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V - La Charte canadienne des droits et libertés

Le document officiel de la Charte canadienne des droits et libertés
Photo : La Presse canadienne
Le 17 avril 1982, à Ottawa, la Reine Elizabeth II proclamait la Loi de 1982 sur le Canada, qui mettait fin au pouvoir du Parlement du Royaume-Uni de modifier la constitution du Canada.
Cette proclamation signifiait que dorénavant, le Canada devenait maître de sa destinée, au plan constitutionnel. Le Canada, en un mot, venait de rapatrier
sa constitution.
Un des éléments les plus caractéristiques de cette loi, c’est qu’elle enchâssait dans la constitution canadienne une Charte des droits et des libertés.
Avec la Charte, les principes de base sur lesquels s’appuient les droits et libertés des Canadiens, au premier chef la liberté et la démocratie, acquièrent un statut constitutionnel. Parce qu’elle a été enchâssée dans la constitution, la Charte se trouve, en effet, placée au-dessus de toutes les autres lois.

Après que la Reine ait signé la proclamation constitutionnelle le 17 avril 1982, le premier ministre Trudeau appose son sceau d'approbation sur le document.
Photo : La Presse canadienne / TJC
Une longue évolution
Dans un recueil de textes publié en 1996, sous le titre Charte canadienne des droits et libertés, l’ancien juge en chef Brian Dickson, de la Cour suprême du Canada, rappelle que l’enchâssement de la Charte dans la constitution du pays a été le résultat d’une longue évolution.
Cette saga s’amorce en 1867, avec l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et s’accélère après la deuxième guerre mondiale, avec la proclamation de la Déclaration universelle des droits (1948) et de différents pactes internationaux.
Au pays même, en 1960, le gouvernement de John Diefenbaker faisait adopter la Déclaration canadienne des droits, qui est toujours en vigueur.

Le conservateur John Diefenbaker a été premier ministre de 1957 à 1963.
Photo : (Chuck Mitchell/Canadian Press)
En 1970, la Cour suprême, dans un arrêt célèbre (Drybones), s’appuiera sur la Déclaration pour invalider certaines dispositions de la Loi sur les Indiens jugées discriminatoires.
La décision est remarquable en ce que, pour une des toutes premières fois, la Cour déclarait invalides des dispositions législatives en se basant sur le texte d’une autre loi, processus devenu courant depuis l’adoption de la Charte.
Avant l’arrêt Drybones, les tribunaux n’invalidaient les lois que lorsque le partage des compétences entre le fédéral et les provinces n’avait pas été respecté.
De plus, au moment de l’entrée en vigueur de la Charte canadienne, pas moins de huit provinces avaient déjà adopté des lois de protection des droits politiques et des libertés fondamentales.
La première à le faire fut la Saskatchewan en 1943. Suivirent, dans l’ordre : l’Ontario (1962), la Nouvelle-Écosse (1963), l’Alberta (1966), le Nouveau-Brunswick (1967), l’Île-du-Prince-Édouard (1968), Terre-Neuve (1969), la Colombie-Britannique (1969), le Manitoba (1970) et le Québec (1975).
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L’impact de la Charte
En vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle, la Charte rend inopérante, c’est-à-dire inapplicable, toute loi fédérale ou provinciale qui est incompatible avec elle.
L’article 24 prévoit que toute personne qui se sent victime d’une atteinte aux droits qui lui sont reconnus par la Charte peut s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation.
Ces dispositions ont donné lieu depuis vingt ans à un très grand nombre de recours devant les tribunaux compétents dans l’application de la Charte.
Dans son texte, le juge en chef Dickson rapporte que de 1984 à 1995, la Cour suprême, pour ne nommer qu’elle, avait déjà rendu plus de 225 décisions dans des causes impliquant la Charte. Aujourd’hui, on évalue ce nombre à plus de 425.
Les juges de la Cour suprême du Canada se sont plusieurs fois basés sur la Charte pour rendre leurs jugements.
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
Dans un ouvrage publié en 1992 La Charte : dix ans après, une autre juge de la Cour suprême, Bertha Wilson, écrit qu’une fois la Charte adoptée, les juges ont été amenés à s’interroger sur leur rôle face à ce texte de loi.
Ils en sont venus à la conclusion qu’il leur revenait de s’assurer que les gouvernements (fédéral et provinciaux) légiféraient conformément à la constitution dont la Charte des droits est une partie importante.
En toute logique, les juges pouvaient dorénavant décider que telle ou telle disposition était inconstitutionnelle eu égard à la Charte, ce qu’ils n’ont pas manqué de faire à de nombreuses reprises.
L’adoption de la Charte souleva d’ailleurs et continue de soulever de nombreuses critiques : certains trouvent qu’elle judiciarise trop les rapports entre les citoyens, d’autres qu’elle accorde trop de pouvoirs aux juges, d’autres, enfin, qu’elle marque le triomphe des droits individuels sur les droits collectifs.

La Charte canadienne des droits et libertés rédigée en langue autochtone
Photo : Radio-Canada / Camille Gris Roy
Témoin et parfois acteur privilégié du long débat constitutionnel canadien, le sénateur Gérald-A. Beaudoin estime que la Charte canadienne des droits et libertés a eu un impact majeur, profond et irréversible sur les citoyens canadiens.
Majeur, en raison de la constitutionnalisation des droits et libertés, qu’on a ainsi mis à l’abri d’une modification législative comme c’est le cas pour les lois ordinaires. Profond, car ce sont de nombreux droits et libertés qui ont été constitutionnalisés (libertés fondamentales, droit de vote, garanties juridiques, droits à l’égalité, droits linguistiques, etc).
Irréversible, enfin, car les Canadiens se soucient beaucoup plus maintenant de leurs droits et libertés; ils les revendiquent et les défendent avec vigueur, ainsi qu’en témoignent les lettres reçues au Sénat de la part de Canadiens préoccupés par la portée de certains projets de loi. Nul gouvernement n’oserait revenir en arrière et abroger la Charte
, conclut le sénateur Beaudoin.
L’entrée en vigueur de la Charte a aussi modifié, considérablement, le travail des praticiens du droit, en les obligeant à aller dorénavant au-delà des textes de loi pour s’interroger sur les conséquences possibles des gestes posés sur les droits fondamentaux des personnes.
Le bâtonnier du Québec, Francis Gervais, explique que les avocats sont maintenant obligés d’aller plus loin dans leur réflexion sur les implications de leurs actes, car tel ou tel recours, même fondé, pourrait être rejeté pour cause de manquement aux droits fondamentaux.
Ça a changé le travail des avocats, ça l’a rendu un peu plus ardu, parce que ça nous oblige à faire un examen différent des questions. C’est une nouvelle façon de penser, de réfléchir et pour nous, c’est devenu une seconde nature.
Des bémols
Le juge Dickson rappelle toutefois que l’effet de la Charte n’est pas illimité et sa portée, restreignable.
Il cite à cet effet l’article 1 de la Charte, qui permet d’apporter des restrictions à l’exercice de certains droits et libertés, à la condition que ces limites soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique
.
Il cite aussi l’article 33, qui autorise un gouvernement à déroger à l’application des dispositions de la Charte, en invoquant une clause dite nonobstant
.
POLITIQUE CANADIENNE : COMPRENDRE LE SYSTÈME POLITIQUE CANADIEN
- I - Le régime politique canadien
- II - Comment fonctionnent les élections fédérales ?
- III - Élections antérieures
- IV - Canada: la saga constitutionnelle
- V - La charte canadienne des droits et libertés