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L’Alberta, grande championne canadienne de la croissance économique, mais…

L’Alberta est la seule province où on prévoit une progression soutenue du PIB cette année. Pourtant, peu d'Albertains voient la couleur de ces profits, en grande partie tirés des ressources naturelles de la province. Comment expliquer cette situation?

Un chevalet de pompage tire du pétrole du sol à la brunante dans les environs de Calgary, en Alberta, le samedi 17 septembre 2022.

Si les analystes prévoient des profits élevés pour les pétrolières canadiennes en 2023, ils ajoutent que ces revenus risquent d'être investis dans les dividendes aux actionnaires plutôt que dans de grands projets.

Photo : La Presse canadienne / Jeff McIntosh

Mathieu Gohier
Mathieu Gohier

La saison des budgets confirme la tendance entamée l’an dernier. Grâce au prix des ressources naturelles, l’Alberta demeurera la province championne de la croissance économique au pays en 2023.

Des quatre plus grandes provinces canadiennes, elle est la seule où l'on prévoit une progression soutenue du produit intérieur brut (PIB) cette année, alors que l’Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique sont à risque de subir une récession.

Prévision de croissance en 2023

  • Alberta : 2,8 %
  • Québec : 0,6 %
  • Colombie-Britannique : 0,4 %
  • Ontario : 0,2 %

Sauf que cette vigueur tarde à se manifester concrètement dans la province. Avec un taux de chômage de 6,6 %, Calgary est la grande ville canadienne qui compte la plus grande proportion de gens à la recherche d’un emploi.

Une courte balade au centre-ville de la métropole albertaine confirme également que le nombre d’espaces commerciaux vacants est toujours élevé.

Une bannière annonce qu'un espace commercial est disponible à la location au centre-ville de Calgary.

Les espaces commerciaux à louer sont encore nombreux au centre-ville de Calgary.

Photo : Radio-Canada / Richard Marion

Comment expliquer cette situation?

Après plusieurs années où le prix du baril de pétrole restait bas, les grandes pétrolières préfèrent aujourd’hui verser des dividendes à leurs actionnaires plutôt que réinvestir leurs profits dans la production, explique Charles St-Arnaud, économiste en chef de l’Alberta Central, le réseau des caisses populaires de la province.

On a des revenus qui ont dépassé de 75 % les booms précédents. La différence, c’est que oui, on a énormément d’argent qui vient de la production pétrolière, mais il y a très peu de ces revenus qui restent dans la province, explique-t-il en entrevue dans son bureau de Calgary.

L'économiste Charles St-Arnaud dans son bureau de Calgary.

L'économiste Charles St-Arnaud.

Photo : Radio-Canada / Richard Marion

Résultat : les prix élevés ne génèrent plus les mêmes retombées que lors des booms précédents, le dernier remontant à 2014.

Ça profite moins aux secteurs qui normalement auraient dû en profiter. Par exemple [dans] le secteur de la construction et le secteur manufacturier, il y a beaucoup moins de création d’emplois.
Une citation de Charles St-Arnaud, économiste en chef de l’Alberta Central

La pénurie de travailleurs, un frein à la croissance

Si l'industrie pétrolière et gazière ne génère plus autant d’emplois qu’avant, elle vit quand même sa meilleure période depuis près d’une décennie.

Le président-directeur général de l’association qui représente les sous-traitants du domaine énergétique, Mark Scholz, parle d'ailleurs d’un changement de rythme des activités pétrolières et gazières qui réjouit ses milliers de membres.

Mark Scholz en entrevue dans son bureau de Calgary.

Le PDG de l'association des sous-traitants du domaine énergétique, Mark Scholz.

Photo : Radio-Canada / Richard Marion

Néanmoins, après des années de stagnation, le manque de main-d'œuvre qualifiée est aujourd’hui un frein à la croissance.

On a vu des niveaux d’activité qui auraient pu être plus élevés, surtout dans les plates-formes pétrolières, si on avait accès à plus de travailleurs, soutient Mark Scholz.

Attirer des travailleurs dans le domaine pétrolier et gazier s'avère plus ardu qu'autrefois, ajoute-t-il. Plusieurs ont préféré attendre de voir si les prix allaient se maintenir avant de retourner sur les plateformes.

On vient d'avoir environ 24 mois de stabilité dans le secteur et on commence à voir beaucoup plus d'intérêt de gens qui ont déjà travaillé dans l'industrie et même de ceux qui voudraient y entamer leur carrière, illustre Mark Scholz.

Le moment de diversifier et de décarboner

La croissance devrait être soutenue pendant encore quelques années, croient les économistes. Mais s’il y a bien quelque chose que les Albertains savent, c’est que les booms pétroliers ne sont jamais éternels.

Pour la province, cette manne pourrait être la meilleure occasion de diversifier davantage son économie tout en réduisant l’énorme empreinte carbone de l’industrie énergétique.

Pour accélérer la réduction des gaz à effet de serre (GES) associés à la production pétrolière, la présidente de la Chambre de commerce de Calgary, Deborah Yedlin, espère que le budget fédéral de Chrystia Freeland dévoilé mardi contiendra des mesures en ce sens.

Il y un sentiment d’urgence, on sait qu’il faut décarboner [...]. Il faut se concentrer sur la captation et la séquestration du carbone, soutient-elle.

Un camion circule dans les sables bitumineux de Syncrude près de Fort McMurray le 1er juin 2014.

Les installations de Syncrude près de Fort McMurray.

Photo : La Presse canadienne / Jason Franson

Avec l’adoption de l’Inflation Reduction Act et ses subventions massives à la décarbonation aux États-Unis, le Canada et l’Alberta n’ont pas les moyens d'attendre sans rien faire, selon Deborah Yedlin.

On aimerait voir des subventions semblables à l’Inflation Reduction Act. Bon, ce n’est peut-être pas réaliste, mais on aimerait voir des incitatifs à la décarbonation plus costauds pour assurer que le Canada demeure compétitif, indique Mme Yedlin.

Pour l’Alberta, croissance et énergie vont encore de pair, mais ce boom pourrait marquer un tournant qui ferait plutôt rimer croissance et environnement.

Mathieu Gohier
Mathieu Gohier

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