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« S’il faut aller jusqu’à la désobéissance civile pour protéger la Magpie, on le fera »

Les Innus parlent d’elle comme d’une personne. Une sœur. Les Blancs en parlent comme d’un joyau de la nature. La rivière Mutehekau Shipu (Magpie), sur la Côte-Nord, est pourtant menacée par des projets potentiels d'Hydro-Québec. Ils nous parlent avec leur cœur de ce qui les relie à elle.

Un groupe de jeunes de dos, vêtus de gilets de sauvetage avec des pagaies à la main, sont debout face à la rivière.

Des jeunes de Montréal ont eu l'occasion de descendre la rivière Magpie en septembre 2022.

Photo : Gracieuseté : Gabriel Léonard

Delphine Jung
Delphine Jung

« Êtes-vous déjà allé sur la rivière Magpie? »

Je n’ai pas besoin d’aller sur la rivière pour sentir qu’elle fait partie de moi et que je fais partie d'elle. Elle est dans mes pensées, dans mon cœur, comme toutes les rivières. Quand je regarde toute son histoire, je vois l’histoire des Innus défiler, répond Rita Mestokosho, poétesse innue d’Ekuanitshit, une communauté établie à un peu plus de 180 kilomètres de Sept-Îles, sur la Côte-Nord.

Rita Mestokosho pose dans un musée.

Rita Mestokosho s'occupe du centre de la culture innue de la communauté. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Rectificatif

Ce texte a été modifié depuis sa publication. Une citation d'un intervenant laissait entendre que la rivière Magpie était la seule au Québec sur laquelle il n'y avait aucun aménagement hydro-électrique. Or, un barrage y existe depuis 1959, comme l'explique maintenant l'encadré intitulé Aménagée depuis 1959.

La rivière coule sur son territoire. Comme l’explique Rita Mestokosho, elle fait partie d’un tout. Les non-Autochtones ont tendance à séparer les choses, à hiérarchiser, et ont du mal à envisager une rivière comme autre chose qu’une rivière, selon elle.

La rivière, elle est liée à la forêt, aux poissons, à l'air, à la mer. Que serions-nous sans les rivières? Ce n’est pas juste une rivière qu’on veut protéger. Et sauver la rivière, ce n’est pas juste "sauver la rivière". On protège beaucoup plus que ça.
Une citation de Rita Mestokosho, poétesse innue

Les mots de Jean-Charles Piétacho, le chef d'Ekuanitshit, font écho à ceux de la poétesse. Comme toutes les rivières, la Magpie est vivante dans le sens où elle forme un lien fort entre les Innus, la forêt, les montagnes..., dit-il.

Les gens ne comprennent pas quand les Innus disent qu'elle est vivante et que c'est une autre source d'énergie que l'énergie hydraulique qu'elle nous donne.
Une citation de Jean-Charles Piétacho, chef d'Ekuanitshit

Rita Mestokosho croit en l’alliance des peuples, en ces causes communes qui peuvent les unir pour protéger la Terre mère, mais pour cela, il faudrait que tout le monde se rende compte de ce que la Mutehekau Shipu peut apporter. Et pas seulement d'un point de vue économique.

Beaucoup d’êtres humains sont reliés à la Magpie, mais ils ne s’en rendent pas compte.
Une citation de Rita Mestokosho, poétesse innue

Cet amour pour le territoire – et donc, par extension, pour la Magpie –, Rita Mestokosho l’a transmis à sa fille, Uapukun. Non pas forcément par les mots, mais par le cœur, comme elle aime à le dire.

Uapukun Mestokosho dans un canot.

Uapukun Mestokosho a navigué sur la rivière Magpie lors d'une expédition. (Photo d'archives)

Photo : Facebook Uapukun Mestokosho

Depuis quelques années, Uapukun Mestokosho se bat pour protéger la rivière Magpie (nouvelle fenêtre), notamment aux côtés de Shanice Mollen Picard, une autre Innue de la communauté.

Les deux jeunes femmes ont fait un documentaire et parcourent la planète entière pour parler de cette rivière.

Shanice Mollen Picard se prend en photo devant une des chutes de la Magpie.

Shanice Mollen Picard a descendu la Magpie pour la première fois en 2013.

Photo : Shanice Mollen Picard

Shanice Mollen Picard (nouvelle fenêtre) l'a descendue en 2013, en rafting, avec un autre groupe de femmes, dont Uapukun. Je n’étais pas très proche de la rivière. Ma relation avec l’eau n’était pas évidente. C’est une de mes amies qui m’a incitée à faire cette expédition pour que je sache ce que c’est, raconte-t-elle.

Durant six jours, Shanice a appris à pagayer dans un canot gonflable, à apprivoiser la rivière. Elle a travaillé en équipe avec les autres femmes. L’expérience lui a rappelé la résilience dont a fait preuve [sa] grand-mère.

Shanice parle des montagnes dans lesquelles la Mutehekau Shipu a creusé son lit. Du lichen qui les recouvre. De la force de l’eau. Des rapides.

Vue sur une chute d'eau avec un arc-en-ciel et plusieurs femmes assises sur des rochers.

Des groupes de femmes naviguent de temps en temps sur la rivière Magpie pendant plusieurs jours.

Photo : Gracieuseté : Shanice Mollen Picard

On fait partie de la Terre et on est en train de la détruire, lance-t-elle lorsqu’on commence à évoquer les grands projets du gouvernement et d'Hydro-Québec pour la Magpie.

Ces projets, ce sont d’éventuels barrages qui vont transformer le cours d’eau et tout ce qu'il y a autour.

En effet, même si Hydro-Québec affirme n'avoir aucun projet de barrage sur la Magpie, la puissance de son cours est convoitée. Alors que le gouvernement de la Coalition avenir Québec souhaite augmenter la puissance hydroélectrique de la province, une rivière telle que la Magpie serait l’endroit idéal pour construire de nouveaux barrages. Le but? Arriver à la carboneutralité d’ici 2050.

De l'eau coule du barrage de la Romaine-4.

Un barrage a déjà été construit sur la rivière voisine, la Romaine. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Comme les aînés qui, dans les années 1980, se sont battus pour protéger la rivière Mingan, Shanice compte se dresser devant l’embouchure de la Mutehekau Shipu pour défendre un territoire tout entier.

Si le gouvernement pense que c’est la réponse au changement climatique, il est complètement à côté de la plaque. Il y a d’autres moyens, c’est sûr, lance la jeune femme.

Shanice pense aux sept générations qui vont la suivre et à ce que la sienne va leur léguer. Elle a encore espoir. Derrière tous ces fonctionnaires [qui veulent construire des barrages sur la Magpie, NDLR], il y a des humains. Il faut juste qu’ils prennent conscience des conséquences de leurs idées sur le territoire, conclut-elle.

Au-delà de la Minganie

Le message de Rita Mestokosho et de Shanice Mollen Picard semble avoir dépassé les frontières de la Minganie.

À Montréal, une classe de Léonard Gabriel, professeur à l'école secondaire Saint-Luc, s'est rendue jusqu'à la Magpie.

On a tenté de faire comprendre aux jeunes l'importance de préserver ces milieux et l'impact que pourrait avoir un barrage sur cette rivière, explique M. Gabriel, qui s'est donné comme mission de conscientiser les jeunes à la protection de l'environnement.

Aménagée depuis 1959

Une centrale hydroélectrique existe déjà sur la rivière Magpie, près de son embouchure. D’abord construite en 1959 par une entreprise privée, puis reliée au réseau d’Hydro-Québec en 1971, elle est désaffectée en 1989. En 2007, elle est reconstruite par l’entreprise Hydroméga, puis vendue à Innergex en 2013. Aujourd’hui, la centrale est détenue en partenariat avec la Municipalité régionale de comté de Minganie. Sur le site Internet d’Innergex, il est indiqué que toute l’électricité qu’elle produit fait l’objet d’un contrat d’achat d’électricité à prix fixe de 25 ans avec Hydro-Québec. Sa production annuelle moyenne est d’environ 185 000 MWh.

Allié indéfectible

Luc Noël, le préfet de la MRC de Minganie, est moins émotif lorsqu’il évoque la rivière, mais il n'est pas moins déterminé. Il voit dans la Magpie une formidable solution pour développer le tourisme dans la région et il martèle à quel point il est important de prendre soin du territoire face au dérèglement climatique.

Le préfet de la MRC de Minganie, Luc Noël, sourit devant un drapeau du Québec.

Le préfet de la MRC de Minganie, Luc Noël, dit vouloir aller jusqu'au bout pour protéger la Magpie. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Charles-Étienne Drouin

Il assure vouloir tout faire pour protéger la biodiversité et l’environnement.

Il souligne qu’il n’y a aucune acceptabilité sociale en ce qui concerne les projets de barrages dans la région.

Tous sont prêts à aller aussi loin qu’il le faudra.

Luc Noël ne mâche pas ses mots. S’il faut aller jusqu’à la désobéissance civile pour protéger la Magpie, on le fera, dit-il. Même son de cloche du côté de Shanice.

Tous deux aimeraient toutefois éviter de devoir en arriver jusque-là. Mais rien ne sera ménagé pour sauver la Magpie. Tant qu’à se battre, on va se battre jusqu'au bout pour notre réalité, qui est le développement durable, affirme Luc Noël.

Le chef Piétacho est tout aussi déterminé. Cette rivière nous a protégés et il faut la protéger à notre tour, affirme-t-il.

Delphine Jung
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