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La taurine ralentit-elle le vieillissement? Des bémols

L’état actuel des connaissances ne permet pas de recommander la prise de suppléments de taurine.

Modèle moléculaire de la taurine.

Modèle moléculaire de la taurine, un additif couramment utilisé dans les boissons énergisantes. Elle se trouve naturellement dans la viande, le poisson et les fruits de mer.

Photo : iStock / theasis

Alain Labelle
Alain Labelle

Des souris et des singes qui ont reçu un supplément de taurine ont vu leur durée de vie en bonne santé s’allonger, montrent les travaux de scientifiques américains, menés sur 11 ans, publiés dans la revue Science (nouvelle fenêtre). Mais l’état actuel des connaissances ne permet pas de recommander la prise de suppléments de taurine.

La taurine est un acide aminé que l’on retrouve surtout dans la viande et le poisson, mais il y en a très peu dans les végétaux, a expliqué de docteur Martin Juneau de l’Institut de cardiologie de Montréal à l’émission Tout un matin (nouvelle fenêtre).

Elle est également présente dans plusieurs boissons énergisantes telles que le Red bull, le Monster et le Rockstar.

Dans leur étude, le docteur Vijay Yadav et ses collègues de l’Université Columbia ont d’abord montré que la concentration de taurine dans le sang diminue avec le vieillissement chez les souris, les singes et les humains. Chez ces derniers, la concentration chez l’adulte est d'environ 80 % inférieure à celle des enfants.

Les chercheurs ont ensuite donné un supplément de taurine à des souris et des singes, pour s’apercevoir qu’elle augmentait leur durée de vie. Les souris qui ont reçu un supplément de taurine ont vécu plus longtemps que les souris témoins. La durée de vie médiane des souris traitées à la taurine a augmenté de 10 à 12 %.

Ils ont également observé que leur durée de vie en bonne santé a également augmenté. Les chercheurs ont constaté une amélioration du fonctionnement de leurs muscles, du pancréas, du cerveau, de la graisse, de l'intestin, des os et du système immunitaire.

Des effets similaires ont été observés chez les singes.

La sénescence cellulaire en question

Concrètement, la taurine réduirait la sénescence cellulaire, c’est-à-dire le vieillissement des cellules.

Chez l'humain, des concentrations de taurine plus faibles sont liées à plusieurs maladies liées à l'âge. Une carence en taurine pourrait être un facteur de vieillissement, car son inversion augmente la durée de vie chez les vers, les rongeurs et les primates, ajoutent-ils.

Ce qui est nouveau avec cette étude, c’est qu’ils ont montré qu’ils ont allongé la survie de souris, résume le docteur Juneau, pour qui ces travaux s’inscrivent dans un domaine scientifique qui prend de l’ampleur : le ralentissement du vieillissement.

Le vieillissement est à la base de toutes les maladies chroniques qui causent une mortalité prématurée dans nos sociétés; les maladies cardiovasculaires, les cancers, les démences. L’origine commune, c’est le vieillissement de la cellule.
Une citation de Martin Juneau, Institut de Cardiologie de Montréal

Donc, pourquoi ne pas s’attaquer au vieillissement cellulaire plutôt qu’à chaque maladie en particulier?, poursuit le cardiologue.

C’est du moins l’opinion de l’équipe américaine pour qui ces résultats justifient la mise sur pied d’un essai clinique chez l'humain qui vérifierait si la carence en taurine peut être un facteur de vieillissement chez l'humain.

Un bémol important

Le docteur Juneau rappelle qu’il existe d’autres molécules candidates qui ralentissent le vieillissement cellulaire, notamment la metformine (un antidiabétique), la rapamycine (un immunosuppresseur) et la berbérine (anti-inflammatoire et antibactérien), mais il n’y a pas d’études à long terme qui ont été menées, en raison des coûts.

Permettez-moi d’être sceptique, parce que la taurine se trouve très peu dans les végétaux. Or, on sait par des études épidémiologiques que les gens qui ont une alimentation végétarienne vivent, en général, plus vieux que les carnivores.
Une citation de Martin Juneau, Institut de cardiologie de Montréal

Ça tendrait à dire que si on mange beaucoup de viande, c’est mieux. Mais c’est le contraire qu’on voit dans les études épidémiologiques, enchaîne le docteur Juneau, qui pense qu’une étude randomisée pourrait confirmer cette découverte un peu étrange.

On pourrait donner au hasard de la taurine ou un placébo à, disons, 5000 humains, qu’on suivrait ensuite sur une période de 6 à 7 ans pour voir s’ils ont moins de maladies ou une mortalité moins importante.
Une citation de Martin Juneau, Institut de cardiologie de Montréal

Le docteur Juneau pense que la réalisation d’une telle étude est plutôt incertaine en raison des coûts astronomiques. Cela nécessiterait des investissements de centaines de millions de dollars pour une compagnie qui ne pourrait pas obtenir un brevet, puisque la taurine est une substance naturellement présente dans le corps.

Par exemple, le docteur Juneau affirme que des scientifiques tentent depuis deux ans de trouver les 42 millions nécessaires à la réalisation d’essais cliniques pour la metformine et n’ont toujours pas réussi à compléter leur financement. Et on a plus de données pour la metformine que pour la taurine, remarque le docteur Juneau.

Des solutions existent déjà

Il existe certainement un risque de voir certains individus consommer des boissons énergisantes au lieu d’adopter de saines habitudes de vie, comme une meilleure alimentation.

Pour le cardiologue, l’intervention qui prolonge la vie chez l’humain, c’est l’exercice. Et c’est démontré hors de tout doute depuis 50 ans, précise-t-il.

Alain Labelle
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