C'est toujours le premier lundi de mai que se tient le traditionnel gala du Met, où les plus grandes stars brillent de mille feux avec des costumes tous plus extravagants les uns que les autres. Le thème de cette année, Camp: Notes on Fashion, était inspiré d'un essai de la philosophe Susan Sontag. Notre édimestre et libraire à L'Euguélionne, Stéphanie Dufresne, trace les contours de l'esthétique camp et rappelle ses origines au sein des communautés queers, homosexuelles et noires.
N'en déplaise à Céline Dion qui prévoyait aller camper au musée, le style camp ne fait pas référence au camping. Il s'agit plutôt d'une sensibilité esthétique dont les racines proviennent des communautés homosexuelles et noires, et que l'intellectuelle et critique culturelle Susan Sontag a tenté de définir dans son essai Notes on "Camp" (Nouvelle fenêtre), paru en 1964.
L'esthétique camp en 5 points
1. L’exagération et l’artifice
L'esthétique camp, c’est ce qui est en excédent, c’est la couche de crémage de trop, mais qui est en même temps juste parfait.
« L'essence du style camp est son amour de ce qui n'est pas naturel : de l'artifice et de l'exagération. »
Exemples :
- Toutes les drag queens de style camp (une sous-catégorie de drag queens), comme Bianca Del Rio, Trixie Mattel ou Katya
- Le costume de pape de Rihanna au gala du Met de l’an dernier
- L’Église catholique
- Liberace
- L’art nouveau
- Céline Dion, pour l’ensemble de l’œuvre. Tout chez elle est exagéré : ses envolées vocales, ses vêtements, Las Vegas, sa séance photo pour Vogue, ses réactions émotives complètements démesurées, « take a kayak », etc. C’est justement cette couche excédentaire qui fait qu’elle est parfaitement de style camp, qu’elle n’est pas juste n’importe quelle chanteuse avec une belle voix.
2. La juste dose de mauvais goût.
Le camp est exagéré, donc par définition de mauvais goût, mais il doit l’être juste assez pour rester de bon goût. C’est un équilibre subtil. Susan Sontag précise bien que tout ce qui est de mauvais goût n’est pas camp, et inversement. Pour être camp, il faut que l'exagération soit assumée.
« Quand quelque chose est juste mauvais (plutôt que camp), c'est souvent parce que c'est trop médiocre dans son ambition. »
Exemples :
- Le compte Instagram de Britney Spears
- Cher, sa musique et son personnage
- La télésérie Queer Eye
- Twilight
- Toute la filmographie de John Waters
3. Ne pas se prendre au sérieux
Pour être camp, l'esthétisation de l'exagération et du mauvais goût ne doivent pas être trop prise au sérieux. Le style camp brise la dichotomie entre l'art sérieux et l'art populaire.
« Le but principal du camp est de détrôner le sérieux. C'est amusant et antisérieux. »
Exemples :
- Cardi B, qui est arrivée sur le tapis rouge du gala du Met habillée en placenta
- Katy Perry et ses costumes de chandelier et de hamburger
- Mae West dans le film She Done Him Wrong
- Villanelle dans la série Killing Eve
4. La théâtralité
L'esthétique camp vient avec une attitude, un caractère. Son artificialité et son exagération se répercutent dans une extravagance théâtrale.
« Le style camp, c'est la sensibilité du sérieux qui échoue et la théâtralisation de l'expérience. »
Exemples :
- Lady Gaga dans son ensemble
- Lady Gaga sur le tapis rouge du gala du Met. Elle a pris à la lettre la dimension de théâtralité : elle est arrivée sur le tapis rouge dans une immense robe qu’elle a enlevée pour en révéler une autre, puis encore une autre, pour finir en un kit brassière-culottes calqué sur le costume de Britney Spears lors de sa catastrophique performance aux MTV Video Music Awards de 2007.
5. La naïveté
L'esthétique camp, c’est l’exagération, certes, mais si on essaye trop, ça ne marche pas.
« On doit distinguer le camp naïf et le camp délibéré. Le camp pur est toujours naïf. Le camp qui se sait être camp est généralement moins satisfaisant. »
Exemple :
- Céline Dion
- Céline Dion costumée en séchoir à pâtes fraîches (Nouvelle fenêtre)
- Céline Dion qui dit qu'elle vient faire du camping au musée