Aujourd'hui, la conteuse Mélanie Nadeau raconte une histoire qu'on pourrait mettre dans la catégorie Tu ne me croiras pas!
Le récit de Mélanie Nadeau :
Il y a longtemps, vivait dans un rang à Évain une vieille femme. Cette dame-là avait un jardin. Mais un jardin! On disait qu’elle avait un don. En fait, des dons. Elle avait les plus grosses, les plus belles et plus juteuses tomates de tout le voisinage, mais c’était surtout une transféreuse. On l’appelait Colette-la-transféreuse. Il y en a plusieurs qui pensaient que c’était une sorcière. En fait, c’est qu’elle réussissait à transférer du non-tangible de personne en personne. Elle pouvait transférer des points de sommeil, de silence, de confiance.
Pour ce faire, elle appliquait une méthode unique, brevetée et tout. Elle avait un système de pointage assez complexe merci, je ne vais pas expliquer ça aux auditeurs, on va les perdre, c’est sûr. Ce n’est pas que je doute de leur intelligence, mais c’était de la haute voltige de calcul : ton poids moins ta hauteur, multiplié par le nombre de la ligne 199 de ton dernier rapport d’impôt, plus les trois derniers chiffres de ton numéro d’assurance sociale et de ton code régional, tu sais, complexe!
On disait que Colette avait un catalogue. Comme le fameux catalogue Sears, ou Simpson Sears comme disait ma grand-mère.
Elle faisait des fiches des gens du village et inscrivait ce que cette personne avait à donner, si elle avait un talent quelconque, un trait de personnalité particulier, mais aussi ce qui lui manquait.
Elle faisait des matchs. Pas des matchs amoureux, mais des accouplements complémentaires.
Comme la fois où Ginette la déprimée a reçu en cadeau de l’énergie de Gustave qui en avait trop.
Ginette avait le moral à plat. Plus d’énergie. Épuisée. Elle dormait des heures et des heures. Elle avait usé toutes ses réserves.
On ne sait pas trop comment elle a fait ça, mais Colette a pris de l’énergie de Gustave. Pas à son insu quand même. Elle avait déjà la notion de consentement d’écrite noir sur blanc dans ses règlements.
Gustave lui, n’en peut plus. Il ne dort pas, mais il aimerait ça lui, faire la grasse matinée de temps en temps. Mais rien à y faire. Même sans cadran, 6 h tapant, l’œil ouvert et le pied droit par terre, il sort de son lit.
Notre Colette fait ni une ni deux. Elle décide d’aider les deux amis.
Par deux trois entourloupettes, un procédé complexe qu’elle seule connaissait, elle a réussi à transférer des heures de sommeil de Ginette directement dans le corps fringant de Gustave. En même temps, l’énergie débordante de Gustave s’est introduite dans le corps « lambineux » de Ginette, qui en un rien de temps s’est redressée. Elle a fait 2-3 « stepettes », le dos maintenant droit comme une barre, on dirait qu’elle venait de rajeunir de 10 ans.
Mais là, elle était forte en maths la Colette, elle aurait fait ses math 536 en un clin d’œil, mais cette fois-là, on ne sait pas, elle a pogné une graine dans l’œil, elle a mêlé les chiffres, mais elle a pris bien trop de points de sommeil à Ginette.
Quand elle a compris ce qui venait de se passer, bing bang va dans son catalogue, se rappelle que Fernande venait d’accoucher de jumeaux, avait les poches des yeux en dessous des bras. Transfert à Fernande.
Y’a aussi la fois où le pauvre Édouard, pas de confiance en lui a reçu des points d’estime d’Henri. Henri, qui travaillait à l’usine à bois, était ce qu’on appelle un Joe Connaissant. Il sait tout. N’essaie pas de lui apprendre quelque chose, il l’a déjà vécu, l’a déjà bâti, réparé…
Ça tannait un peu les gens autour.
Mais là, comment tu dis à un Jo Connaissant qu’une petite dose d’humilité ne lui ferait pas de tort? Mais c’est qu’elle avait le don de la parole la Colette. Elle réussissait à trouver les bons mots.
À un moment donné, un homme bien riche est arrivé au village. Colette était au courant des problèmes d’argent de quelques personnes. Ces personnes-là sont venues voir Colette pour dire de transférer des points de richesse, mais elle ne pouvait pas, car il y a la notion de consentement dans son processus de création.
Mais tu sais lui, à sa ligne 199 de son rapport d’impôt, le chiffre, il était gros en tabarouette.
Et chaque personne, peu importe ce qu’elle a, n’est jamais tout le temps heureuse. Il fallait qu’elle trouve ce qu’il manquait à cet homme pour trouver la solution parmi les gens de sa communauté.
Il paraît qu’à un moment donné, il y a un certain Richard qui serait allé la voir, un homme qui avait bien de la misère avec les iniquités sociales. Il aurait même écrit une chanson.
Y’en a qui ont toute et toutes les autres y’ont rien, change-moi ça.
Colette est décédée en 1972. Son jardin était luxuriant. À ce qu’on raconte, à chaque transaction, elle se prenait une cote, mais pour se faire une fortune, elle transformait ça en engrais pour son jardin, d’où les belles grosses tomates rouges, fermes et juteuses!
Moi, j’aimerais bien ça qu’elle existe encore, la Colette. Il me semble que je donnerais des points de grand air et d’espace à une maman de l’Inde qui vit dans un bidonville à New Dehli. En ce temps de pandémie, je suis certaine qu’elle les prendrait volontiers.
Quand on sait que les géants, les propriétaires des GAFAS de ce monde se sont enrichis à vitesse grand V pendant le confinement, il me semble qu’il faudrait ressusciter Colette pour les redistribuer à ceux qui en ont besoin.
Parce que Richard le dit « Y’en a qui ont toute et toutes les autres y’ont rien, » mais j’ai envie de dire, changeons ça!