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Des interventions gynécologiques douloureuses faites sans anesthésie
Des femmes témoignent sur TikTok avoir été traumatisées par certaines interventions, notamment la pose d'un stérilet et des biopsies du col de l'utérus.

Plusieurs interventions gynécologiques sont couramment faites sans anesthésie au Québec.
Photo : getty images/istockphoto / Mariakray
« Ç'a été la pire expérience de ma vie. J’ai l’impression d’être traumatisée », confie une jeune femme en larmes dans une vidéo sur TikTok, alors qu’elle vient tout juste de se faire poser un stérilet. Comme elle, de nombreuses femmes prennent la parole sur cette application pour dénoncer le fait d'avoir subi des interventions gynécologiques courantes, notamment des biopsies du col de l'utérus et la pose d’un stérilet sans anesthésie.
Ces douleurs ont été jumelées à un sentiment d’incompréhension pour beaucoup d’entre elles, qui indiquent s’être fait dire par leurs médecins qu’elles ne ressentiraient qu’un pincement
ou un inconfort
.
Ce phénomène est répandu : celles qui le dénoncent viennent aussi bien des États-Unis et du Canada que de la France. Ce problème concerne également des personnes non binaires et trans qui doivent subir ces interventions.
Bien que les Québécoises ne soient pas à l’avant-plan des dénonciations, la province ne fait pas exception.
Les interventions comme les biopsies du col de l'utérus ou la pose d'un stérilet sont couramment faites sans anesthésie au Québec. La Dre Diane Francœur, qui dirige la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, confirme que la norme consiste à prescrire des anti-inflammatoires, comme des Advil, mais que les pratiques varient d’une clinique à une autre.
Il n’est pas obligatoire de soulager la douleur des patientes au cours de ces interventions. À l’extérieur de l’association, il n’y a même pas de guide clinique à ce sujet-là, il n’y a pas de recommandations officielles
, indique la Dre Josianne Paré, qui est membre du conseil d’administration de l'Association des obstétriciens et gynécologues du Québec (AOGQ).
Des termes à connaître
Colposcopie : une colposcopie est un examen de la vulve, du vagin et du col de l’utérus fait à l’aide d’un microscope. Cet examen est souvent recommandé à la suite d’un test PAP qui a permis de détecter des cellules anormales sur le col de l’utérus. Cette intervention peut aussi comprendre une biopsie du col.
Stérilet : le stérilet est un moyen de contraception. Il s’agit d’un petit dispositif en forme de T
qui est inséré dans l’utérus. Il en existe de deux types : le stérilet de cuivre et le stérilet avec hormones.
Utérus rétroversé : un utérus rétroversé est penché vers l’arrière plutôt que vers l’avant. Cette différence anatomique peut entraîner des règles, des rapports sexuels et des examens gynécologiques plus douloureux.
La pose d’un stérilet (nouvelle fenêtre) est généralement faite avec une pince munie de deux crochets pointus, appelée tenaculum, qui sert à saisir le col pour stabiliser l’utérus. Un tube dans lequel se trouve le stérilet est ensuite inséré jusqu’au fond de l’utérus et le stérilet est libéré.
Les biopsies du col de l’utérus (nouvelle fenêtre) consistent à prélever, avec une pince, un morceau de tissu sur le col, qui se situe à l'entrée de l’utérus.
Ces deux interventions provoquent entre autres des crampes au niveau de l’utérus, explique la Dre Francœur.
Un mal difficile à cerner
Selon les gynécologues interviewées dans le cadre de ce reportage, l’anesthésie n’est pas systématique pendant ces interventions parce que la perception de la douleur varie beaucoup d’une patiente à une autre et qu’il est difficile de prévoir qui aura mal.
La majorité des femmes n’auront qu’un léger inconfort [pendant la pose d’un stérilet], mais il y a un pourcentage important de femmes pour qui ça va être un cauchemar ou même, je dirais, un film d’horreur, parce qu’elles ne s’étaient pas préparées psychologiquement et physiquement.
La Dre Francœur concède qu’il n’y a aucun doute que ces interventions font mal
. Je suis une femme et j’en ai eu, des stérilets et de la colposcopie. J’avais l’impression que ça me grattait jusqu’aux amygdales
, s’exclame-t-elle.
L'existence de nombreuses conditions peut exacerber la douleur au cours de ces manipulations.
C’est entre autres le cas pour les patientes qui souffrent de douleurs pelviennes chroniques, qui ont des rapports sexuels ou des règles douloureuses, qui ont un utérus rétroversé (jusqu’à une femme sur quatre), qui ont été victimes d’agressions sexuelles (une femme sur cinq) et qui souffrent d’anxiété.
« Violence gynécologique »
Le fait de choisir de ne pas soulager la douleur des femmes pendant une intervention comme la biopsie, c’est de la « violence gynécologique », soutient Marc Zaffran, médecin de formation et également auteur sous le pseudonyme de Martin Winckler.
C’est scandaleux! On est en 2023 et il n’y a toujours pas de procédure de prévention de la douleur pour la colposcopie et pour la biopsie du col!
Si on fait une biopsie de la peau, par exemple, sur un grain de beauté qu’on suspecte, on fait une anesthésie locale. Je ne vois pas pourquoi on ne ferait pas une anesthésie locale sur le col de l’utérus pour faire une biopsie
, poursuit-il.
Pour lui, cette négation de la douleur des femmes découle du paternalisme dans le monde de la médecine, historiquement dominé par les hommes.
Encore aujourd’hui, des études montrent que les douleurs des femmes sont systématiquement sous-estimées par rapport à celles des hommes.
Une étude publiée dans The Journal of Pain en 2021 a notamment démontré que lorsqu’un homme et une femme expriment le même degré de douleur, la douleur de la femme est perçue comme étant moins intense. Les chercheuses ont aussi observé que les femmes sont plus susceptibles de se faire prescrire une psychothérapie que des médicaments.
Sachant que ce préjugé existe, il est d’autant plus important que ce soit la patiente qui définisse ce qui lui fait mal, et non son médecin, insiste le Dr Zaffran.
Il soutient également avoir lui-même posé des stérilets alors qu’il pratiquait en France à l’aide d’une méthode moins brutale
que celle qui est généralement utilisée.
Cette technique se ferait sans employer de pinces et sans pousser le tube dans lequel se trouve le stérilet jusqu’au fond de l’utérus. Elle est, selon lui, peu répandue parce qu’elle n’est pas enseignée aux médecins.
Des solutions parfois inaccessibles
Les femmes sont en droit d’exiger des options pour soulager leur douleur et un médecin ne peut pas refuser de leur administrer un anesthésiant, à la condition d’être en mesure de leur en fournir un, souligne la Dre Francœur.
Si la clinique en question ne possède pas l’équipement nécessaire, le médecin devra diriger les patientes vers une autre clinique, où elles devront attendre plus longtemps pour obtenir leur intervention.
Parmi les options pour atténuer la douleur, il y a tout d’abord l’anesthésie locale du col de l’utérus. L’anesthésiant est toutefois injecté avec une aiguille et, selon des études, l’injection est généralement plus douloureuse que la pose du stérilet, explique la Dre Carol-Anne Vallée, récemment diplômée en gynécologie-obstétrique de l’Université de Montréal et qui fait actuellement une formation supplémentaire en planification familiale à l’Université de la Colombie-Britannique.
Le Dr Marc Zaffran précise cependant que l’injection est mieux tolérée lorsqu’elle est faite très lentement. L’anesthésie locale est également offerte en crème et en vaporisateur.

Les femmes qui n'ont jamais eu d'enfants sont plus à risque de ressentir de la douleur pendant l'insertion d'un stérilet.
Photo : iStock / Mariakray
Les patientes peuvent aussi demander une sédation consciente par intraveineuse, ou plus profonde. Ces procédures demandent par contre l’accès à un certain équipement ou à un bloc opératoire, ce qui n’est pas toujours possible au Québec.
La Dre Vallée, qui a auparavant travaillé dans trois hôpitaux de la région de Montréal, explique que les gynécologues du Québec ont tellement peu de plages horaires au bloc opératoire que celles-ci sont généralement allouées aux cas urgents comme les cancers et les chirurgies.
À Vancouver, les patientes, on leur offre tout. Elles ont un accès au bloc opératoire qui est plus facile qu’au Québec et c’est toujours une possibilité d’avoir ton stérilet, ta biopsie, ton test pap ou ton examen pelvien sous sédation au bloc opératoire.
Au Québec, les délais pour y avoir accès sont habituellement longs et les femmes choisissent souvent, par dépit, de ne pas attendre la sédation, remarque la Dre Francœur.
On ne devrait pas avoir à choisir entre [...] avoir moins de délais ou souffrir. Ça ne fonctionne pas. On est en 2023, on a des choix. Il faut que les femmes le demandent et il faut que les femmes l'aient.
Certaines cliniques offrent du nitronox, un gaz relaxant, mais elles ne sont pas toutes équipées pour le faire.
C’est toujours une bataille titanesque pour être capable de soulager les femmes en clinique externe
, déplore la Dre Francœur. Elle espère toutefois que de nouvelles technologies, comme un dispositif portatif de gaz relaxant qui ressemble à une vapoteuse, changeront la donne.
La prise de médicaments plus puissants que l’ibuprofène (Advil) est aussi une solution.
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Le droit de savoir
S’il n’y a pas de recette miracle pour soulager la douleur, les experts s’entendent sur le fait que les médecins doivent prendre le temps de se renseigner sur les antécédents de leurs patientes, de leur expliquer l’intervention et les options pour atténuer la douleur.
Ces pratiques, qui peuvent sembler incontournables, sont parfois perdues dans le quotidien effréné des hôpitaux et des cliniques du Québec. Des femmes se retrouveront les pieds dans les étriers sans réellement savoir en quoi consiste l’intervention qu’elles vivront.

La colposcopie se fait à l'aide d'un microscope appelé colposcope.
Photo : iStock / Kateryna Kukota
Alors que les patientes sont dans une situation de grande vulnérabilité, il est important que les gynécologues leur donnent la maîtrise de la situation, soutient la Dre Paré.
Les médecins devraient entre autres maintenir une communication constante pendant une intervention en mentionnant à l’avance les gestes qu’ils poseront et en s’ajustant si la patiente montre de l’inconfort.
Ça devrait être la norme d’être sensible à la vulnérabilité d’une patiente, d’être à l’écoute, et surtout, de maintenir une communication.
Le travail d’équipe peut par ailleurs aider à favoriser une meilleure communication avec les patientes lorsque les médecins manquent de temps.
Par exemple, au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS), cette tâche est partagée avec une infirmière clinicienne en colposcopie qui appelle les patientes avant la procédure pour leur en expliquer les détails et les options qui s’offrent à elles.
L’importance d’un consentement éclairé
Selon le Dr Marc Zaffran, ne pas expliquer clairement aux femmes les interventions qu’elles subiront constitue même une faute professionnelle, car elles ne sont pas en mesure de donner un consentement éclairé sans ces informations.
Si les patientes ont le droit de dire non
en tout temps et de demander qu’une intervention soit reportée, l’absence d’un non
ne constitue pas pour autant un consentement éclairé, ajoute l'auteur.
Beaucoup de femmes n’osent pas exprimer leur douleur ou demander à un médecin, une personne en situation d’autorité, de cesser l'intervention. La Dre Carol-Anne Vallée peut en témoigner : elle s’est elle-même retrouvée dans une situation où elle n’a pas eu le courage de parler.
J’ai déjà eu un test pap complètement traumatisant [...] Est-ce que je l’ai dit? La réponse, c’est non. Il y a comme une partie de toi qui se dit : “Écoute, ça va prendre deux, trois minutes, on passe toutes par-là, I’ll suck it up."
Ce genre d’expérience peut compromettre la relation des patientes avec le corps médical et les dissuader de consulter à nouveau.
Du changement à l’horizon?
L’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec affirme être au fait de cette réalité. La Dre Paré indique que la formation en continu donnée par son association pourrait inclure, à l’avenir, de l’information sur les outils de gestion de la douleur.
La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada a, pour sa part, fait une sortie en décembre pour sensibiliser les professionnels de la santé aux options pour atténuer la douleur pendant l’installation d'un stérilet.
De son côté, le ministère de la Santé et des Services sociaux indique avoir octroyé du financement à une étude sur les pratiques pour favoriser l’humanisation des soins en gynécologie et en obstétrique, mais précise qu’il appartient aux médecins de soutenir leurs patientes dans la gestion de la douleur.