Bikini Kill, emblème du rock féministe à l'origine du mouvement riot grrrl, vient d'annoncer son retour. Félix B. Desfossés saisit l'occasion pour raconter l'histoire du premier groupe punk entièrement féminin au Québec, Blue Oil.
Un texte de Félix B. Desfossés
L’histoire de la musique punk au Québec est méconnue. Alors, imaginez l’histoire du punk au féminin! Avec le retour des riot grrrl de Bikini Kill, l’occasion est parfaite pour mettre en lumière Blue Oil, le premier groupe punk entièrement féminin au Québec.
Darkvision ‘77
L’histoire commence en 1977, dans Cartierville, à Montréal, au moment où le punk explose médiatiquement sur la planète. Quatre amies du secondaire font un spectacle sous le nom Darkvision, devant les étudiantes de leur collège de filles.
Parmi ces musiciennes, on compte les sœurs Manon et Christiane Fatter, respectivement à la batterie et à la basse, puis Marie-Martine Bédard, à la guitare.
Par la suite, Marie-Martine part rejoindre un autre groupe punk dont fait également partie Patrick Bourgeois, futur chanteur des BB.
Blue Oil
Les sœurs Fatter adoptent le nom Blue Oil en 1979. Le groupe passe par de nombreux changements de personnel avant de se stabiliser vers 1981-82, au moment d’enregistrer un premier 45 tours.
Blue Oil est alors entre autres formé de Manon Asselin, chanteuse et guitariste. Elle se fait appeler Nilessa Noname. On retrouve toujours à la batterie Manon Fatter et sa sœur Christiane Fatter à la basse. La guitariste soliste est Marie-Martine Bédard, connue sous le pseudo Thin Coma.
Elles donnent alors beaucoup de spectacles et réalisent que ce n’est vraiment pas facile pour un groupe punk de filles de faire sa place dans le milieu du rock généralement masculin, au début des années 80. Selon Marie-Martine Bédard, elles doivent faire face à beaucoup de sexisme, de commentaires dégradants et même de harcèlement sexuel.
Mais elles n’ont peur de rien!
Un premier disque indépendant
En 1982, elles enregistrent leur premier simple 45 tours, qui comprend les chansons Money et Living for the Times. Ce premier disque est produit de manière complètement indépendante. Un véritable pied de nez à l’industrie du disque.
Les ventes du 45 tours sont modestes. Il s’agit aujourd’hui d’un objet rarissime au point où des collectionneurs peuvent débourser plus de 100 $ pour se procurer une copie originale!
Blue Oil travaille suffisamment fort et arrive à attirer l’attention d’émissions de télévision, dont Pop Express, diffusée sur les ondes de Télé Métropole. Les filles y sont invitées à interpréter les deux chansons de leur 45 tours.
En 1984, elles sont invitées à faire partie du documentaire On fait toutes du show business, réalisé par Nicole Giguère. Aux côtés de Marjo, de Nanette Workman et de plusieurs autres vedettes québécoises féminines, elles témoignent de leur réalité.
Marie-Martine Bédard quitte le groupe en 1985, mais elle est toujours active musicalement en 2019. Elle mène Hippocampe, avec lequel elle désire enregistrer un album complet qui va aborder le thème du viol et de la renaissance, puisqu’elle a été victime d’un viol il y a quelques années et a choisi la musique pour revivre. Elle lance une campagne de sociofinancement (Nouvelle fenêtre) dès la semaine prochaine en lien avec ce projet.
Le succès… ou presque!
Plusieurs changements de personnel surviennent de nouveau au milieu des années 80. On recrute à la basse Marie-Christine Thiboutot, alias Chris In Vitro. Puis plus tard aux claviers Cari Jones.
Il faut attendre 1988 avant de voir une nouvelle parution sur disque de Blue Oil. Elles font alors paraître un EP homonyme de cinq chansons. Le tout est produit par Marc Durand, qui était aussi derrière Men Without Hats et The Box. Les attentes doivent être très hautes, puisque faire partie de cette écurie est probablement le meilleur conduit pour qu’un groupe anglophone puisse s’exporter en dehors de Montréal à cette époque.
L’énergie punk du groupe s’évapore sur l’enregistrement. Les éléments de new wave demeurent, mais on semble clairement vouloir réaliser une percée commerciale. Et Blue Oil est tout en droit de le souhaiter.
Le succès frappe à la porte. Un clip est lancé pour la chanson I Blow You a Kiss. Le groupe est interviewé à MusiquePlus et participe à plusieurs autres émissions de télé, dont Beau et chaud! Mais la recette ne lève pas davantage.
Blue Oil finit par se séparer. Manon Asselin, alias Nilessa Noname, et quelques autres membres de Blue Oil lancent le groupe pop rock Ginger Snaps, qui connaît aussi un certain succès. Mais lorsque son unique album paraît, en 1992, le rock est au grunge, et Bikini Kill fait paraître cette même année le disque sur lequel figure son grand succès Rebel Girl. Ginger Snaps ne peut pas rivaliser avec cette nouvelle vague de rock féministe plutôt agressif.