Andrée Cazabon : visiter les communautés autochtones par les films
ENTREVUE - Andrée Cazabon est une cinéaste engagée auprès des communautés autochtones. Grâce à plusieurs programmes qu'elle a mis sur pied, la cinéaste ouvre une porte vers les réalités et les conditions déplorables dans lesquelles certaines Premières Nations vivent. Son but : éduquer pour rapprocher.
Un texte de Sophie Vallée
2017 est une année charnière pour Andrée Cazabon. En 2007, elle s’est engagée pour 10 ans en tant que citoyenne canadienne et réalisatrice pour participer au processus de vérité et réconciliation.
La cinéaste originaire du Nipissing, en Ontario, a réalisé de nombreux documentaires sur les droits des enfants, dont Third World Canada (Le Tiers-Monde au Canada) qui présente les conditions dignes du Tiers-Monde dans lesquelles vivent les enfants des réserves autochtones.
Avec l’aide de la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug (KI), au nord de Thunder Bay, Andrée Cazabon a organisé des voyages de réconciliation pour mettre des gens du Sud en relation avec les habitants des communautés isolées du Nord.
Huitième portrait de la série MISSION : CHANGER LE MONDE, qui présente des Canadiens travaillant sur des projets qui changent significativement nos vies.
Pourquoi êtes-vous devenue cinéaste avec un intérêt particulier pour les peuples autochtones?
Je suis devenue cinéaste il y a un peu plus de 15 ans. Ma passion était l’écriture, mais j’ai compris qu’avec le cinéma, je pouvais produire des histoires plus rapidement.
Avant de visiter la Première Nation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug pour la première fois, j’avais réalisé des documentaires sur les droits des enfants : que ce soit sur des enfants qui avaient grandi au sein de familles d’accueil ou avec l’aide à l’enfance, c’était une chose qui me tenait à coeur.
Quand je suis arrivée dans la communauté de KI et que j’ai pris connaissance des conditions de vie, je ne pouvais pas croire que j’étais au Canada.
Je ne pouvais pas croire que ces conditions du Tiers-Monde existaient au Canada et que je ne la savais pas, alors je me suis dit que c’était le cas pour la plupart des Canadiens.
J’ai donc décidé de mettre en lumière l’histoire d’un jeune orphelin de cette communauté. Il était devenu orphelin à la suite du suicide de ses parents. Il avait sept frères et soeurs, cela faisait donc huit orphelins à cause du suicide.

Dans ce documentaire, Le Tiers-Monde au Canada, j’ai choisi de me concentrer sur la vérité et la réconciliation puisque c’est, selon moi, le sujet le plus important à faire connaître aux Canadiens.
Par quoi commence la réconciliation?
Si on suit les conseils de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, avant de parler de réconciliation il faut parler de vérité. Il faut s’informer, il faut connaître ces chapitres de l’histoire canadienne qu’on ne connaît pas et qu’on ne comprend pas. Par exemple, je suis née au Canada sans savoir que je faisais partie d’un peuple colonisateur.
Pour moi, la réconciliation est essentielle pour tous les Canadiens parce que notre propre identité, notre propre humanité, est tissée dans cette injustice. Ce n’est pas aux peuples autochtones de travailler sur la réconciliation, c’est à nous les non-Autochtones à le faire.
Croyez-vous que l'on comprendrait davantage si on se rendait sur les réserves autochtones pour voir ces conditions de vie de nos propres yeux?
Je voulais faire des projets avec la communauté de KI, où j’ai fait mon documentaire Le Tiers-Monde au Canada. J’ai écouté les jeunes qui y habitent, on a discuté de projets qu’ils aimeraient faire, de ce qu’était la réconciliation, de ce que ça voulait dire. Ils ont eu l’idée d’inviter les gens à visiter leur communauté.

Le voyage de réconciliation coûte environ 3200 $, alors on se disait que les gens n’allaient pas venir puisque c’est cher, c’est compliqué et parce que ça n’avait jamais été fait auparavant.
Pourtant, ça fait maintenant quatre ans qu’on organise ces voyages de réconciliation et, à chaque année, les sièges se remplissent en très peu de temps!
Lors de ces voyages, les gens découvrent de leur propres yeux qu'il y a bel et bien un Tiers-Monde au pays. Un Tiers-Monde qui est lié à une loi : la Loi sur les Indiens.
Pour ce qui est de la crise de suicides dans les communautés autochtones du Nord de l’Ontario, qu’est-ce qui explique que la situation perdure? Qu’on soit encore en situation de crise?
Je viens d’une famille canadienne-française. Si ma famille avait vécu dans de pareilles conditions pendant plus 100 ans, c'est certain qu'il y aurait des conséquences.
On a juste à penser à l'impact des écoles résidentielles ou à l'impact de la Loi sur les Indiens. Il ne faut pas penser que ces injustices n'ont aucune répercussions sur les enfants. En fait, ce sont eux qui en souffrent le plus. Dans la communauté de KI, ils n'ont pas de financement [scolaire] après la 10e année [Secondaire 4, NDLR]. Les enfants sont convaincus qu’ils n’auront peut-être pas de diplôme de 12e année. Comment peux-tu avoir de l’espoir pour l'avenir quand la base de l’éducation n’est même pas là?
Nous devons changer nos politiques au Canada. On a tous hérité d’un fond de racisme sans même s’en rendre compte. On a des préjugés. Mais, j’ai réalisé que la solution se trouve dans l’éducation. Il faut éduquer non seulement la population qui vote, mais aussi les enfants et les adolescents parce que s’ils ne comprennent pas la relation entre les Canadiens et les peuples autochtones, ils ne peuvent pas comprendre qu’ils ont hérité d’une loi raciste comme la Loi sur les Indiens.
On a pris, nous les Canadiens, 99,8 % de la terre qui est le Canada, on a signé des traités de partage. Pour moi, la justice c’est aussi la justice par rapport à la terre : de revenir à cette idée de partage.
L’espoir est dans l’éducation et c’est pour ça qu’on a créé, en collaboration avec la communauté des Premières nations et l’Université des Premières Nations du Canada, un programme appelé Les 4 saisons de la réconciliation, qui invite les élèves des cours d'histoire de 10e année à découvrir l’historique de la relation entre les Canadiens et les peuples autochtones.
En une semaine, les élèves regardent le film Le Tiers-Monde au Canada pour créer un certain éveil par rapport au volet de la vérité. Ensuite, ils vont suivre un cours d’histoire pour examiner cette vision du futur, celle de la réconciliation.
Ce programme est maintenant offert dans chaque école francophone de l’Ontario.
À quel moment avez-vous réalisé que votre travail pouvait avoir un grand impact sur la vie des Canadiens?
Comme réalisatrice, j’ai choisi un chemin différent : j’ai choisi d’être une réalisatrice communautaire. Je me demande toujours comment le film peut être au service de la communauté.
Un film a le pouvoir de rassembler les gens, de nous faire sentir quelque chose.
Souvent, les gens feuillettent un journal et se disent : “Ah un autre problème autochtone!”, mais quand on regarde un documentaire comme Le Tiers-Monde au Canada, on se met dans la peau, dans le cheminement des gens. Des gens qu’on apprend à connaître, le temps d'un documentaire. On veut savoir ce qui va leur arriver.
Je pense que c’est un privilège de faire des films, on a une voix quand on fait des films et, pour moi, c’est important de partager cette voix avec les autres.