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Lutte contre l’itinérance : un rapport critique les retombées des « escouades mixtes »

Des agentes ECCR et un intervenant psychosocial du CIUSSS abordent une itinérante qui consomme de l'alcool, rue Sainte-Catherine.

Des agentes ECCR et un intervenant psychosocial du CIUSSS abordent une itinérante qui consomme de l'alcool, rue Sainte-Catherine.

Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet

RCI

Les « escouades mixtes », tandems formés d’un policier du SPVM et d’un intervenant du réseau de la santé, n’aident pas la lutte contre l’itinérance à Montréal. Pire : elles entravent le travail des organismes communautaires qui œuvrent auprès des itinérants, conclut un rapport publié mercredi matin par des chercheurs de Montréal.

Le directeur de recherche, le professeur Ted Rutland, avait déjà épinglé les pratiques du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dans la lutte contre le profilage racial dans un précédent rapport intitulé Un échec éternel (2019). Cette fois, le professeur au Département de géographie, d'aménagement et d'environnement de l'Université Concordia s’est penché sur l’expérience d’une trentaine d’intervenants sociaux déployés sur le terrain avec des policiers en uniforme.

Conclusion : Les escouades nuisent aux personnes en situation d’itinérance par leur présence, nuisent au travail des groupes communautaires, suite à une confusion des rôles […] et nuisent aux efforts de la police elle-même, a résumé Jérémie Lamarche, organisateur communautaire au Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), qui a collaboré au rapport.

Mauvaise réputation

À leur lancement en 2009, ces nouvelles équipes mobiles d’intervention et de médiation devaient réaliser un travail de proximité avec les itinérants et les orienter vers des services appropriés. La police promettait une offre de service adaptée et respectueuse auprès des personnes en situation d’itinérance.

Quatorze ans plus tard, la soi-disant prévention, pour le milieu communautaire, c’est de la répression, a constaté M. Lamarche en citant les contraventions distribuées aux itinérants pour des motifs comme dormir sur un banc de parc, émettre un bruit audible, ou encore répandre du liquide par terre.

Autre écueil : la mauvaise réputation des policiers ternie par le symbole historique qui traîne avec [l'uniforme] et est rempli d’une violence pour les personnes en situation de marginalité, a dénoncé l’organisateur communautaire en entrevue à l’émission Tout un matin.

La présence policière dans leur milieu de vie, la rue, repousse les [itinérants] et peut raviver leurs traumatismes. Il vaudrait mieux créer une escouade entièrement civile, plaident les auteurs du rapport.

Au cours des dernières années, plus de 210 initiatives civiles de réponse aux situations de crise ont vu le jour à travers le monde, toutefois ces initiatives restent absentes à Montréal.
Une citation de Extrait du rapport « Innovation ou extension de la répression? »

Selon M. Lamarche, la police devrait s’en tenir à son rôle de maintien de la paix et de l’ordre et de lutte contre la criminalité.

Pour aborder les problèmes sociaux, il existe un énorme réseau communautaire d'organismes de proximité qu’il faudrait mieux financer, fait valoir le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal. Ce réseau fondé en 1974 représente 105 groupes à Montréal venant en aide aux itinérants.

En fin de rapport, les chercheurs ont rédigé sept recommandations, parmi lesquelles figurent la transformation des escouades mixtes en escouades entièrement civiles ainsi qu'un définancement de l'Équipe mobile de médiation et d'intervention sociale (EMMIS) au profit de la nouvelle escouade civile et des organismes communautaires impliqués auprès des itinérants.

Une campagne de salissage

Des intervenants de la Société de développement social participent aux escouades mixtes depuis 2020. Janik Fortin, qui est chargée de projet partenariat externe et à la formation avec cet organisme, croit que le rapport va trop loin.

Je trouve que c’est désolant parce qu’on est tous là pour aider les mêmes personnes. Je pense qu’on aurait tout avantage à travailler les uns avec les autres, estime Mme Fortin.

Une femme, dans un parc, regarde devant elle, la bouche ouverte.

Janik Fortin, chargée de projet partenariat externe et à la formation à la Société de développement social.

Photo : Radio-Canada

Janik Fortin ne croit pas que la présence des policiers dans la rue nuise aux efforts des intervenants communautaires pour aider les personnes en situation d’itinérance. Les usagers s’habituent. Ce n’est pas vrai que ça brise nos liens avec les usagers, dit-elle.

Beaucoup d’organismes crient depuis des années pour une réforme policière; ils voulaient que ce soit moins coercitif, moins tout le temps dans la répression. Ils [les policiers] ont fait un pas, ils ont ouvert une porte à changer un peu leur mentalité, et on décrit encore ce qui est fait de façon négative [...] Je trouve que c’est dommage de faire une campagne de salissage là-dessus.
Une citation de Janik Fortin, chargée de projet partenariat externe et à la formation à la Société de développement social

Elle regrette que personne ne soit venu consulter la Société de développement social, ni accompagner l'une de ses équipes sur le terrain avec une escouade mixte, avant la production de ce rapport.

Je regarde le rapport et il y a beaucoup de chiffres de 2010, 2004. Ça fait quand même longtemps et la situation a changé. Il y a la crise des opioïdes, il y a de plus en plus d’overdoses, il y a de plus en plus de gens en situation d’itinérance. Personne dans le rapport mentionne qu’on aide beaucoup de familles de demandeurs d’asile qui se ramassent à la rue [...] Le visage de l’itinérance a changé, soutient Mme Fortin.

À terme, elle croit que c’est la collaboration entre les différents acteurs qui peut réellement changer les choses.

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