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[Analyse] Ingérence étrangère : « Ne prenez pas les Canadiens pour des imbéciles » 

« La désinformation sert notamment à susciter des craintes inutiles chez les communautés et le public ainsi que la méfiance à l’égard des élections et de la société canadiennes. C’est extrêmement dangereux et inquiétant. »

Un bureau de vote.

Bureau de vote de la rue Saint-Urbain, le plus proche du quartier chinois de Montréal, lors de l’élection fédérale de 2021.

Photo : Radio-Canada / Yan Liang

Yan Liang

Le 10 mars dernier, Marco Mendicino, ministre de la Sécurité publique du Canada, a annoncé le lancement de consultations publiques sur le « registre visant la transparence en matière d’influence étrangère au Canada ».

Le sénateur Yuen Pau Woo a immédiatement réagi (nouvelle fenêtre) sur Twitter : Il y a cent ans, en vertu de la Loi d’exclusion des Chinois, le Canada a forcé tous les Chinois au Canada à s’enregistrer sous peine d’être expulsés. Comment éviter que cette loi ne devienne une nouvelle forme d’exclusion des Chinois?

Mabel Tung, porte-parole du groupe de réflexion Chinese-Canadian Concerned Group on the Chinese Communist Party’s Human Rights Violation, a déclaré à Radio Canada International qu’elle avait immédiatement trouvé cette comparaison ridicule et que les Canadiens étaient pris pour des imbéciles.

Cette comparaison tente d’exploiter le racisme pour dissimuler la tentative du Parti communiste chinois de s’ingérer dans le processus démocratique canadien et de s’infiltrer dans la société canadienne. Elle représente également une menace pour ceux qui critiquent le Parti communiste chinois, visant à les faire taire.
Une citation de Mabel Tung, porte-parole du Chinese-Canadian Concerned Group on the Chinese Communist Party’s Human Rights Violation
Yuen Pau Woo debout devant des colonnes blanches.

Le sénateur Yuen Pau Woo.

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Margaret McCuaig-Johnston, experte haut placée de la Chine, a confié à Radio Canada International que la déclaration du sénateur Yuen Pau Woo s’apparente à la désinformation diffusée sur le réseau social chinois WeChat pour attaquer Kenny Chiu, un ancien député conservateur, avant l’élection fédérale de 2021. À l’époque, un message sur WeChat affirmait que le projet de loi sur l’enregistrement des agents étrangers proposé par Kenny Chiu demandait à tous les Canadiens d’origine chinoise de s’enregistrer et qu’elle provoquerait de l’hostilité à l’égard de la communauté chinoise.

Margaret McCuaig-Johnston a précisé que ce projet de loi prévoyait en fait l’enregistrement des lobbyistes et des consultants représentant des gouvernements ou des groupes politiques étrangers, ainsi que des personnes faisant du lobbying auprès de fonctionnaires fédéraux de rang moyen ou supérieur ou de parlementaires. De plus, les agents tenus de s’enregistrer ne se limitaient pas aux personnes d’origine chinoise, mais comprenaient les personnes qui avaient été lobbyistes ou consultants pour des gouvernements étrangers, y compris des fonctionnaires canadiens à la retraite.

Ces fausses informations sont effectivement ridicules. La désinformation sert notamment à susciter des craintes inutiles chez les communautés et le public ainsi que la méfiance à l’égard des élections et de la société canadiennes. C’est extrêmement dangereux et inquiétant.
Une citation de Margaret McCuaig-Johnston, experte des relations Canada-Chine

Selon la page Web de Sécurité publique Canada consacrée à la consultation des Canadiens sur le bien-fondé d’un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère (nouvelle fenêtre), la protection du Canada contre l’ingérence étrangère constitue une responsabilité majeure du gouvernement. Ces dernières années, le Canada a été de plus en plus souvent la cible de pays hostiles. La menace d’ingérence étrangère n’est certes pas nouvelle, mais elle évolue. Allant du piratage au harcèlement, des élections aux affaires, elle est présente dans la vie quotidienne des Canadiens.

Une femme.

Margaret McCuaig-Johnston, experte des relations entre le Canada et la Chine, lors d'une entrevue à la CBC en 2019. (Archives)

Photo : Radio-Canada / CBC

Ne prenez pas les Canadiens pour des imbéciles

La semaine dernière, Guo Ding, un commentateur médiatique réputé dans la communauté sino-canadienne, a publié un article critiquant les médias canadiens et les accusant d’être un outil de discrimination raciale et anti-Chine. Dans le passé, ce sont les médias qui jetaient de l’huile sur le feu, provoquant une recrudescence de l’hostilité à l’égard des Chinois et conduisant à l’adoption de la fameuse Loi d’exclusion des Chinois.Mais Margaret McCuaig-Johnston conteste ce point de vue.

Nous devons être très clairs lorsque nous abordons cette question. Cette proposition ne constitue en aucun cas un acte de racisme à l’encontre des Chinois ou des Canadiens d’origine chinoise. Les médias canadiens ne font que rapporter les faits et ne ciblent pas la Chine. Au contraire, ce sont les comportements du gouvernement chinois [ingérence ou manœuvres d'infiltration] qui ont suscité de nombreuses critiques.
Une citation de Margaret McCuaig-Johnston, experte des relations Canada-Chine

Mabel Tung a rappelé que la proposition de registre était attendue depuis longtemps et qu’elle ne vise pas seulement la Chine, mais tous les lobbyistes étrangers, comme les agents russes ou iraniens, et que les activistes des deux pays étaient également exposés à des menaces et à des intimidations importantes.

La tristement célèbre Loi d’exclusion des Chinois [ou Loi de l'immigration chinoise dans son appellation officielle, NDLR] a été adoptée au Canada en 1923, il y a 100 ans, et a été abolie en 1947. Pendant cette période de plus de 20 ans, les Chinois et les familles de Sino-Canadiens ont été interdits d’entrée au Canada.

En 2006, l’ancien premier ministre Harper a présenté des excuses officielles à la communauté chinoise pour la taxe de vote et la Loi d’exclusion des Chinois, et a versé des indemnités aux personnes survivantes qui avaient été assujetties à la taxe de vote et aux descendants des victimes.

Selon Mabel Tung, la situation actuelle est différente de celle d’il y a cent ans et les Canadiens connaissent bien les notions de multiculturalisme et de racisme. Par exemple, la Charte canadienne des droits et libertés (1982) et la Loi sur le multiculturalisme canadien (1985) reconnaissent la contribution des minorités ethniques à la société canadienne et protègent leur culture d’origine. De nombreux Chinois savent également qu’ils sont protégés par la loi en tant que Canadiens.

La lutte contre les manœuvres d’infiltration et l’ingérence étrangères peut renforcer la sécurité des Chinois

Selon Mabel Tung, les médias grand public au Canada ont régulièrement rapporté que les communautés asiatiques font l’objet de manifestations de haine et de discrimination (nouvelle fenêtre).

Depuis la pandémie de COVID-19, les crimes haineux contre des groupes ethniques asiatiques ont augmenté, ce qui a incité la communauté chinoise à rester vigilante et à organiser des activités contre la discrimination (nouvelle fenêtre). Cependant, la proposition de registre visant la transparence en matière d’influence étrangère et les enquêtes sur l’ingérence du gouvernement chinois dans l’élection fédérale n’ont rien de raciste. Il s’agit plutôt d’assurer la sécurité des activistes sino-canadiens.

Mme Tung a confié à Radio Canada International que plusieurs personnes originaires de Chine continentale lui avaient affirmé qu’elles n’oseraient pas assister à la commémoration du 4 juin à Vancouver à cause de leur famille restée en Chine. Au cours des deux dernières années, de plus en plus de personnes craignent de soutenir les activités de Hong Kong en matière de droits de la personne ou de s’opposer au génocide commis par la Chine au Xinjiang.

Lors d’audiences au Parlement, certains activistes chinois ont également déclaré avoir été victimes d’intimidation ou de harcèlement au Canada, et ont fait part de leur expérience.

Mabel Tung a ajouté que les consulats chinois exercent une influence considérable sur les communautés chinoises. Par exemple, les médias ont révélé que l’ancien consul général de la République populaire de Chine à Vancouver s’était vanté d’avoir fait perdre leur siège à deux députés conservateurs.

Margaret McCuaig-Johnston a conclu que la proposition de registre visant la transparence en matière d’influence étrangère n’est qu’une première étape. Elle estime que le Canada devrait prendre des mesures plus strictes pour obliger les gouvernements étrangers qui s’ingèrent dans les élections canadiennes à rendre des comptes, notamment en expulsant davantage de diplomates et en annulant certains pourparlers au niveau gouvernemental.

La semaine dernière, le premier ministre Justin Trudeau a cédé à la pression en annonçant la désignation d’un enquêteur spécial (nouvelle fenêtre) sur l’ingérence de la Chine dans l’élection fédérale canadienne, et des mesures supplémentaires qui seront définies après la publication du rapport.

Margaret McCuaig-Johnston estime toutefois que ces mesures arrivent trop tard et que si le gouvernement n’apporte pas de réponses claires à cette question et ne prend pas de mesures sérieuses avant la prochaine élection, les Canadiens vont probablement devoir voter dans la crainte, ce qui pourrait avoir de sérieuses répercussions sur le système démocratique au Canada. C’est la principale préoccupation de l'experte.

Note : ce texte est également disponible en chinois traditionnel, en chinois simplifié et en anglais

Yan Liang

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