm.

Photo : CBC/Rob Krbavac

En 2019, des travailleuses guatémaltèques au Canada ont brisé le silence sur les conditions de vie et de travail dans des exploitations agricoles de Colombie-Britannique.

Les conditions comprenaient plus de 10 heures de travail au soleil pour planter et faire pousser les cultures, l'absence quasi totale d'accès à de l'eau propre et froide pour s'hydrater, jusqu'à 14 heures de travail dans une chambre froide pour emballer les produits, et jusqu'à 12 heures de travail à charger et à déplacer des boîtes.

Ces femmes, qui sont venues au Canada dans le cadre du programme de travailleurs temporaires mis en place par Ottawa avec le Guatemala, le Mexique et d'autres pays des Caraïbes, ont également dénoncé l'insalubrité et le surpeuplement des lieux où elles logeaient.

Il est devant une maison en hiver.

Marcos Preciado Arroyo est arrivé au Canada en provenance du Mexique dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers. En 2021, il a été blessé dans la ferme où il travaillait et, n'ayant pas reçu de soins médicaux, il s'est enfui. Il a passé des mois à essayer de prouver son cas aux autorités.

Photo : RCI / Martínez Méndez

Pas de réponse concrète

Bien que les tribunaux canadiens, les commissions des droits et les comités parlementaires aient tous reconnu l'impact des restrictions imposées par les permis de travail fermés, le gouvernement canadien continue de refuser de les abolir et, en particulier, de remplacer les permis de travail restrictifs par des permis ouverts, a indiqué la DTMF au moment d'entamer les procédures.

Au contraire, le Canada aggrave les conditions de travail des travailleurs étrangers temporaires, puisqu'il étend actuellement son régime d'embauche et d'emploi de travailleurs migrants non libres, a insisté la Association pour les droits des travailleuses.rs de maison et de ferme dans un communiqué sur cette contestation juridique des permis de travail fermés ou exclusifs.

Ce reportage est également disponible en espagnol

Paloma Martínez Méndez

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