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[Reportage] Immigration au Canada : les délais explosent pour des informaticiens tunisiens

Un formulaire d'application de Citoyenneté et Immigration Canada.

Le programme fédéral d’immigration appelé Volet des talents mondiaux permet, en principe, d'obtenir un permis de travail en deux semaines.

Photo : iStock / alexskopje

Samir Bendjafer

Une trentaine d’informaticiens tunisiens de haut niveau, candidats à l’immigration au Canada, attendent depuis plusieurs mois leurs permis de travail qui devaient leur être remis, théoriquement, dans un délai maximal de 14 jours.

Ils ont déposé leurs demandes à travers le Volet des talents mondiaux, un programme fédéral d’immigration. Cette procédure est censée permettre aux entreprises canadiennes d’attirer et d’embaucher rapidement des travailleurs internationaux hautement qualifiés avec des profils qu’elles peinent à trouver au Canada.

Cependant, la réalité est tout autre.

En entrevue virtuelle avec Radio Canada International (RCI), des membres de ce groupe, qui ont demandé à ne pas être nommés pour ne pas nuire à leur processus d’immigration en cours, racontent leur attente et leur désarroi qui durent depuis plus d’une année pour certains, leur frustration de ne pas voir le bout du tunnel et leur vie qui est mise en pause.

Pour la plupart d’entre eux, leur histoire avec le système d’immigration canadien a commencé en décembre 2021 et début 2022.

Ils avaient participé à une des journées Québec monde qui met en contact les travailleurs internationaux avec des entreprises québécoises.

Tout a bien fonctionné pour ces travailleuses et travailleurs qui ont de très bons emplois en Tunisie, mais qui préfèrent poursuivre leur carrière au Canada pour différentes raisons.

Après avoir été acceptés par les entreprises et avoir déposé leurs demandes avec l’aide d’avocats fournis par ces mêmes compagnies, pour certains, les candidats se sont mis en mode attente.

On a vite compris que le délai de deux semaines pour avoir un permis de travail n’était pas possible, car le volume des demandes est grand.
Une citation de Un membre du groupe d’informaticiens tunisiens

Alors, il s’est ajusté mentalement en pensant que sa demande allait être traitée selon les délais appliqués aux demandes normales, soit 22 semaines, pour les demandes faites à partir de la Tunisie.

Voilà qu’au bout de presque une année pour certains demandeurs du groupe, ces derniers sont toujours en train d’attendre le sésame qui leur permet d’entrer au Canada pour y travailler.

Une capture d'écran.

Rencontre virtuelle avec plusieurs informaticiens tunisiens candidats à l'immigration au Canada du Volet des talents mondiaux.

Photo : Capture d'écran / Zoom / Samir Bendjafer

Le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada (IRCC) reconnaît sur son site qu’il faudra probablement plus de 2 semaines pour traiter les demandes soumises dans le cadre du Volet des talents mondiaux.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada promet de tout faire afin de pouvoir retourner à un délai de traitement de 2 semaines.

La raison de l’explosion des délais serait due au nombre de demandes que nous avons reçues pendant que les restrictions sanitaires et de voyage liées à la COVID-19 étaient en vigueur, et par l'augmentation du nombre de demandes reçues à mesure que les restrictions sanitaires et de voyage ont été levées au Canada et dans le monde entier, explique par courriel le service de communication du ministère fédéral de l’Immigration.

Ce dernier ajoute qu’en 2022, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a traité plus d'un demi-million de demandes de permis de travail de plus que l'année précédente. Plus de 1 137 000 demandes de permis de travail et prolongations ont été traitées en 2022, contre environ 615 000 en 2021.

En bons informaticiens qu’ils sont, les membres du groupe ont analysé le problème et sont arrivés à plusieurs conclusions, dont l’une des principales est que les dossiers d’immigration relevant du Volet des talents mondiaux sont traités au bureau d’Edmonton d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et que ce dernier croule sous l'accumulation des demandes non traitées.

Ce bureau avait défrayé la chronique avec la présence d’agents inactifs auxquels avaient été affectés des dossiers d’immigration (nouvelle fenêtre).

Le télétravail a eu aussi son impact sur les délais, mais Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a commencé à implémenter un mode de travail hybride qui sera terminé d’ici le 31 mars 2023.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada adoptera un modèle de travail hybride commun qui permettra aux employés de travailler sur place au moins 2 à 3 jours par semaine, soit 40 % à 60 % de leur horaire normal.

Une informaticienne du groupe explique que tous les dossiers sont bloqués presque au même point dans le processus d’immigration.

Chacun de nous a appelé Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et nous avons découvert que nous sommes tous bloqués dans la même étape qui est celle de la vérification de sécurité.
Une citation de Une membre du groupe d'informaticiens tunisiens
Les bureaux d'Immigration Canada à Montréal.

En 2022, IRCC a traité plus d'un demi-million de demandes de permis de travail de plus que l'année précédente.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Les membres du groupe soutiennent aussi que les demandes qui sont traitées localement au bureau de visa de Tunis aboutissent plus rapidement.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’a pas répondu à cette question de Radio Canada International.

Une vie à l'arrêt

À cause de l’attente, certains demandeurs doivent refaire leur visite médicale, qui n’est pas gratuite, car elle a une durée de validité d’une année.

La frustration des membres du groupe est à son comble, selon les témoignages recueillis par Radio Canada International.

Nous sommes tous hyper frustrés. Notre vie est à l’arrêt, sachant que nous avons des enfants. Il faut penser à l’année scolaire. Certains ont démissionné de leurs emplois et se retrouvent sans revenu, car ils ont fait confiance aux délais annoncés au début.
Une citation de Une membre du groupe d'informaticiens tunisiens

Elle ajoute qu’elle a même réservé une place de garderie à Montréal pour son enfant et qu’elle a perdu sa réservation dans deux endroits.

Elle rappelle que certains employeurs ont fini par reporter la date d’embauche, car entre l’entretien et la délivrance des permis de travail qui a pris du temps, la compagnie avait perdu un gros contrat.

Comme les permis de travail sont de type fermé, elle ne pourra pas aller travailler avec une autre compagnie et doit attendre.

Certains n’ont pas pris le risque de démissionner, mais ont eu de mauvaises surprises quand leur employeur actuel en Tunisie a appris leur projet d’immigration.

Cette situation survient quand l’employeur canadien ou les services d’immigration appellent l’employeur tunisien pour vérifier les références du candidat, dévoilant ainsi son projet d’immigration.

Un candidat explique que cette situation lui pose un problème éthique. Dois-je m’engager dans de nouvelles tâches avec mon employeur actuel ou refuser tout nouveau mandat?

D’autres ont souligné l’impact psychologique de cette attente sur eux et sur leurs familles.

Samir Bendjafer

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