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Identité de genre : après la rue, une offensive dans les écoles en vue

L’une des figures de proue du groupe à l’origine des manifestations contre les directives scolaires en matière d’identité de genre affirme que sa démarche s’inscrit dans le cadre d’un mouvement international « luttant contre la promotion d’un agenda homosexuel ».

Une foule de manifestants, dont plusieurs brandissant des pancartes, dans une rue d'Ottawa.

Des manifestants s'opposant aux directives scolaires en matière d'identité de genre marchent à Ottawa, le 20 septembre 2023.

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

Rania Massoud

Au lendemain des manifestations ayant rassemblé des milliers de personnes dans plusieurs villes canadiennes pour protester contre les directives en matière d'identité de genre dans les écoles, le mouvement « 1 Million March 4 Children » réfléchit déjà aux prochaines étapes, dont une offensive coordonnée dans les écoles partout au pays.

Les manifestations de mercredi étaient houleuses (nouvelle fenêtre) dans plusieurs villes au Canada, des contre-manifestants issus de la communauté lesbienne, gai, bisexuel, transgenre, queer et autres s’étant présentés pour défendre les droits des jeunes trans.

Mais pour Kamel el-Cheikh, l’une des principales figures de proue du mouvement 1 Million March 4 Children, la journée de mercredi est une grande victoire.

Dans un entretien téléphonique avec Radio-Canada, de sa résidence à Ottawa, cet ancien entrepreneur de 43 ans dit consacrer tout son temps à mobiliser les gens autour de son mouvement, et soutient compter sur l’appui de plusieurs bénévoles d'un bout à l'autre du pays.

Notre mouvement est comme un parapluie qui regroupe des personnes de toutes les religions qui sont contre la politique d’imposer l’idéologie de genre sur nos enfants dans les écoles. C’est ce qui nous a unis en tant que musulmans et chrétiens.
Une citation de Kamel el-Cheikh, du mouvement « 1 Million March 4 Children »

Un mouvement qui se définit comme « non partisan »

Le mouvement en tant que tel semble être un melting pot regroupant des groupes conservateurs musulmans, mais aussi des organismes chrétiens évangélistes, ou encore des personnalités affiliées au Parti populaire du Canada (PPC) de Maxime Bernier. L’un des organisateurs, Mahmoud Mourra, est membre du Parti conservateur du Canada (PCC).

Mercredi, Maxime Bernier s’était d’ailleurs rendu à Ottawa pour prendre part à la manifestation aux côtés de M. el-Cheikh. Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, était lui aussi à Ottawa, manifestant quant à lui dans le camp adverse. Les deux groupes se sont affrontés verbalement (nouvelle fenêtre), sous la supervision d'une forte présence policière.

Le premier ministre Justin Trudeau, qui se trouvait à New York ce jour-là pour l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, a publié un message pour condamner la haine et ses manifestations. Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, est quant à lui resté muet et les élus de sa formation ont été sommés de rester silencieux (nouvelle fenêtre).

Début septembre, lors du congrès national du Parti conservateur du Canada, les délégués conservateurs s’étaient majoritairement prononcés en faveur de résolutions (nouvelle fenêtre) destinées à interdire les transitions de genre des mineurs et l’accès aux toilettes, vestiaires, refuges et prisons pour femmes aux personnes transgenres.

Mais pour Kamel el-Cheikh, qui dit militer depuis 25 ans pour des causes touchant la communauté arabo-musulmane, son mouvement est non partisan. Le Parti populaire du Canada est impliqué dans le mouvement parce que ce parti célèbre les familles, mais nous ne sommes pas affiliés au Parti populaire du Canada, assure M. el-Cheikh. Si des membres du Parti libéral du Canada ou du Nouveau Parti démocratique veulent se joindre à notre cause, ils sont les bienvenus, nous sommes ouverts à tous les Canadiens.

Depuis mercredi, son téléphone est en feu, dit-il. Je reçois des messages de plusieurs organismes et d’individus qui veulent s’impliquer avec nous. [...] Parmi eux, il y a des policiers, des agents de la Gendarmerie royale du Canada, d’anciens soldats, des avocats, des médecins.

Josh Alexander utilise un porte-voix au milieu d'une foule qui marche.

Josh Alexander, qui se présente comme un chrétien évangéliste, participant à la marche du 20 septembre à Ottawa.

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

Pour mieux comprendre ce mouvement, la façon dont il a été formé et des personnes qui le composent, il faut revenir à la pandémie. Plusieurs des organismes et personnes affiliés au 1 Million March 4 Children, dont M. el-Cheikh lui-même, s'exprimaient fortement contre les mesures sanitaires et la vaccination anti-COVID. Certains ont pris part au convoi des camionneurs qui a occupé la capitale nationale en février 2022.

Aujourd’hui, le principal point de rapprochement entre ces groupes et les communautés musulmanes conservatrices est la protection des valeurs familiales et du bien-être des enfants. Ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous divise, peut-on lire sur le site web du mouvement 1 Million March 4 Children.

Des théories complotistes

Pour Kamel el-Cheikh, dont les parents ont émigré du Liban vers le Canada alors qu’il n’avait que 7 ans, le mouvement s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large. Selon lui, il s’agit d’une démarche contre la Grande Réinitialisation – ou Great Reset, en anglais –, une initiative du Forum économique mondial (nouvelle fenêtre) (FEM) pour repenser l’économie post-épidémique qui a fait l'objet d'une importante campagne de désinformation.

Selon l’une des interprétations complotistes de ce projet, il s’agit d’un plan de l’élite mondiale pour abolir la propriété privée et les frontières, mettre fin aux libertés individuelles et asservir l’humanité. Les mesures imposées durant la COVID n’étaient qu'une simulation de ce qui nous attend, affirme M. el-Cheikh.

Une foule de manifestants, dont une personne qui tient un drapeau du Canada.

Des manifestants à Moncton, le 20 septembre, expriment leur désaccord envers certaines politiques sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre.

Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue

Lors de rassemblements de son parti, M. Poilievre a affirmé à plusieurs reprises (nouvelle fenêtre) que, s’il devient chef du gouvernement, il va interdire à tous ses futurs ministres de participer aux rencontres du Forum économique mondial.

Nous ne voulons pas politiser notre mouvement, dit M. el-Cheikh, mais nous demandons à M. Poilievre de prendre position sur cet enjeu et de condamner les contre-manifestations qui ont eu lieu face aux familles canadiennes. Il doit avoir le courage de le faire.

Selon M. el-Cheikh, le mouvement est maintenant international. Il se dit en contact avec Christine Anderson, une députée allemande qui représente l'Alternative pour l'Allemagne, un parti populiste de droite qui a été placé sous surveillance en tant que groupe extrémiste présumé par l'agence de renseignement allemande, en 2021. Le parti s'oppose à l'immigration, promeut une idéologie antimusulmane et a été accusé par des leaders juifs de minimiser les crimes des nazis.

En février dernier, Mme Anderson était en visite au Canada et avait rencontré les députés conservateurs Dean Allison, Colin Carrie et Leslyn Lewis, ce qui avait suscité des critiques de la part de leur chef Pierre Poilievre (nouvelle fenêtre).

« Le monde nous regarde »

Notre mouvement est canadien, mais le monde nous regarde en ce moment, assure M. el-Cheikh, qui a notamment organisé des manifestations à Ottawa entre 2016 et 2018 contre le régime saoudien et sa guerre au Yémen. Notre message résonne ici et ailleurs, même dans les pays arabes, comme le Liban ou l’Irak. [...] On lutte contre la promotion d’un agenda homosexuel.

Des manifestants, dont un tient un drapeau multicolore, s'invectivent.

Des groupes hostiles aux droits des jeunes de la communauté LGBTQ+ et des membres de la communauté LGBTQ+ se sont opposés mercredi, à Charlottetown.

Photo : Alex MacIsaac/CBC

Maintenant que la manifestation de mercredi est passée, il réfléchit déjà à l’avenir du mouvement. Parmi les mesures envisagées : une offensive coordonnée dans toutes les écoles du pays pour réclamer le bannissement des contenus jugés inappropriés sur la sexualité et l'identité de genre.

M. el-Cheikh, qui est père de trois enfants, n’a pas voulu donner plus de détails sur son plan, mais il affirme que la campagne sera pacifiste.

Nous, les parents, voulons mettre la pression sur tous les gouvernements, aussi bien au niveau fédéral que provincial, pour que nos demandes soient réalisées, dit-il encore, sans préciser quand il compte lancer une telle offensive.

Je n’ai pas une date précise à partager, je veux donner un peu de répit aux bénévoles parce qu’ils n’ont pas beaucoup dormi ces derniers jours avec les préparatifs en vue des manifestations, explique-t-il. Mais on fera une annonce le moment venu.

D’ici là, il compte enregistrer son mouvement à titre d'organisme de bienfaisance afin de pouvoir recueillir des dons financiers, car, pour le moment, on dépense de nos propres poches. Il envisage aussi d’organiser des contre-manifestations lors de prochains défilés de la Fierté partout au Canada.

Nous avons un plan pour les 5, 10 et 20 prochaines années, assure-t-il enfin. Ceux qui essaient de nous faire taire ne réussiront pas.

Rania Massoud

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