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L’usurpation de l’identité autochtone, ultime étape du colonialisme, selon une experte

Jean Teillet donne une entrevue à l'arrière d'une salle de conférence.

L'avocate Jean Teillet, arrière-petite-nièce de Louis Riel, s'intéresse aux questions d'identité autochtone. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

La Presse canadienne

Depuis Grey Owl, il y a un siècle, des personnes d'ascendance européenne prétendent à tort être autochtones pour leur bénéfice personnel ou pour se sentir pardonnées, mais une juriste métisse dit qu'il faudrait un psychiatre pour essayer d'expliquer pleinement le phénomène.

Cela me dépasse. Comment fait-on pour garder tous ces mensonges, pour jongler avec ça pendant des décennies? demande Jean Teillet, une avocate de Vancouver qui a rédigé l'année dernière un rapport pour l'Université de la Saskatchewan sur l’usurpation d'identité autochtone.

Le document de Mme Teillet examine les dommages causés par ce type d’appropriation, décrit les signaux d'alarme pour repérer les tromperies potentielles et suggère des mesures pour les prévenir.

Il a été publié à la suite d'une série de controverses au cours des dernières années mettant en cause des membres éminents des milieux universitaire, littéraire et de divertissement canadiens qui affirmaient être autochtones. Le document a été publié en octobre, au moment où CBC publiait une enquête sur les revendications d’ascendance crie de Mary Ellen Turpel-Lafond, une ancienne juge, professeure et représentante de l'enfance et de la jeunesse en Colombie-Britannique.

Ce n'est pas un phénomène nouveau, cependant, selon le rapport de Mme Teillet. Archibald Stansfield Belaney, un homme d'origine britannique, affirmait que sa mère était autochtone et qu’il s'appelait Grey Owl. Il est devenu célèbre en tant qu'écrivain et écologiste lorsqu'il vivait au Canada dans les années 1920 et 1930.

Un geste colonisateur

Mary Ellen Turpel-Lafond à un micro.

Une enquête de CBC n'a pas trouvé de preuves pour confirmer que la juriste Mary Ellen Turpel-Lafond était d'ascendance crie. (Photo d'archives)

Photo : CBC / Mike McArthur

Mme Teillet considère l’usurpation d'identité autochtone comme l'ultime étape du colonialisme.

Je pense qu'il y a des gens qui utilisent [l’usurpation d’identité autochtone] pour ne pas se sentir comme le colonisateur. Alors, vous n'êtes pas le méchant, a-t-elle expliqué.

Son rapport cite la chercheuse de l'Université de l'Alberta Kim TallBear, qui qualifie les fausses revendications autochtones de dernier acte de vol dans une longue histoire de multiples couches et stratégies de vol.

Une telle usurpation d'identité s'apparente à de la violence, plaide Mme Teillet.

Ce n'est pas [un geste violent] qui vous laisse des contusions physiques. Mais cela blesse la communauté, parce que vous prenez quelque chose. C'est ce que fait le colonialisme : il prend et il prend… C'est ce que ces gens font quand ils assument ces identités.

Elle estime que les usurpateurs d'identité jouent sur les stéréotypes sur les peuples autochtones et qu’ils s'en sortent en partie parce que les Canadiens ont en général peu de connaissances sur la diversité et la complexité des identités et des cultures autochtones au pays.

Ce n'est pas un hasard si Mary Ellen Turpel-Lafond et Carrie Bourassa ont sorti [toutes ces histoires stéréotypées (tropes)] sur les traumatismes, les dépendances et la violence dans [leur] famille, a-t-elle déclaré, faisant aussi référence à une ancienne professeure qui a démissionné de l'Université de la Saskatchewan lorsque des doutes sont apparus sur son identité autochtone l'an dernier.

C'est ce que les Canadiens pensent des peuples autochtones, alors [ces personnes] se jouent de nous, n'est-ce pas ? ajoute Mme Teillet.

Parmi les signaux qui devraient susciter des doutes, le rapport de Jean Teillet mentionne : des références à des stéréotypes, des affirmations vagues, des secrets de famille, des histoires changeantes ou contradictoires ou le recours à des tests d’ADN pour trouver une ascendance autochtone remontant à plusieurs centaines d'années.

« La pointe de l'iceberg »

Carrie Bourrassa, alors directrice scientifique de l'Institut de la santé des Autochtones, répond aux questions des journalistes.

Une enquête de CBC n'a trouvé aucune preuve que la directrice scientifique de l'Institut de la santé des Autochtones, Carrie Bourassa, était d'ascendance autochtone. Mme Bourrassa a par la suite démissionné de son poste. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Mme Teillet est convaincue que les récentes révélations de fausse identité ne sont que la pointe de l'iceberg au sein des universités, des gouvernements et d'autres institutions canadiennes.

On attend la prochaine révélation sur une personne de haut niveau du gouvernement qui est aussi un imposteur. Parce qu'il y en a. Probablement des centaines, sinon des milliers, a-t-elle avancé.

Les institutions canadiennes devraient établir des procédures pour vérifier l'identité autochtone, selon Mme Teillet. Elles pourraient notamment avertir les candidats que leur identité sera vérifiée.

Dès que les gens sauront que leur revendication d'identité autochtone sera examinée, cela fera cesser une grande partie de la fraude, je pense, a-t-elle indiqué.

Selon elle, les institutions devraient également adopter des politiques établissant des processus et des conséquences pour les fraudeurs potentiels déjà titulaires de postes.

Le rapport de Mme Teillet reconnaît que la mise en place d'une police de l'identité suscite des inquiétudes.

Cela semble injuste, car la vérification fait peser le fardeau de la preuve sur les populations autochtones, admet Mme Teillet, mais elle ajoute qu’il faut faire quelque chose pour endiguer la vague de fausses déclarations.

Ainsi, il ne faut pas confondre les fraudeurs avec les personnes qui cherchent à renouer avec leur identité autochtone perdue en raison de politiques gouvernementales.

Le rapport de Mme Teillet indique aussi que les institutions doivent être à l’écoute des peuples autochtones dans leurs démarches pour trouver des alternatives à l’auto-identification.

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