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Autodétermination des Autochtones : une route semée d’obstacles

Le drapeau canadien flotte devant le parlement à Ottawa.
Photo : getty images/istockphoto / franckreporter
Ententes-cadres, traité moderne, autodétermination, réconciliation... Voilà autant de termes qui ont été employés et de processus qui ont été lancés dernièrement en matière de relations entre les peuples autochtones et Ottawa.
Pendant ce temps, des centaines de communautés autochtones du pays ont du mal à répondre aux besoins de base de leurs membres, que ce soit sur les questions du logement, de l'accès à l'eau potable, de l'éducation ou de protection de l'enfance. Quel chemin suivre pour améliorer la situation en respectant les particularités culturelles, sociales, économiques et politiques de chacune?
En 2021, le gouvernement du Canada a adopté la loi C-15 sur l'implantation de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). On en est maintenant à l'étape de l'élaboration d'un plan d'action (nouvelle fenêtre) qui tentera d'établir la meilleure marche à suivre pour que cette loi donne des résultats concrets, un processus qui peut se révéler complexe.
En entrevue, le ministre fédéral des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, a expliqué que ce plan d'action devrait contenir un plan de match qui permet d'établir des relations de nation à nation en dehors des paramètres racistes de la Loi sur les Indiens
.

Marc Miller, ministre des Relations Couronne-Autochtones.
Photo : Radio-Canada
Mais la situation n'est pas si simple, car une proportion importante de nations autochtones du pays se concentrent davantage sur la réponse aux besoins de base de leurs membres qu'à la négociation sur des enjeux politiques complexes.
Un premier principe : les peuples autochtones ont droit à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale. Il est clairement établi dans l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et est réitéré par l'adoption de la
DNUDPA, explique l'avocat spécialiste en droit autochtone Nadir André, qui est d'origine innue.Cependant, il est clair qu'il faut évaluer les possibilités et les capacités des différentes nations qui, à ce stade-ci, sont variables
, explique-t-il.
Vers un nouveau type d'ententes?
Après Wendake jeudi, (nouvelle fenêtre) c'est au tour de la communauté anishinaabe de Kitcisakik de signer une entente-cadre (nouvelle fenêtre) avec Ottawa dans le but de poursuivre sur la voie de la réconciliation et des relations de nation à nation
, comme le mentionne le communiqué lié à l'événement.
Non juridiquement contraignantes, ces ententes peuvent être perçues comme préliminaires : elles permettent de dégager les sujets sur lesquels souhaite négocier la nation ou la communauté autochtone concernée pour parvenir à une entente.
Selon Nadir André, il est intéressant de constater que les ententes ont été signées avec des communautés aux réalités aussi différentes que Wendake et Kitcisakik, mais l'important reste de voir où ces accords vont mener concrètement.
Alors que Wendake est la seule communauté de la Nation huronne-wendat et qu'elle a le statut de réserve reconnue par la Loi sur les Indiens, Kitcisakik est l'une des neuf communautés anishinaabe du Québec, et son territoire n'a jamais été bien défini aux yeux de la loi. Kitcisakik est d'ailleurs l'une des seules communautés du Québec qui n'a pas accès à l'électricité ni à l'eau courante (nouvelle fenêtre).
La plupart des résidents de Kitcisakik utilisent des génératrices pour avoir de l'électricité dans la maison.
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Cotnoir
Le plus souvent, les grandes revendications qui mènent à des traités modernes sont négociées entre l'ensemble d'une nation autochtone et les gouvernements concernés. Avec l'entente-cadre à Kitcisakik, Ottawa semble prendre une approche différente, qui permet de s'adapter aux particularités d'une communauté
, explique M. André.
Quoi qu'il en soit, malgré un changement de contexte dans les dernières années, la méfiance des Premières Nations à l'égard de telles ententes persiste.
Nous sommes conscients qu'une entente-cadre non contraignante juridiquement ne va pas convaincre grand monde, il faudra que les discussions qui s'ensuivront mènent à des actions concrètes
, indique le ministre Miller.
La nécessité de créer de nouveaux rapports
Depuis 1876, les Premières Nations du Canada sont soumises à la Loi sur les Indiens. De fil en aiguille, celle-ci a guidé les politiques fédérales qui ont mené à la sédentarisation forcée de centaines de communautés du pays.
Si on prend des exemples comme certaines communautés autochtones du nord de l'Ontario, où les réserves ont été construites dans des marécages, des zones inondables, qui font en sorte que les résidents doivent être évacués chaque année. Il y a aussi le surpeuplement de logements, d'accès à l'eau potable, etc.
, explique M. André.

Nadir André, avocat innu spécialisé en droit autochtone.
Photo : Radio-Canada
Quand les calculs sont faits pour voir quels montants d'argent seraient nécessaires pour rendre la qualité de vie de tous les Autochtones du Canada comparable à celle des autres Canadiens, il n'y a aucun gouvernement fédéral, provincial ou même un haut fonctionnaire qui pourrait proposer cette solution, les coûts sont extravagants.
Selon des études réalisées par l'Assemblée des Premières Nations du Canada (APN), 44 milliards de dollars sur 10 ans seraient nécessaires pour mettre fin à la crise du logement, ce qui représente plus de 10 fois les montants prévus dans le budget fédéral 2023.
On en parle souvent, la seule manière d'améliorer concrètement la situation des communautés autochtones est d'organiser un meilleur partage des redevances sur les ressources naturelles. Le Canada est un pays de production de ressources naturelles et il est complètement absurde que les entreprises empochent des profits astronomiques sur des territoires ancestraux de communautés autochtones qui n'ont même pas de quoi financer leurs infrastructures de base
, insiste l'avocat.
Le ministre Miller est bien au fait de la situation. Il rappelle cependant que les discussions qui touchent les redevances sur l'exploitation des ressources naturelles relèvent principalement des provinces.
Même si le fédéral faisait preuve de la meilleure volonté du monde, sans ouverture de la part des provinces sur certains dossiers, la situation ne pourrait pas évoluer. Cependant, selon Nadir André, le fédéral, comme les provinces, a encore beaucoup à prouver dans ses relations avec les Autochtones.
Pour l'instant, les ententes-cadres comme celles-ci, ça reste du marketing politique. Pour se sortir des différentes crises qui touchent les communautés, il faudra non seulement que les nations parviennent à des ententes concrètes avec Ottawa, mais également que les gouvernements provinciaux arrivent à la table des négociations pour que l'influence de ces ententes puisse s'étendre au-delà des limites des réserves
, explique Nadir André.
Un enjeu crucial qui tient au fonctionnement politique du Canada : les communautés autochtones sont situées généralement sur des terres de compétence fédérale, mais ce sont les provinces qui sont gestionnaires de leurs territoires et des ressources naturelles qu'elles recèlent.
Sans participation des provinces pour négocier sur les questions territoriales, ces ententes seront loin d'avoir la même portée
, précise M. André.