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Du Cameroun à Matane : du personnel infirmier à la rescousse du Québec
Ils ont de l’expérience et ont quitté leur pays pour travailler chez nous. Un programme du gouvernement du Québec leur offre une formation d’appoint d’un an et une promesse d’embauche de trois ans loin des grands centres, dans les régions où les besoins sont les plus criants. Portrait de ces remarquables exilés.

Tatiana Zangue, une infirmière du Cameroun, est arrivée à Matane en octobre 2022 avec son mari et ses deux enfants. Elle suit une formation d'appoint pour exercer au Québec. Elle passera d'abord 3 ans dans la région du Bas-Saint-Laurent.
Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry
« C’est l’envie de découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles façons de travailler ailleurs », dit Tatiana Zangue, venue du Cameroun s’installer à Matane avec son conjoint et ses deux jeunes enfants, un garçon de trois ans et une petite fille d’un an et demi.
Sa motivation semble à toute épreuve. Infirmière depuis 2017 à l’hôpital de Maroua dans le nord du Cameroun, elle s’est renseignée avant de venir au Québec auprès de sa belle-sœur qui est infirmière à Montréal. Elle m’a dit que le travail est intense, il faut être disponible, se battre, vraiment bien bosser. Mais surtout être disponible.
Allusion au temps supplémentaire obligatoire, le TSO. Tatiana en a entendu parler. Mais ça ne lui fait pas vraiment peur.
C’est pas juste au Québec qu’il y a ce problème de temps supplémentaire. Dans d’autres pays, c’est pareil. Parfois, c’est pour sauver des vies. C’est juste qu’il faut être prêt à aider les patients autant qu’on peut.
Les enfants vont tous les deux à la garderie. Après avoir beaucoup pleuré au début, ils se sont bien adaptés, estime Tatiana. Son mari est mécanicien, une compétence recherchée qui lui a permis de se faire embaucher tout de suite à Matane. À l’arrivée, il a postulé, il a été retenu, c’est vraiment merveilleux!
, s’exclame-t-elle.
Malgré la pénurie de logements, après de nombreuses recherches sur Internet, la petite famille camerounaise a réussi à dénicher un 4 et demi pas trop cher. Il est parfait, il me convient très bien. Il est spacieux, bien placé, il y a des jeux pour les enfants.
Cette nouvelle vie semble décidément bien partie!
Tatiana se dit prête à travailler en obstétrique, un secteur qui souffre de ruptures de service plusieurs fois par an à l’hôpital de Matane, mais aussi dans toute la péninsule gaspésienne. Ça fait partie de ma formation. J’aime bien aider à donner la vie
, dit-elle simplement.
Dans les trois prochaines années, elle pourra travailler exclusivement dans le Bas-Saint-Laurent, région administrative dont relèvent Matane, Rimouski et Rivière-du-Loup. Matane, c’est une petite ville, bien calme, je peux rester là. Ce sont les Matanais qui m’ont bien accueillie, je suis fière de rester avec eux.

Houda Reifoun (à gauche), diplômée de l'Institut supérieur des sciences infirmières et techniques de santé à Casablanca, adore travailler dans les soins d'urgence et les soins intensifs. Elle pose à côté d'une collègue du Cameroun.
Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry
Houda Reifoun, 24 ans, vient du Maroc. D'être infirmière au Canada, c'était pour moi un rêve, un rêve d'enfance. J'aime beaucoup aider les gens
, dit celle qui a travaillé trois ans comme infirmière en soins d’urgence et en soins intensifs à Casablanca.
L’herbe semble toujours plus verte ailleurs, mais Houda est convaincue : Les soins infirmiers sont beaucoup développés ici. Les conditions de travail, l’organisation du travail, la reconnaissance du métier d’infirmière par tout le monde, par la population. Il y a beaucoup d’avantages.
Écoutez le reportage radio de Myriam Fimbry, Du Cameroun à Matane (nouvelle fenêtre), diffusé le 5 février 2022 à l'émission Désautels le dimanche.
Ce n'était pas trop dur de quitter le Maroc? Oui, c'était dur. Ce n'est pas facile de prendre cette décision. C'est des sacrifices, de laisser votre famille et votre travail derrière vous. Ma mère et mon père ont trouvé ça difficile, ils sont seuls maintenant à la maison. Mais c’est mon avenir. Ma famille comprend ça et m’a dit : vas-y!
Houda est célibataire et n’a pas d’enfants. Elle partage une chambre avec une autre Marocaine inscrite au programme de mise à niveau, à la résidence étudiante du Cégep de Matane.
Moi, j’aime beaucoup le travail en soins intensifs, la réanimation, la néonatalogie. C’est beaucoup de stress, mais j’aime beaucoup l’adrénaline. Je suis habituée à recevoir des cas compliqués.
Ses collègues étaient tristes de la voir partir. Ils ont essayé de la retenir, en lui disant qu’elle n’allait pas supporter le froid du Canada. Sans doute parce qu’ils perdent une bonne infirmière. En fait, dans l’hôpital où j’ai travaillé, dit Houda, il y a un manque de personnel, parce que c’est un nouveau centre.
La pénurie d’infirmières touche aussi le Maroc.
Elle explique d’ailleurs que démissionner du secteur public est une procédure longue et compliquée, qui doit passer par le ministre de la Santé. Elle a préféré simplement abandonner son poste, une décision de non-retour.

Dorice Aimée Chouadje (à droite) et sa collègue Esther Badefona Boyogueno viennent toutes les deux du Cameroun. Elles ont beaucoup de plaisir à apprendre les expressions québécoises.
Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry
On va refaire les exercices, pour s’assurer - excusez l’expression québécoise - d’être sur la coche!
, dit l’enseignante Nathalie Aubry pendant le cours de laboratoire au Cégep de Matane, qui porte sur les mesures de protection contre les infections. Tiguidou!
, répond Dorice Aimée Chouadje, du Cameroun.
Ce n’est pas la seule expression québécoise, ou façon de parler, qu’elle a apprise en trois mois. Tabarnouche
, icitte
, à matin
, à soir
, barrer la porte
, ça sera pas long
. À côté d’elle, en train d’enfiler des gants bleus, sa collègue Esther Badefona glousse et renchérit avec ses propres observations. C’est le fun, c’est le fun!
Les deux jeunes femmes se sont adaptées très vite pour se faire comprendre des résidents du
CHSLD de Matane, où elles travaillent comme préposées depuis quelques semaines, en dehors des heures de classe. Leurs imitations du français du Québec sont savoureuses.Écoutez-les ici :
En réalité, au-delà des curiosités linguistiques, adopter le parler québécois leur permet de mieux faire leur travail. Les aînés sont très attachés à leur culture. Ce n’est pas à eux de s’adapter à qui on est. C’est à nous d’entrer dans l’univers de la personne aînée
, explique Dorice Aimée. Si t’es pas dans son univers, le soin est coupé. Le soin passe par la communication.
L’infirmière camerounaise de cinq ans d’expérience est venue avec son mari et un enfant. Ils ont aussi deux filles restées pour le moment au pays, qui les rejoindront plus tard. Les semaines sont bien remplies, entre les cours au cégep (25 heures/semaine), les lectures à faire à la maison, les tâches familiales et le travail de préposée aux bénéficiaires (PAB).
Étudier et travailler, il faut beaucoup de courage, il faut le dire. On espère qu’on tiendra le coup jusqu’au bout.
Le ministère de l’Immigration du Québec alloue un montant de 500 $ par semaine à chaque étudiant, pendant les 9 à 12 mois que dure la formation d’appoint. C’est vrai qu’on a des allocations, mais pour nous qui sommes parents, qui avons laissé de la famille au pays et qui devons payer le loyer, les charges et tout, ça ne suffit pas souvent.
D'autant que Dorice Aimée voudrait acheter un jour une maison pour accueillir la famille dans un lieu plus vaste.
C’est pourquoi le ministère de la Santé a prévu de permettre aux étudiants de travailler comme PAB pour gagner un revenu, jusqu’à concurrence de 20 heures par semaine. Une décision qui vient soulager aussi la pénurie de main-d’œuvre dans cette profession.

Hicham El-Jaoui, du Maroc, ressent un peu de stress en prévision de l'examen de l'OIIQ, mais il a quand même près de 10 ans de métier comme infirmier dans différentes structures sanitaires de la région de l'Atlas.
Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry
L’inconvénient de ces robinets, ça gaspille l’eau
, remarque Hicham El-Jaoui. Dans la salle de classe, il pratique l’exercice de se laver soigneusement les mains, tout en laissant couler l’eau du robinet. La chose serait impensable au Maroc qui vit une période de sécheresse. Mais pour respecter la procédure, il ne doit pas toucher les poignées du robinet, pour éviter de se contaminer les mains.
Hicham a travaillé comme infirmier pendant près de dix ans dans la région de l’Atlas, à Beni Mellal, entre Casablanca et Marrakech. Il est venu seul à Matane et loge dans une chambre de la résidence du cégep, qu’il partage avec un autre étudiant inscrit au même programme. Tout un changement de décor et de vie.
Ma mère? Elle était contre…
Ce n’était pas facile de partir. Il vivait avec ses parents vieillissants qu’il aidait de diverses manières. Mais à 32 ans, il voulait quitter le nid familial et avancer
dans sa carrière. La profession est mieux organisée ici, avec la présence de l’Ordre des infirmiers et infirmières du Québec [OIIC]
, dit-il simplement.
Le cours de mise à niveau, dont la durée prévue est de 9 à 12 mois avec le stage, comporte une grande part de révision. Beaucoup de consignes, comme les mesures de prévention des infections, sont universelles. De plus, elles sont strictement appliquées partout dans le monde depuis la pandémie de COVID-19. On mettait la même combinaison là-bas, on ne voyait que les yeux
, se souvient-il.
À l’issue de la formation accélérée, il faudra passer l’examen de l’
OIIQ. Hicham est stressé, il a entendu parler d’un taux élevé d’échecs à la dernière session.L’examen de l’Ordre, ça me stresse. Si tu échoues, c'est toute la formation qui est foutue. Tu as juste trois chances. Il faut vraiment bien bosser pour réussir. Mais on va s'en sortir, ça va aller. Du premier coup, bien sûr.
Il lui faudra assimiler de petits détails de procédure, la gestion de la paperasse, les différences de vocabulaire et de jargon, pour maîtriser les particularités du système québécois. Il devra surtout comprendre le rôle clinique que joue l’infirmier ou l’infirmière, la manière dont il ou elle donne son avis et collabore avec le médecin. Un rôle, de l’avis des immigrants, plus important au Québec et au Canada.

Halla Yezza (à droite), originaire de l'Algérie, s'exerce à déballer le champ stérile sans le contaminer, une procédure qui permet par exemple de changer un pansement. Elle est en compagnie d'une autre infirmière algérienne, en formation comme elle à Matane.
Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry
C'est mon mari qui m'a proposé de changer de pays, après trois mois de mariage
, dit Halla Yezza, mi-amusée, mi-résignée. Comme ils n’ont pas encore d’enfant, ils sont venus tous les deux, en couple. À 28 ans, elle a plus de six ans d’expérience comme infirmière en Algérie.
Lui, il a un diplôme en automatisme et robotique. Il a vu que le Canada est très avancé dans le domaine. Mais pour le moment, il n'a pas pu travailler, parce qu'il n'a pas encore reçu le résultat de son équivalence
, explique Halla. En attendant, il fait la plonge dans une résidence pour aînés pour gagner un peu d’argent.
Les premiers jours, c’était un peu difficile de s’habituer et s'intégrer. Mais comme les gens sont vraiment gentils et que l'accueil était vraiment chaleureux, on s'adapte rapidement.
Non sans peine, ils ont trouvé un logement tout équipé à louer avant de venir ici, en faisant des recherches par Internet et en appelant beaucoup de propriétaires. Ici à Matane, il n’y a pas beaucoup de logements par rapport à Montréal. Mais ça va.
La seule véritable difficulté, selon Halla, c’est sur le plan de la nourriture. Elle a du mal à trouver les ingrédients nécessaires pour cuisiner des plats comme en Algérie.
Ici, il n’y a pas beaucoup de magasins et trouver des produits pour le couscous ou de la viande halal, ce n’était pas facile. On en a trouvé, mais en petite quantité.
L’arrivée de plusieurs familles marocaines, algériennes et tunisiennes pourrait toutefois changer la donne dans les épiceries de Matane.
Le Service d’accueil des nouveaux arrivants de La Matanie (SANAM) aide la cohorte d’étudiants, depuis leur arrivée cet automne, par de l’accompagnement individuel, des jumelages et des activités sociales. Son principal souci, c’est la rétention à long terme.
Ce n’est pas l’attractivité, mais la rétention qui est le nerf de la guerre
, explique Annie Veillette, native de Matane et directrice générale. On en voit beaucoup, de jeunes professionnels qui vont venir, essayer un emploi, puis des fois ils repartent, tu sais. C’est pour ça que nous, on fait beaucoup d’activités sociales pour leur permettre de développer un réseau, de se faire des amis, [former] des couples au besoin, si ça peut arriver!
Le programme d’accueil de 1000 infirmières et infirmiers au Québec :
- A été annoncé le 22 février 2022;
- Compte 207 personnes en formation actuellement dans les cégeps;
- Accueille des personnes originaires des endroits suivants : Algérie, Maroc, Tunisie, Cameroun, Île Maurice;
- Répartit les personnes dans les régions d'accueil suivantes : Abitibi-Témiscamingue, Bas-Saint-Laurent, Côte-Nord, Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Outaouais et Saguenay-Lac-Saint-Jean;
- Regroupe 37 personnes en Gaspésie et 36 dans le Bas-Saint-Laurent, dont 16 à Matane;
- La plupart travaillent à temps partiel comme préposés aux bénéficiaires;
- 223 autres personnes commenceront bientôt leur formation, dans les régions suivantes : Capitale-Nationale, Estrie, Lanaudière, Laurentides et Montérégie;
- Le recrutement est encore en cours pour les phases 3 et 4.