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Une spirale salaire-inflation? Un mythe, conclut une étude

S’il n’y a pas de correction salariale immédiate, l’IRIS s’inquiète d’ailleurs que cette perte de pouvoir d’achat soit pérenne.

Une personne fait son épicerie dans le rayon des fruits et légumes.

L'inflation, notamment alimentaire, fait mal à de nombreux ménages.

Photo : Reuters / Patrick Doyle

Le journaliste et analyste Olivier Bourque.
Olivier Bourque

Depuis plusieurs mois, la Banque du Canada martèle ce message : il faut éviter les hausses salariales trop importantes, de peur qu’elles deviennent le carburant d’une nouvelle poussée de l’inflation. Mais ces craintes ne sont pas fondées, selon une étude dévoilée par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) publiée aujourd’hui.

Premier constat : les salaires ne grimpent pas au même niveau que l’Indice des prix à la consommation (IPC). Depuis avril 2020, une personne avec un revenu médian au Québec a vu son pouvoir d’achat diminuer de 6,7 %, ce qui représente un montant de 3100 $.

Derrière cette statistique, il y a des millions de ménages québécois avec des difficultés de plus en plus importantes pour faire leur épicerie, payer leur loyer et boucler leurs fins de mois, rappelle l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques.

Oui, l’inflation coûte cher, mais augmenter le taux directeur pour seulement retourner à une faible inflation sans considérer l’impact de l’inflation sur les revenus des gens, sur leur capacité à payer leurs besoins, c’est une stratégie à courte vue, affirme Eve-Lyne Couturier, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques et coautrice de la note, en entrevue à Radio-Canada.

L’étude a montré qu’une hausse des salaires immédiate n’aurait pas une incidence importante sur l’atteinte de la cible d’inflation annuelle de 2 % recherchée par la Banque du Canada.

L'institution n’a pas fermé la porte à de nouvelles hausses de taux d’intérêt cette année, un scénario de plus en plus plausible avec la publication des dernières données sur l’inflation (nouvelle fenêtre) et le PIB au Canada (nouvelle fenêtre) qui démontrent une économie encore en ébullition.

L’impact de hausses salariales

Selon les calculs de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, un rattrapage salarial de 6,5 % au Québec ferait en sorte d’ajouter 0,8 % à l’inflation sur un an. Même avec un choc salarial, une hausse généralisée de 7,3 %, l’impact serait de 1,6 % sur trois ans.

Avec une telle hausse, on retarderait un peu l’atteinte de la cible, mais de façon très faible. Mais a contrario on protégerait le pouvoir d’achat. Il faut dire que 1,6 %, ce n’est pas très élevé quand on considère l’inflation à 8-9 % qu’on a eu dernièrement, constate la chercheuse.

Depuis la montée de l’inflation, des intervenants du monde économique, notamment la Banque du Canada et plusieurs économistes, se sont montrés inquiets de voir apparaître une spirale salaire-inflation.

En février, le gouverneur de la banque, Tiff Macklem, avait souligné que l’atteinte de la cible d’inflation serait compromise si les salaires augmentaient de 4 à 5 %.

Tiff Macklem, les bras croisés.

Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Malgré sa simplicité et son apparente évidence, les données recueillies ne confirment pas l’existence d’une spirale salaire-inflation. Ce concept guide pourtant bon nombre de décisions de la Banque du Canada qui demande aujourd’hui aux entreprises et aux gouvernements de ne pas ajuster les salaires à l’inflation, ajoute Mme Couturier.

On reste avec la peur des années 1970

Selon elle, une telle spirale est apparue dans le passé. Mais lorsqu’on analyse les données des 20 dernières années, celle-ci demeure un mythe au Québec et ailleurs dans le monde.

On a vu une spirale salaire-inflation dans les années 1970. On reste avec cette peur, dit-elle.

On se dit : si on augmente les salaires, ça va augmenter les coûts de production, ça va augmenter les prix. Il y a un caractère logique à cela. Si on augmente les salaires, ça permet aux travailleurs de continuer de consommer et de faire rouler l’économie. Les salaires sont seulement une part des coûts de production, rappelle-t-elle.

L’étude s’attarde aussi sur l’effet de l’inflation et sur la perte de pouvoir d’achat sur différents corps de métier, notamment le secteur de la construction, aux premières loges de la hausse des taux d’intérêt.

Après avoir amélioré leur pouvoir d’achat de 17 % entre 2000 et 2022, les quelque 300 000 salariés du secteur de la construction devraient connaître un recul d’ici 2024 si les prédictions actuelles de l’inflation s’avèrent.

Un pouvoir d’achat perdu

S’il n’y a pas de correction salariale immédiate, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques s’inquiète d’ailleurs que cette perte de pouvoir d’achat soit pérenne.

Ramener la croissance des prix à la cible de 2 % apparaît nettement moins urgent si l’on compense la perte du pouvoir d’achat des ménages en indexant leurs revenus, surtout si une spirale salaire-inflation est hautement improbable, précise Raphaëlle Langevin, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques et coautrice de l’étude.

Tout comme plusieurs économistes le réclament, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques croit que le mandat de la Banque du Canada devrait d’ailleurs être élargi pour lui donner des leviers différents et non seulement la hausse du taux directeur.

D’ailleurs, la banque centrale n’a pas beaucoup d’emprise sur les causes de l’inflation actuelle, comme la pandémie, les dysfonctionnements des chaînes d’approvisionnement et la guerre en Ukraine, estime l'Institut de recherche et d’informations socio-économiques.

La Banque du Canada n’a pas beaucoup d'outils pour contrôler l’inflation pour avoir un effet sur l’économie. Il faut revoir son mandat, fait valoir Mme Couturier.

Selon l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, avec la hausse draconienne de son taux directeur, la Banque du Canada nuit à son propre mandat en créant un climat économique défavorable aux investissements nécessaires à la transition écologique et à la stabilisation des prix à plus long terme.

Pourtant, l’explosion du coût des énergies fossiles est responsable à elle seule de 52 % de la surinflation observée de mars 2020 à août 2022, tandis que 16 % de la surinflation observée au mois de mars dernier est attribuable à la hausse des taux d’intérêts hypothécaires, note l’étude.

L'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques est un institut progressiste qui produit et diffuse des recherches sur les grands enjeux de société.

Le journaliste et analyste Olivier Bourque.
Olivier Bourque

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