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Passage remarqué pour 2 films aux thèmes autochtones au festival Plein(s) Écran(s)
Au total, ce sont 24 courts métrages qui ont été diffusés sur les réseaux sociaux dans le cadre de l'édition 2023 de ce festival à la formule accessible et entièrement gratuite.

Jusi Sala interprète Ali dans le film Sikiitu de Gabriel Allard-Gagnon.
Photo : crédit photo: Festival Pleins Écrans
Au terme du festival Plein(s) Écran(s), le film Sikiitu a remporté le prix Yes Sir! Madame qui récompense d’une bourse de 1000 $ le court métrage présentant la démarche la plus originale. Le festival a également présenté le film de Danika St-Laurent We are not speaking the same language, qui avait remporté plus tôt cette année le prix du jury du Festival international du film sur l’art, dans la catégorie court-métrage.
Les deux films n'en étaient pas à leurs premières présentations, et, selon les réalisateurs, ils ont fait le tour de la plupart des événements liés aux courts métrages depuis leur sortie
.
Sikiitu, un processus de presque 10 ans
En entrevue avec Espaces autochtones, le réalisateur Gabriel Allard-Gagnon explique que la réalisation de son film Sikiitu (Ski-doo en inuktitut) a pris beaucoup plus de temps que prévu.
À la base, c'est une idée qui a germé en 2012-2013. En 2014, on a obtenu du financement et on a filmé le court métrage vers 2014-2015
, raconte le réalisateur.
Le film raconte l'histoire d'Ali, un adolescent inuit fan de hip-hop qui habite Ivujivik, petit village arctique où rien ne l’intéresse. Tous ses problèmes semblent se matérialiser dans la vieille motoneige de son père, constamment en panne. Sa seule planche de salut : son idole, le célèbre rappeur Rich E. Murdoch
, lit-on dans le synopsis.
Lors de son premier voyage à Ivujivik, le réalisateur avait été marqué par la présence d'éléments de la culture du Sud
. Les jeunes, surtout, écoutaient de la musique populaire, regardaient des films américains et certains d'entre eux faisaient même du rap dans leur langue! Et ce, malgré leur mode de vie très inuit
.
On m'a expliqué à l'époque le phénomène d'acculturation qui touche particulièrement certains jeunes de la communauté, et ça m'a fasciné.
Plusieurs embûches sont toutefois apparues durant la réalisation du film, avec le départ d'une productrice, la difficulté de trouver de bonnes fenêtres météo pour les tournages et, surtout, des problèmes au niveau de la traduction
, ajoute-t-il.
C'est qu'au départ, le scénario a été rédigé en français, puis en anglais et, ensuite, je l'ai fait traduire en inuktitut... Mais lorsque je l'ai fait lire à mon jeune acteur, Jusi Sala (qui joue Ali dans le film et qui avait 15-16 ans à l'époque), il m'a dit que personne ne parlait comme ça dans sa communauté, que c'était écrit comme une comptine pour enfants
.

Ivujivik, le village le plus septentrional du Québec
Photo : Datawrapper
Jusi a donc tout réécrit, raconte le réalisateur. On a vraiment eu à cœur de faire en sorte que le film soit bien compris par la communauté, et que les différents éléments soient réalistes [...] Au final, tous les figurants viennent de la place, même le Ski-Doo! C'était un homme qui en avait deux identiques, dont un qui ne fonctionnait pas bien, qui nous les a fournis.
Après le tournage, des problèmes ont subsisté qui ont nécessité une correction en post-production, ce qui a grandement contribué à rallonger le processus. À un certain moment, les gens commençaient à douter que le film soit terminé un jour, mais on a finalement réussi, en 2022
, explique le réalisateur.
Un accueil au-delà des attentes
Lorsque le film est sorti, j'étais surtout content que ce soit fini, et je crois qu'après 10 ans, j'étais devenu beaucoup trop critique de mon œuvre
, exprime Gabriel Allard-Gagnon.
Le film a toutefois reçu un excellent accueil, remportant le Grand Prix canadien lors de sa première diffusion au Festival international du court métrage au Saguenay.
À partir d'Ivujivik, où il réside toujours, Jusi Sala exprime être content du résultat du film et d'y avoir participé. Ça permettra aux gens du Sud de voir un peu notre manière de vivre et notre culture
, indique-t-il.
Il serait prêt à se prêter de nouveau au jeu d'acteur, mais il aimerait pouvoir le faire pour des films ou des documentaires produits par des Inuit, et qui visent la transmission de connaissances détenues par les aînés de sa communauté.
We are not speaking the same language
Pour la réalisatrice d'origine ojibwée-crie Danika St-Laurent, cette transmission n'a justement pas pu s'effectuer de manière traditionnelle, puisque sa mère a grandi loin de sa communauté et de sa culture, en raison de la rafle des années 1960. Il s'agit d'un épisode sombre de l'histoire canadienne durant lequel plus de 20 000 enfants autochtones ont été enlevés à leur famille, entre 1951 et 1980, pour être adoptés par des allochtones.

Danika St-Laurent effectuant de la broderie perlée, un art traditionnel autochtone.
Photo : crédit photo: Festival Pleins Écrans
Originaire de la communauté Muskowekwan, en Saskatchewan, sa mère a été adoptée par une famille québécoise blanche, comme ses sœurs.
Moi aussi, j'ai grandi comme blanche, explique Danika. Je suis allée à l'école avec des immigrants italiens de deuxième ou troisième génération, et j'ai évolué bien loin des réalités et des cultures autochtones.
Lorsque j'avais sept ans, j'ai reçu un appel de ma grand-mère biologique, qui s'est présentée comme telle, poursuit-elle. Je ne comprenais pas, j'avais déjà deux grand-mères, comment je pouvais en avoir d'autres? Elle m'a dit une phrase qui m'est restée en tête et dont je n'ai pas compris le sens à l'époque : We are not speaking the same language.
Nous parlions toutes deux anglais, mais elle parlait plutôt de nos référents culturels, qui n'avaient rien à voir, explique-t-elle. J'ai vraiment pris conscience de toutes les réalités vécues par ma grand-mère durant mon cégep, que j'ai effectué au collège Kiuna, à Odanak.

Kiuna est le seul établissement collégial situé dans une communauté autochtone, la communauté abénakise d'Odanak. Il propose des profils adaptés aux cultures autochtones pour les étudiants du cégep.
Photo : Radio-Canada / Luc Lavigne
Là-bas, j'ai tout appris sur les pensionnats, la rafle des années soixante, etc. J'ai fait des travaux sur la rafle qui m'ont amenés à interviewer d'autres victimes de la rafle, me permettant de comprendre beaucoup mieux ce qu'ont vécu ma mère et mes tantes
, ajoute-elle.
Plus tard, alors qu'elle travaillait pour Wapikoni mobile, organisme qui visite les communautés autochtones pour donner des ateliers permettant aux jeunes de maîtriser des outils technologiques par la réalisation de courts métrages
, elle se rend compte qui n'y avait pas beaucoup de films qui parlaient d'identité et de la rafle.
Elle a donc réalisé son premier film, We are not speaking the same language, qui parle de son histoire de vie. Elle raconte son histoire personnelle, tout en effectuant du perlage, un type d'artisanat autochtone qui lui permet du même coup d'être liée à sa grand-mère biologique qu'elle n'a jamais rencontrée.

Un exemple de perlage réalisé par Danika St-Laurent
Photo : (Facebook) / Neebageesis
Souvent, quand je vais chez des amis pour une soirée, je m'assois dans un coin et je perle, raconte-t-elle. Comme ça, je socialise tout en faisant mes affaires [...] Ma famille québécoise me dit que je ressemble à ma grand-mère biologique, puisque lorsqu'elle était venue les visiter, il y a longtemps, elle faisait la même chose. Elle s'assoyait dans un coin de la maison pour faire son perlage.
Je crois vraiment que mon perlage représente le lien qui m'unit à ma grand-mère et à mon identité autochtone, par extension
, conclut-elle.