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Des saisons d’allergies plus intenses, mais des connaissances encore limitées
Les chercheurs ne cernent pas encore tous les éléments impliqués dans l’augmentation du pollen dans l’air… Et ils manquent d’outils pour y arriver.

Les tendances polliniques laissent à penser que les allergies saisonnières risquent de s’aggraver dans les prochaines décennies en raison de l’augmentation de la température.
Photo : iStock

Les pollens vagabondent dans l’air de plus en plus tôt, y restent de plus en plus tard et s’y trouvent en quantité de plus en plus importante. Les personnes allergiques le constatent au nez, et les scientifiques, avec des observations concrètes depuis quelques années déjà.
En 2021, une étude exhaustive publiée dans les PNAS (nouvelle fenêtre) (en anglais) montrait que le changement climatique aggrave bel et bien les saisons polliniques en Amérique du Nord :
- Elles commencent environ 20 jours plus tôt;
- Elles durent en moyenne huit jours de plus;
- Elles contiennent 21 % plus de pollen.
En outre, les tendances polliniques qu’ils observent laissent à penser que le phénomène risque de s’aggraver dans les prochaines décennies en raison de l’augmentation de la température.
Le Québec n’échappe pas au phénomène continental. La saison peut maintenant y commencer dès la fin mars (avec le pollen des arbres et arbustes), se poursuivre durant le printemps et l’été (pollen des graminées) et se terminer en octobre (pollen de l’herbe à poux).
Un problème de santé publique
Cette réalité préoccupe les experts de la santé publique, puisque l'exposition aux pollens allergènes représente un risque important de problèmes respiratoires.

La concentration de pollen est plus élevée le matin et lorsque le temps est chaud, sec et venteux. À l'inverse, la pluie vient déposer les grains de pollen au sol, donnant ainsi un répit aux personnes sensibles à cet allergène.
Photo : iStock
L'exposition aux pollens peut exacerber les symptômes de l’asthme et mener à des crises qui nécessitent des visites à l’urgence. Mais dans la plupart des cas, elle cause une rhinite allergique, qui se traduit par une inflammation de la muqueuse nasale (éternuements, écoulement) et des picotements à la gorge et aux yeux.
La docteure Marie-Jo Ouimet, de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), estime que la rhinite allergique n’est pas un problème bénin.
Elle a beaucoup d’impact sur la qualité de vie d’une personne. Il y a des enquêtes qui montrent que 50 % des personnes allergiques ont des symptômes sévères qui ont des répercussions sur leur vie de tous les jours.
C’est un enjeu important. Il ne faut pas oublier les impacts sur la santé mentale, le sommeil, la dépression et l’anxiété
, ajoute la Dre Ouimet.
Mieux comprendre les pollens
Depuis les années 1990, les personnes allergiques peuvent compter sur les indices pollen pour gérer leurs symptômes. Ces prévisions sont effectuées à partir de stations d’échantillonnage qui mesurent les concentrations de pollens dans l'air.
Or, il n’existe que 32 stations d’échantillonnage au Canada, dont trois au Québec : Montréal, Québec, et Sherbrooke. Ces trois stations (en service depuis 1997-1998) fournissent les données qui alimentent les indices pollen de plusieurs médias, notamment MétéoMédia. Ces informations sont aussi utiles pour les compagnies pharmaceutiques dans le cadre de certains essais cliniques ou pour des compagnies privées qui s’en servent à des fins de marketing.

Une station utilisée par Aerobiology Research Laboratories.
Photo : Aerobiology Research Laboratories
Ces stations sont la propriété d’Aerobiology Research Laboratories, une entreprise privée d’Ottawa qui ne reçoit aucune subvention gouvernementale
pour réaliser cet important travail de collecte de données polliniques, assure Daniel Oates, le porte-parole du laboratoire.
On voudrait couvrir plus de territoire, desservir plus de villes, mais réaliser des prévisions précises coûte beaucoup d'argent. Il faudrait avoir d’autres commanditaires pour créer plus de stations.
M. Oates ajoute qu’actuellement, la priorité de son entreprise est d’améliorer la récolte de données pour permettre de partager en temps réel
l’information avec ses clients. La seule façon de le faire en ce moment, c'est d'utiliser l'équipement actuel
, explique-t-il.
Un cruel manque d’information
La Dre Marie-Jo Ouimet de l’le fait qu’il y ait seulement trois capteurs au Québec ne donne pas un portrait précis qui permet de bien orienter la prise de décision gouvernementale. Nous sommes devant un grand déficit de connaissances
, concède-t-elle.
Mais il y a aussi un manque général d’informations concernant les pollens.
Cette situation nous empêche d'aider les gens qui sont victimes d'allergie
, explique le professeur Alain Paquette, du Département des sciences biologiques de l’ UQAM.
Les gens pensent qu'on connaît les allergènes, dans quelles quantités on les trouve et à quel moment, mais on ne connaît rien!
On ne connaît pas assez bien toutes les espèces qui produisent les pollens, leur localisation, leur concentration ou encore leur couverture spatiale
, note la Dre Ouimet.
Et les interactions des pollens avec les polluants atmosphériques, les insecticides et les pesticides ne sont pas très bien comprises non plus.
Actuellement, la technique la plus répandue pour calculer la quantité de pollen dans l’air – et celle utilisée par Aerobiology Research Laboratories – repose sur la récolte des grains de pollen à l'aide de capteurs polliniques. Ces grains sont ensuite dénombrés et identifiés visuellement par un analyste lors d’un examen au microscope.
Si Daniel Oates assure que les mesures de sa compagnie sont précises à 80 % dans un rayon de 50 km autour de la station d’échantillonnage, il reconnaît que les prévisions sont plus à l’échelle macro que micro.
Mais l’île de Montréal s’étire sur 483 km2.
C'est une très grande île dans laquelle la présence des espèces d’arbres varie grandement d'un quartier à l'autre. Il y a aussi les vents qui ne sont pas les mêmes d’un endroit à l’autre à cause des effets des bâtiments ou de l'absence ou de la présence d'arbres.
Est-ce qu'on peut extrapoler pour tout le monde de Montréal à partir d’une seule station? Je ne pense pas
, relève Alain Paquette.
Mieux surveiller le pollen
Le laboratoire du professeur Paquette a reçu des fonds du ministère de la Santé du Québec dans l’objectif de mettre au point un véritable réseau efficace et pertinent de surveillance des pollens
.
Son équipe a créé des stations d’échantillonnage faciles à fabriquer et peu dispendieuses qu’elle a placées à 25 endroits sur l’île de Montréal et à quelques autres endroits de la province.

Les stations d’échantillonnage sont placées à 25 endroits sur l’île de Montréal.
Photo : UQAM/PaqLab
L’idée est d’éventuellement obtenir les informations les plus précises possibles sur la variabilité des concentrations de pollen, des données qui seront utiles aux personnes allergiques qui savent que la prise d’antihistaminiques quelques jours avant les symptômes les rend beaucoup plus efficaces.
Au-delà du médicament, les gens peuvent aussi changer leur horaire et décider de devancer ou de retarder une activité en fonction de la présence de tel ou tel pollen. Mais pour le faire, il faut qu'on ait l'information précise
, poursuit le professeur.
L'une des stations d'échantillonnage du projet du professeur Paquette
Photo : UQAM/PatLab
Les stations mises au point par le groupe du professeur Paquette coûtent chacune autour de 4 $ à confectionner.
C'est essentiellement un assemblage de tuyaux en ABS qu'on trouve dans les quincailleries dans lequel on place un récipient comme ceux qu'on utilise pour les échantillons d'urine. On place dans le fond une couche d'un liquide ou d'un gel qui retient les pollens et que l’on collecte aux deux semaines pour les analyser.
Les stations mises au point par le groupe du professeur Paquette coûtent chacune autour de 4 $ à confectionner.
Photo : UQAM/PatLab
Le groupe du professeur Paquette développe également des outils moléculaires en collaboration avec la chercheuse Isabelle Laforest-Lapointe de l’Université de Sherbrooke.
On analyse directement l’ADN des pollens pour identifier leur provenance. Ces analyses moléculaires permettent d'aller au-delà du genre, d’identifier les types de pollen des arbres, des graminées et des herbes au niveau des espèces
, renchérit le professeur.
Quand on donne des prévisions pour l’érable, ça ne veut rien dire pour les botanistes. Pour une ville comme Montréal, c'est extrêmement important de savoir laquelle des trois espèces d'érables il s’agit, puisque leur phénologie n’est pas la même.
La phénologie est le rythme d'apparition des événements importants dans le cycle d'une plante. Ainsi, la phénologie de la floraison des érables argentés et de Norvège, les deux espèces les plus abondantes, varie d’un mois.
On pense que les pollens de certaines espèces sont plus petits ou de formes particulières, et qu’ils sont transportés sur de grandes distances, alors que d'autres sont transportés sur de plus courtes distances.
Si ces analyses moléculaires permettent de préciser les espèces présentes, elles ne donnent toutefois aucune information concernant leur quantité relative, une donnée pourtant essentielle.
Pour cette raison, les chercheurs mettent aussi au point une méthode basée sur la cytométrie en flux, qui est utilisée pour l’analyse des échantillons d'urine ou de sang.
La technique permet d’établir combien il y a de grains de pollen de chacune des espèces dans l’échantillon.
Jumelée avec l’intelligence artificielle, elle permettra d’évaluer les proportions de différents pollens à un endroit donné.
C'est l'intelligence artificielle qui va reconnaître quelles sont les caractéristiques qui différencient les pollens.
Évidemment, lorsqu’un échantillon vient d’un champ ou d’une ville, il ne contient pas que des pollens. Il y a un paquet d’autres choses qui s’y trouvent, comme de la poussière et des morceaux d'insectes. C'est un niveau de difficulté supplémentaire pour l'intelligence artificielle, qui doit discerner ce qu’est un pollen et ce qui ne l’est pas.
Les allergiques consultés
Le laboratoire du professeur Paquette mène en parallèle une vaste enquête auprès des personnes allergiques qui permettra de noter où elles se trouvent sur l’île de Montréal et quels sont leurs symptômes.
Cela permettra de mieux comprendre la distribution dans l'espace des pollens. Par exemple, à quelle distance d'un arbre en particulier ou d'un groupe d'arbres, est-ce que les gens sont affectés?
À l’aide des codes postaux des personnes recrutées, particulièrement celles situées dans l'environnement immédiat de nos 25 stations, le professeur Paquette et ses collègues espèrent être capables d'établir un lien entre les symptômes allergiques et la présence et l'absence et l'abondance de certaines espèces dans leur environnement immédiat, là où elles vivent
.
De bonnes intentions… néfastes
Si toutes ces informations récoltées grâce à ces initiatives sont utiles pour les personnes allergiques, elles le seront également pour les villes qui pourront les utiliser pour mieux planifier leurs forêts urbaines.
Par le passé, les villes ont choisi principalement des arbres mâles parce qu'ils ne produisent pas de fruits, ce qui était apprécié pour l’entretien des rues et des trottoirs
, relève Marie-Jo Ouimet de l’ INSPQ. Or, la principale conséquence de ce choix a été l’augmentation du pollen émis par les mâles en circulation dans l’air
, ajoute-t-elle.
Pour le professeur Paquette, plusieurs villes font maintenant preuve de bonne volonté
et agissent sur leur forêt urbaine pour minimiser la quantité de pollens allergènes en circulation.
Le problème, c'est que les villes consultent plusieurs guides qui ne s'entendent pas entre eux
, souligne M. Paquette, qui relève qu'ils indiquent tous, pointage à l’appui (souvent de 1 à 10), l'allergénicité des espèces. Deux guides peuvent dire exactement l’inverse sur la même espèce. Ces guides nous semblent basés sur des légendes
, s'étonne le professeur.
C'est vraiment dramatique. La ville de Montréal passe du vert au rouge d’un guide à l’autre. Dans l’un, elle est considérée peuplée d'espèces peu allergènes, et dans l’autre, d'espèces très allergènes.
Ces guides sont pourtant créés à partir du même inventaire d’arbres. L'équipe de l'Scientific reports (nouvelle fenêtre) (en anglais) en 2021 sur le sujet.
UQAM a publié un article dans la revueDes décideurs municipaux bien intentionnés se basent sur ces guides pour décider quoi planter pour améliorer la santé des citoyens, en pensant qu'ils sont bien faits
, s'indigne le professeur Paquette, qui souhaite que les connaissances acquises grâces à ses travaux aideront les villes à diversifier les espèces d’arbres et à diminuer les proportions relatives de chacune d’entre elles.