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Des agents de sécurité réclament des « centaines de milliers de dollars » à Neptune

Ottawa doit revoir ses règles d’octroi de contrats dans les centres de détention, clame le syndicat des agents du Centre de surveillance de l’immigration de Laval.

Une affiche indique le centre à Laval.

Centre de surveillance de l'immigration

Photo : Radio-Canada / Olivier Plante

Romain Schué
Gaétan Pouliot

« Ça a été très difficile, surtout mentalement. »

Cet agent du Centre de surveillance de l’immigration de Laval (CSI) ne trouve pas d’autres mots pour décrire son expérience avec la firme privée Neptune Security, qui a obtenu l’été passé un important contrat pour gérer la sécurité de ce site.

Heures de travail non payées, formations déficientes, équipements manquants, ratios non respectés : le syndicat des Teamsters, qui représente les employés du CSI, a recensé une multitude d’éléments troublants qui ont touché leurs membres.

C’était complètement abominable, résume Pierre-André Blanchard, le président de la Section locale 931.

L’expérience a été complètement néfaste dès le jour 1 de l’arrivée de Neptune. Ils n’ont pas été capables de respecter les minimums requis.
Une citation de Pierre-André Blanchard, président de la Section locale 931 des Teamsters

Comme l’a récemment révélé Radio-Canada (nouvelle fenêtre), ces manquements ont poussé Ottawa à revoir l’entente qui avait été signée pour trois ans, d’une valeur de 42 millions de dollars.

À la suite d’une entente mutuelle, cette agence privée a quitté le CSI à la mi-février, quelques mois à peine après son arrivée l’été passé. Mais les problèmes n’ont pas encore été résolus, selon le syndicat des Teamsters.

Problèmes de paie

Sur les talons de paies, les erreurs seraient nombreuses. On parle de centaines de milliers de dollars. Il y a des erreurs de paie ou encore des vacances et des congés de maladie non payés, dit Pierre-André Blanchard. Le syndicat des Teamsters estime que Neptune doit plus de 300 000 $ aux travailleurs.

À ce jour, explique-t-il, une soixantaine de griefs ont été déposés. Il pouvait manquer 350 $ 400 $, 600 $ sur une paie. C’est la première fois de ma carrière que je vois des erreurs aussi importantes et répétées.

Un de mes amis a eu 1500 $ de moins [sur une paie], reprend l’agent qui a accepté de nous parler. Puisqu’il est toujours en poste au CSI, nous avons accepté de taire son identité.

Dès le début, on a commencé à avoir des problèmes de paie. Après ça, du m’en-foutisme au travail, je n’en ai jamais vu autant.
Une citation de Un agent de sécurité employé par Neptune

Un autre agent qui s’est livré à Radio-Canada estime que la compagnie lui doit toujours des milliers de dollars. C’est une compagnie très mal organisée, dit-il. Il soutient qu’il fallait parfois attendre des mois avant que Neptune ne corrige ses erreurs de paie.

Les ressources étaient largement insuffisantes, note aussi le syndicat.

Normalement, il devait y avoir 250 agents au Centre de surveillance de l’immigration. Mais il a toujours manqué au moins une centaine d’agents. Ils fonctionnaient en équipes réduites. Ça génère de la fatigue, il y a plus d’absentéisme et ça amplifie le problème, décrit Pierre-André Blanchard.

Quand durant plusieurs semaines, plusieurs mois, il manque de staff, au final, les employés sont brûlés et ils refusent de faire de l’overtime, poursuit l’agent qui nous a parlé.

Dans un courriel interne, obtenu par Radio-Canada, la directrice adjointe du CSI évoquait, au début du mois de janvier, un manque de gardes [qui] met en péril la santé et la sécurité du site. Des propos confirmés par le syndicat.

Ça met à risque autant la santé des détenus que des employés, estime le président de la section locale 931.

À un certain moment, il n’y avait même pas assez de personnel pour gérer le site en cas d’incendie, indique un agent de sécurité à Radio-Canada.

Ça reste un milieu de travail imprévisible. S’il arrive une situation, une intervention physique, il n’y a pas assez d’agents prêts à se déplacer, assure un autre agent.

Ce dernier se souvient des premiers jours chez Neptune. Certains nouveaux agents, indique-t-il, n’avaient pas d’uniforme. Certains étaient en jeans et en running shoes, sans chaussures de sécurité.

Questionnée par Radio-Canada sur ces irrégularités, l’agence de sécurité Neptune n’a pas voulu faire de commentaires, en invoquant des accords de confidentialité.

Au cours des dernières années, Neptune a touché des centaines de millions de dollars en contrats publics au pays, notamment pour surveiller des palais de justice et des postes de police. La Gendarmerie royale du Canada, la Sûreté du Québec et le ministère de la Sécurité publique du Québec font notamment appel à l’agence de sécurité, qui était le plus bas soumissionnaire conforme lors des appels d’offres.

Portrait de Badreddine Ahmadoun et Robert Butler.

Badreddine Ahmadoun et Robert Butler

Photo : Radio-Canada

Le PDG aux deux identités

L’émission Enquête a révélé que le grand patron de Neptune utilise une double identité (nouvelle fenêtre) dans la conduite de ses affaires.

Robert Butler, qui se présente comme le PDG de la compagnie devant les tribunaux, utilise également le nom Badredddine Ahmadoun lorsqu’il dirige d’autres entreprises, dont l’agence immobilière Land/Max, en Ontario.

Vous présenter comme une autre personne ou sous deux identités, c’est une fraude, explique Martine Valois, avocate et professeure de droit à l’Université de Montréal.

Contacté par Radio-Canada, Robert Butler affirme avoir changé de nom, mais refuse d’en fournir la preuve. Ce n’est pas votre problème c’est lequel le vrai ou le pas vrai. Je peux choisir n'importe quel nom, dit-il.

L’homme d’affaires soutient aussi ne pas être le dirigeant de Neptune. Pourtant, en octobre dernier, c’est lui qui a négocié pour la compagnie la convention collective des agents du Centre de surveillance de l’immigration, nous apprend le syndicat des Teamsters.

[Robert Butler] a son livre de lois à lui. Il se pensait au-dessus de toutes les lois. Que ce soit pour des relevés d’emploi, que ce soit pour les normes du travail ou quoi que ce soit. Il s’en foutait, selon une des sources qui ont été proches des opérations de l’agence de sécurité.

À la suite des révélations d’Enquête, le ministre québécois de la Sécurité publique, François Bonnardel, a demandé au Bureau de la sécurité privée de faire les vérifications nécessaires dans le dossier Neptune.

Une révision des règles souhaitée

Aux yeux du syndicat des Teamsters, cette situation doit pousser Ottawa à revoir ses règles d’octroi des contrats.

Clairement, le gouvernement doit se questionner. Choisir le plus bas soumissionnaire, c’est une chose. Mais le faire sans vérifier, c’est irresponsable. Tu dois enquêter sur les entreprises, vérifier si elles ont les outils pour faire face au contrat, estime Pierre-André Blanchard qui évoque le peu de formation donnée aux agents.

Un gardien de prison reçoit plusieurs mois de formation. Mais pour un agent de surveillance, tout se fait en l’espace d’une semaine. Or, c’est un travail extrêmement important, mais dangereux. C’est préoccupant, juge-t-il.

Neptune pourrait perdre le droit de décrocher et d’exécuter des contrats publics au Québec. Radio-Canada a appris que l’Autorité des marchés publics mène une enquête sur cette compagnie. Par courriel, l’AMP confirme que ses vérifications menées auprès de Neptune Security sont terminées. [...] Une décision sera rendue incessamment, écrit-on.

Romain Schué
Romain Schué
Gaétan Pouliot
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